Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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mercredi 29 mars 2006

A nous Paris (titre provisoire)

Intérieur. Une rame de métro, un voyageur parcourt un journal.

D'une architecture sensuelle, ce sac fluide brûlant caresse les hanches des hommes et des femmes libérés. Grâce à son âme amovible et rigide, le "Love Bag" se prête volontiers aux jeux érotiques. Prix conseillé : 90 euros.
A nous Paris - n°305

Dans A nous Paris (le news urbain diffusé dans le métro) une pleine page consacrée au "Love Bag" (sorte de sac qui se porte en bandoulière et qui a la forme d'un sexe en érection) dont Jérome Olivet son concepteur, un jeune homme prometteur, nous dit qu'il redéfinit l'émotion (rien de moins !), la sexualité et casse les tabous.
En classe de sixième, je connaissais le porte-feuille en peau de kiki, "celui qui quand tu le caresses y se transforme en valise", mais manifestement on n'arrête pas le progrés.
J'oubliais Mr Olivet est également un prophète, notre nouveau Malraux : Les objets doivent être à la hauteur de nos rêves, c'est pour cela que le XXIème siècle (rien de moins !) sera dans la courbe (?) et le sentiment (!).

Extérieur jour. Le même voyageur sort d'un relais H situé dans une gare de banlieue. Il a un exemplaire du Parisien dans la main.

M'apprêtant à rejoindre mon ami S, j'achète Le Parisien et me souviens de ce film de Luc Béraud (qu'il faudrait que je revoie) : La Tortue sur le dos
Le personnage principal est un écrivain et, détail qui me reste, il lit France-Soir. A l'époque, en 1978, j'en avais été surpris. Que venait faire là ce journal "réactionnaire", avec ses gros titres "racoleurs" et ses pages consacrés au turf ? J'avais vingt ans et lisais Libé !
Les temps ont passé, et j'ai appris à me déprendre ou pour parler comme l'un de mes correspondants, à propos de je ne sais plus quel chanteur : je me forçais un peu à aimer ça. Et à nos âges, on peut se laisser aller et ne plus se forcer. Vieillir ce doit être ça : se débarasser des vices dont il paraissait impossible de se défaire. Je ne lis plus Libé.

Retour dans la rame de métro. Le voyageur semble irrité.

Le XXIème siècle sera dans la courbe et le sentiment !!! L'époque a les Rastignac qu'elle mérite.

Le voyageur plie le journal, le fourre dans dans son sac. De l'une de ses poches, il sort un exemplaire d'un autre journal et un crayon. Il s'agit du Parisien. Il l'ouvre et va à la page du Sudoku. La grille est à moitié remplie. Le voyageur semble avoir des difficultés pour la terminer.

jeudi 23 mars 2006

Nostoi

En feuilletant Le Pot au noir de Louis Chadourne.
Louis Chadourne est né à Brive-la-Gaillarde en 1890. Il écrira en 1919, sur les conseils de Pierre Mac Orlan, un roman d'aventure (Le Maître du Navire), puis en 1920 un roman autobiographique au beau titre (L'Inquiète adolescence) dont Valery Larbaud disait qu'il égalait le Dedalus de Joyce. Il meurt neurasthénique en 1925, après quatre années passées à la maison de santé d'Ivry, de la conjonction d'une blessure de guerre à la tête et d'un amour déçu.
En 1919, à l'initiative de Jean Galmot (le Jean Galmot du Rhum de Cendrars) qui l'accompagnera, il entreprend un voyage vers les Caraïbes, la Guyane et le Venezuela. Il embarque le 10 octobre au bord du Pérou pour revenir au Havre le 30 janvier 1920. Le Pot au noir, paru en 1921, est le récit de ce périple ; de La traversée - Le paquebot est amarré à quai. Ses flancs goudronnés se dressent comme des falaises. Ses bordages sont laqués de blanc, les cheminées de rouge.-, en passant par les Escales, jusqu'au Retour - J'ai vu la vaine frénésie des hommes se débatttre sous la voûte des forêts (...). Toutes ces images, je les ai emportées en moi (...). Et voici que maintenant, penché sur ma richesse, je suis comme un homme altéré qui veut boire au creux de sa main...et l'eau fuit entre ses doigts.
Après douze jours de traversée - Pourquoi la traversée s'achève-t-elle ? Ne glisserait on pas toute la vie, dans cet azur absolu ? - alors que chacun rêve à un voyage sans terme, que l'on a laissé l'ile de La Désirade - O Désirade que nous te désirions peu lorsque sur la mer s'inclinèrent tes pentes couvertes de mancenilliers - il faut bien débarquer dans la rade de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe).
Chadourne note :

Au matin, apparaît une baie lisse, plate,vert sombre sous un soleil déja dur. Il pleut - une pluie tiède - sans qu'on voie un seul nuage. "C'est un haut pendu", dit-on. Plusieurs fois par jour tombent ainsi des averses ensoleillées.
Louis Chadourne - Le Pot au noir - La Table Ronde (La Petite Vermillon).

Je ne connais pas cette expression - un haut pendu - mais je me souviens de cette pluie tiède, de ces averses violentes et brèves alors que, dans le même temps, le soleil vous écrase de son poids, de la chaleur enveloppante qui monte peu après de la terre ; je me souviens, les mots je ne les ai jamais oubliés, qu'il y avait toujours l'un de nous pour les dire : "La pluie et le soleil, le diable marie sa fille derrière l'église". Je me souviens de la mer indifférente. Je me souviens de nos rires.

Ps :On pourra lire ici, West-Indies et Demerara, deux poèmes écrits par Chadourne lors de son voyage.

mercredi 22 mars 2006

Paris Stockholm

STOCKHOLM (Reuters) - La ministre suédoise des Affaires étrangères, Laila Freivalds, a démissionné en raison de soupçons selon lesquels elle aurait enfreint la Constitution lors de la fermeture d'un site internet d'extrême-droite ayant reproduit des caricatures du prophète Mahomet.
Cette dernière était soumise à une pression constante de l'opposition, qui réclamait son départ en l'accusant de mensonge au sujet de l'implication de son ministère dans la fermeture d'un site internet d'extrême-droite ayant reproduit les caricatures de Mahomet.
Dans un premier temps, Freivalds avait dit ignorer que ses services avaient contacté la société d'hébergement de ce site.
Des documents récemment publiés ont pourtant montré que la ministre avait été informée de ce contact, à la suite duquel l'hébergeur avait fermé le site incriminé, lié au Parti démocrate suédois (extrême-droite).
La Constitution suédoise interdit toute pression politique sur les sociétés d'hébergement de tels sites internet.
Journal permanent du Nouvel Observateur - 22/03/2006.

Conséquence de l'affaire des caricatures du Prophète, Eric Raoult dépose aujourd'hui à l'Assemblée une proposition de loi pour introduire le mot «caricature» dans les articles 23 et 29 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. A côté des termes «écrits», «imprimés» et «dessins» déjà dans le texte, le député maire UMP du Raincy (Seine-Saint-Denis) demande que la «caricature» devienne un support aux «crimes et délits commis par la voie de la presse». «Pour l'instant, explique-t-il, je n'ai pas utilisé le terme «islamophobie», dont le contenu ne me semble pas assez caractérisé, distinct du racisme.» Cette proposition survient après celle du député UMP du Gard, Jean-Marc Roubaud, déposée le 28 février dernier. Mais cette dernière faisait, elle, explicitement référence à l'atteinte volontaire «aux fondements des religions». Eric Raoult reconnaît avoir été «pris de court» par son collègue du Gard, qu'il devrait rencontrer aujourd'hui afin d'évoquer une éventuelle fusion des deux textes. Il reconnaît aussi que cette proposition lui a été demandée par l'Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis, l'UAM 93. Après le succès de la manifestation parisienne contre les caricatures dont elle était l'organisatrice, cette association lance cette semaine une action nationale de soutien aux deux députés.
Le Figaro - 21/03/2006.
Comment dit-on trou du cul en Suédois ?

mardi 21 mars 2006

Un crime.


Robert Louis Stevenson.

Henri et Mackellar s'inquiètent du silence de l'expédition(...).
Ils avancent à leur tour dans le désert.
La neige est tombée. Plus de traces. Le silence surtout est affreux.
Les sifflements du vent dans la solitude sont comme l'expression d'un silence accompli.
(Sonorisez le vent, les arbres cassés et, si vous le pouvez, le silence sonore du désert)
Antonin Artaud - Le Maître de Ballantrae - Scénario d'après Stevenson déposé le 26 avril 1929.

Il y a enchassé dans Le Maître de Ballantrae(1) de Stevenson, un court récit raconté par le Maître lui même (c'est d'ailleurs le seul), et rapporté par l'un des deux narrateurs qui, pour reprendre les termes même du texte, a sur moi une singulière emprise.
Rappelons que Le Maître de Ballantrae est l'histoire d'un rivalité entre deux frères ; l'un, le Maître qui n'a rien d'autre que son esprit diabolique est un séducteur, l'autre est vertueux mais il n'attire pas la sympathie.On n'en dira pas plus si ce n'est pour dire que l'on trouve là tous les grands thèmes de Stevenson (le double, le trésor, l'Aventure) et que c'est tout simplement un chef d'oeuvre.
Revenons à notre petit récit.
Mon ami le comte, c'est ainsi qu'il commença son récit, avait pour ennemi un certain baron allemand qui ne connaissait pas bien Rome. peu importe l'origine de l'animosité du comte ; mais comme il avait la ferme intention de se venger, sans aucun risque pour lui même, il n'en dit rien au baron (...).
Un jour par hasard, le comte se promenant à cheval découvre dans les environs de Rome un petit chemin abandonné avec d'un coté un tombeau romain antique, de l'autre une maison abandonnée dans un jardin planté d'yeuses. Au bout du chemin, un champs de ruines, au milieu duquel sur le flanc d'un coteau, une porte ouverte et, non loin de là, un pin solitaire rabougri et pas plus haut qu'un framboisier. L'endroit était désert et très discret ; une voix intérieur dit au comte qu'il y avait là quelque chose d'avantageux pour lui.
Le comte poursuit ses recherches - la porte s'ouvrait sur un couloir en vieille maconnerie romaine - et découvre un puits dont les parois étaient encore bien droites et les joints lisses. Le comte reste un moment appuyé sur le garde de fou constitué d'une grille qui protège le puits, lorsque soudain celle-ci céde sous son poids. Il s'en faut d'un cheveux pour qu'il ne tombe la tête la première. Il lui vient alors une idée. Il remet le garde fou comme il l'avait trouvé, de telle sorte que le premier venu y trouverait la mort.
Le lendemain, il rencontre la baron et lui montre une vive inquiétude. L'autre lui en demande la cause, le comte se fait prier, déclare qu'il s'agit d'un rêve, et soudain comme s'il s'emballait demande à son ami de prendre garde, car c'était de lui qu'il avait rêvé. Le baron bien entendu veut connaître le rêve.
- Je vous ai vu à cheval, je ne sais où, mais je pense que c'était près de Rome, car vous aviez d'un coté un tombeau antique et de l'autre un jardin planté d'yeuses. Il me semble que je vous criais sans cesse de revenir, car j'étais au comble de la terreur. Je ne sais si vous m'entendiez, mais vous vous obstiniez à avancer . Le chemin vous conduisit à un endroit désert, parmi les ruines, où il y avait une porte à flanc de coteau et, tout près de la porte, un pin chétif. Là vous avez mis pied à terre... Vous êtes parvenu à une petite cavité où il y avait un puits avec un garde fou (...). J'eu l'impression de m'égosiller à vous mettre en garde, vous criant qu'il était encore temps, vous adjurant de quitter immédiatement ce vestibule(...). C'est alors que vous avez recu une communication. Je pense que je n'ai pas compris de quoi il s'agissait, mais la peur m'a arraché d'un coup à mon sommeil et je me suis réveillé tout tremblant et sanglotant.
Les deux amis sont d'accords pour trouver le rêve étrange - de quelle communication s'agit-il ? - et décident ne plus y faire allusion.
Quelques jours plus tard, le comte propose au baron qui accepte une promenade à cheval dans la campagne romaine. Sur le chemin du retour le comte fait montre d'agitation
"Qu'avez vous ? s'écria le baron. Que vous arrive-t-il ?" - "Rien, s'écria le comte. Ce n'est rien. Un malaise, que sais-je ? Rentrons vite à Rome !" mais pendant ce temps, le baron avait regardé autour de lui ; et là, à gauche sur la route, tandis qu'ils regagnaient Rome, il vit un petit chemin poussiéreux, avec un tombeau d'un coté et un jardin planté d'yeuses de l'autre (...).
Ils rentrent à Rome où le comte est alité.
Le lendemain, on retrouva le cheval du baron attaché au pin, mais on n'entendit plus parler du baron lui-même, à partir de ce moment là.

Trois pages où se cotoient le fantastique et le policier, où un décor rencontre une aventure, où le Mal devient objet de fascination. La perfection.
Lorsque que le narrateur reprendra le récit à son compte on apprendra que le comte et le Maître ne font probablement qu'un.
...Et maintenant, voyons était-ce un meurtre ? demanda le Maître en s'interrompant brusquement.
- Etes vous sûr que c'était un comte ? demandai-je.
- Je ne suis pas certain du titre, dit-il, mais c'était un gentilhomme de famille noble ; et Dieu vous préserve Mackellar, d'un ennemi si subtil !
En prononçant ces derniers mots, il me regardait d'en haut et souriait au-dessus de ma tête. L'instant d'après, il était sous mes pieds(2). Les yeux fixes comme un enfant, je continuais à suivre ses oscillations ; elles me donnaient le vertige, j'en avais la tête vide et je parlais comme dans un rêve. Puissance de la littérature.

(1) On conseillera l'édition et la traduction d'Alain Jumeau dans la collection Folio-Gallimard.
(2) La scène se déroule sur un bateau, le personnage épouse les mouvements du batiment.

vendredi 17 mars 2006

Boiteux


Revu Marnie de Hitchcock.
Prototype même du film pour cinéphile. Tiens ça peut-être une bonne définition du grand film malade chère à Truffaut. Le grand film malade serait un film pour cinéphile, celui où le cinéma se donnerait à voir dans toute sa nudité, au-delà de toute littérature, dans son idiotie.

Sur le site de Télérama, le dénommé Pierre Murat écrit: Ici, tout est viol et violence. Même si le dernier plan (un vrai bateau qui, soudain, remplace un décor artificiel) laisse deviner un espoir possible. C'est bien entendu faux. Il n'y a aucun espoir (le bateau bouche l'horizon) puisque tout dans ce film, y compris d'un certain point de vue le film lui même, est un désastre.

Le personnage de la mère boiteuse m'évoque la secrétaire boiteuse dans The Big Heat de Lang. Il y a dans la claudication, me semble-t-il, quelque chose d'éminemment cinématographique dans la mesure où le balancement du corps introduit une dynamique à l'intérieur du plan (le cinéma est un art du geste) et dans la mesure où cette claudication donne à voir (le cinéma est un art de l'incarnation) de façon immédiate la trace de l'irrémédiable et de l'irréparable.

Jacob demeura seul. Alors un homme lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore.
Voyant qu'il ne pouvait le vaincre, cet homme le frappa à l'emboîture de la hanche; et l'emboîture de la hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui (...).
Jacob appela ce lieu du nom de Peniel: car, dit-il, j'ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée.
Le soleil se levait, lorsqu'il passa Peniel. Jacob boitait de la hanche.
Genèse (Trad : L.Segond)

jeudi 16 mars 2006

Candid camera


©AFP/MICHEL CLÉMENT
Photo prise le 11 mars 1980 à Neuilly-sur-Seine, du comédien Jacques Legras, qui est mort le 15 mars 2006, à son domicile parisien, à l'âge de 82 ans.

mardi 14 mars 2006

Déambulation.


J'ai cru compendre que l'on me reprochait parfois de vivre entouré de mes livres, dans, pour reprendre une image plus commune, une sorte de tour d'ivoire. Why not ! Encore une fois, il me faut donc dire que les paysages que j'y entrevois, les chemins de traverse qui me font passer de la douceur d'un morne à un autre, sont effectivement parmis les plus beaux.

(...) voici l'ensemble de mes tout premiers souvenirs, ceux qui sont le plus près de la source originelle, vers ce contre-néant. Ainsi, l'état nébuleux du nouveau-né me semble toujours être une lente convalescence après une terrible maladie, et l'éloignement de la non-existence première devient une voie d'accès à cette même non-existence lorsque je fais un effort mnémonique extrême pour goûter cette obscurité et me servir de ses leçons pour me préparer à l'obscurité qui s'approche ; mais, tandis que je tourne ma vie la tête en bas de telle sorte que la naissance devient la mort, je ne parviens pas à apercevoir, à la limite de cette contre-mort, quelque chose qui puisse correspondre à la terreur infinie que même un centenaire est supposé connaître lorsqu'il fait face à la fin certaine (...).
Vladimir Nabokov - Le Don (trad R. Girard).

La nature s'est montrée la plus marâtre de l'homme,car ce qu'elle lui enlève de connaissance lorsqu'il nait, elle lui restitue quand il meurt : là parce qu'il ne perçoit pas les biens qu'il reçoit et ici parce qu'il éprouve les maux qu'il conjure.
Baltasar Gracián - Le Criticon (trad E.Sollé).

Lu dans le journal de Michel Ciry :

Cette main très personnelle et qu'aucune autre ne saurait jamais supplanter, est toujours prête à trahir. Pourquoi cette constante infidélité en puissance alors qu'elle devrait se contenter du beau rôle d'alliée indéfectible ? Peut-être y aurait-il le plus mortel des risques pour l'artiste à trouver dans sa main, cette aide magique et infaillible qui l'assurerait d'une transmission souveraine, limitant en quelque sorte la drame créateur à la pensée ; ce cap intérieur franchi, tout deviendrait jeu, d'où le péril.
Michel Ciry - Le Buisson ardent (Journal 1970).

Je ne partage pas - loin de là - tous les choix esthétiques de Michel Ciry mais je dois avouer qu'en baguenaudant dans "les espaces" dédiés à l'art contemporain être frappé - le plus souvent - par le caractère purement arbitraire de ce que j'y vois. Pourquoi ceci plutôt que cela, ceci à coté de cela, cette forme plutôt que celle là ? Le propre de l'arbitraire - qui n'est pas le hasard, ni la contrainte, de ces derniers peuvent quelque fois jaillir une rencontre - ce n'est pas qu'il offre, comme il veut nous le faire croire, une multiplicité de sens, d'émotions - mais que tout au contraire il n'offre rien.

vendredi 10 mars 2006

Être.

La maison d'un policier ayant été détruite en Corse par un attentat à l'explosif, « des sources proches de l'enquête », rapporte l'agence France-Presse, déclarent ne pas savoir « si c'est le policier en tant que policier, le continental en tant que continental, les deux, ou l'entrepreneur qui construisait la maison qui était visé».
Delfeil de Ton - Le 09/03/06

jeudi 9 mars 2006

Paon

Surpris -mais je ne devrais plus l'être - en écoutant cette jeune femme plutôt mignonette déclarer qu'elle voulait être aimée pour ce qu'elle était et non à cause de sa beauté ; lieu commun maintes fois répété : je veux être aimé pour ce que je suis et non pour... mon argent, ma gueule d'ange, mon cul, ma notoriété où mon sexe sur-dimensionné. Croyance absurde en un réel à double fond où se cacherait une essence libre de tout attribut, celle qu'il faudrait aimer.
Alors que, comme le dit si bien Baltasar Gracián : les choses ne passent pas pour ce qu'elles sont, mais pour ce qu'elles paraissent. Et qu'en conséquence nous ne pouvons aimer que l'inessentiel.

Pendant que les joueurs de l'OL jouent en silence - il fût un temps où j'aimais écouter les matchs à la radio ; aujourd'hui je garde l'image mais coupe le son - je lis et relis le chapitre XIII de L'Homme universel (1646) de Gracián dans la traduction de Joseph de Courbeville de 1723. Que ne sais-je l'espagnol !

La corneille, la plus difforme de la gent volatile et tout les autres oiseaux s'engagent en une ligue commune contre le paon. Envieux de celui-ci, de sa beauté, ils lui reprochent de faire montre d'ostentation.

Le paon est beau, disait-elle, il est joli, il est mignon. Mais il n'est plus rien de tout cela parce qu'il affecte de le paraître ; les plus rares qualités perdent leur prix lorsque l'on veut trop les montrer. C'est comme se louer soi-même que d'en user ainsi, et se louer soi-même, c'est mériter le mépris des autres.

Au départ l'envie, à l'arrivée le ressentiment, passion bizarre et renversante puisque se trouvent déniées justement les qualités enviées(1)

Car l'envie trouve toujours à quoi s'attacher pour en faire sa proie, ou d'une manière ou d'une autre (...). Passion bizarre qui fait de la félicité d'autrui et son aliment et son supplice tout ensemble (...)
Tous les oiseaux conclurent donc d'un commun accord à diminuer au paon sa beauté, si l'on ne pouvait pas la lui ôter tout à fait. Ils usèrent pour cela d'artifice, et cachèrent leur jalousie sous un crime d'orgeuil dont ils convinrent qu'ils accuseraient le paon.

D'un coté ceux pour qui la réalité se suffit à elle-même sans le secours du spectacle (je veux être aimé pour ce que je suis), de l'autre ceux pour qui la montre est comme le supplément propre à remplir un vide, et comme l'ornement et le lustre du solide.
Appelé à départager les deux camps, le renard pointe l'absurdité de la position des oiseaux. En effet le condammerait-on à ne déployer jamais son plumage, ce serait comme le condamner à ne plus respirer l'air : il lui est aussi peu possible de ne paraître point que de ne pas être paon.
Auusi le renard propose-t-il comme solution d'ordonner au paon sur les plus graves peines, de n'étaler jamais la beauté de son plumage sans jeter les yeux, à l'instant même sur la difformité de ses pieds. Je vous réponds que ce regard humiliant l'empêchera d'avoir de la vanité. Eloge de la lucidité.

On n'aura pas la prétention d'épuiser la richesse d'un tel texte, mais à propos de ce dernier point et de quelques débats récents je crains fort que de nos jours contaminés par le ressentiment de la gent volatile, nous ayons tendance à ne porter que ce regard humiliant sur la difformité de nos pieds et à oublier la beauté de notre plumage.

(1) Comment ne pas penser au Renard et à ses raisins.

Le Galand en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n'y pouvait atteindre :
Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats.

samedi 4 mars 2006

R.I.P.


Philippe Muray (1945 - 2006)

- N'avez vous pas parfois le sentiment de rendre lyrique - et donc de sublimer - la bêtise contemporaine?
- Si vous voulez dire que je lui prête mon talent, comment voulez-vous que je fasse autrement? Au moins, si cela est vrai, cette époque aura-t-elle tout de même brillé par quelque côté.

vendredi 3 mars 2006

Signe des temps

Traduction.

Le «gang des barbares» avait une prédilection pour les proies juives, parce que, selon ses membres, les Juifs «ont de l'argent». Vieille affaire, ancestral cliché. Mais cette conjonction, dans l'antisémitisme traditionnel, repose sur la haine de l'«équivalent général» . L'argent est accusé de dissoudre les liens communautaires dans l'abstraction de l'échange, de sacrifier l'héroïsme et toute forme de transcendance aux valeurs purement matérielles et de réduire l'esprit à l'esprit pratique. Le judaïsme, religion terrestre, et les Juifs, race du désert, sont accusés d'incarner la trivialité, la bassesse, la laideur d'une civilisation sans âme.Nulle trace de ce spiritualisme dévoyé dans la bande de Bagneux : ces jeunes aiment la «thune», ils n'aiment même que cela. Ils n'en veulent pas aux Juifs parce qu'ils en veulent à l'argent ; ils s'en prennent aux Juifs parce qu'ils veulent de l'argent. Le rappeur Fifty Cent est leur modèle, et ils ont pour devise «Get rich or die trying», c'est-à-dire – traduction atténuée – «réussir ou mourir». Non pas spiritualisme dévoyé, donc, mais matérialisme d'autant plus déchaîné qu'aucune mémoire historique ne peut avoir barre sur lui.
Alain Finkielkraut - Entretien donné au Figaro du 02/03/06

De fait, tout le problème est de savoir si cette traduction est atténuée ou pas. Si elle l'est, le simple fait qu'elle le soit est porteur d'espoir. Dans le cas contraire si get rich est l'équivalent de réussir et si mourir est l'équivalent de die trying (quitte à crever pour y parvenir) alors ma vie et par conséquence celle d'un autre n'a plus de prix. Puisque plus rien ne vaut, tout vaut.




Kafka (suite).
Qui se souvient de Viviane Forrester ? Philaminte qui s'était un jour piquée d'économie.

Viviane Forrester, charmant bas-bleu, qui sévit dans les gazettes littéraires, va voir Kundera, réfugié à Rennes. D'un air extatique, elle lui dit :«J'aimerais tellement apprendre le tchèque.» Surprise de Kundera : «C'est une langue difficile que j'ai eu beaucoup de mal à apprendre moi-même. Et puis ça ne peut servir à rien - quelle drôle d'idée !
- Oh, c'est que je voudrais tellement lire Kafka dans le texte!»
Matthieu Galey - Journal (17 Janvier 1978).

Mèches et crayons.
Il y a quelques années, on ne pouvait rencontrer une jeune fille sans que, toutes les cinq minutes, à l'aide de l'une de ses mains devenue une sorte de petit rateau ou un gros peigne, elle ne fit passer ses cheveux, il fallait mieux les avoir longs, de la gauche vers la droite et vice versa. La chose semble avoir complètement disparue.
Samedi dernier, j'observais quelques lycéens faisant leurs devoirs à la bibliothèque. Mon attention fut attirée par un étrange phénomène que j'avais déjà eu l'occasion de remarquer à plusieurs reprises : une facon de faire tourner son stylo ou son crayon non pas entre le pouce et l'index mais sur le pouce ; après une légère impulsion le crayon se trouve libéré, plus rien ne le retient, il repose sur le coté extérieur du pouce (la main est légèrement fermée) effectue une rotation, à la manière d'une hélice, puis il est récupéré et ainsi de suite. Le tout ne manque pas de grâce. J'avoue avoir essayé et bien entendu ne pas y être arrivé.
Trop vieux pour ça.

jeudi 2 mars 2006

W & A


A deux charmantes exégètes.

Relevé dans le journal de Matthieu Galey.

9 juillet 1958.
Cocasse formule de Frédéric II (dans une lettre à Voltaire sur Mme du Châtelet) : "J'avoue que les charmes de son esprit m'ont fait oublier sa matière."

Add : Pour situer cette cocasse formule dans son contexte, voir les commentaires de cette note.

mercredi 1 mars 2006

La Pré-Cog et l'inspectrice


La Pré-Cog.
Il y a dans Minority Report de Spielberg, revu récemment à la télévision, cette scène où Tom Cruise s'enfuit avec la Pré-Cog, sorte de pierrot lunaire douée du don de prophétie. Compte tenu de son don, la jeune femme a toujours un temps d'avance sur ses poursuivants et l'on sait l'importance de ce temps dans des jeux comme les échecs ou le go par ex. Ainsi, elle ordonnera à Cruise de s'arrêter de courir alors qu'elle voit un marchand de ballons. Ce dernier se dirigera vers les fuyards; les ballons, grosse grappe de raisins multicolores, feront office de paravent masquant la présence du couple. De même elle intimera à Cruise de prendre un parapluie sachant qu'il va pleuvoir, que des centaines de parapluies s'ouvriront et que rien ne pourra distinguer ce parapluie ci de ce parapluie là.
Ce que j'aime beaucoup dans cette scène c'est cette impression, assez rare, de voir à l'écran un personnage de fiction écrire le scénario du film auquel il participe. Scénario dans lequel tout s'emboite, tous les objets devront avoir une fonction, mais qui laisse cependant une totale liberté au personnage puisqu'il en est l'auteur ; étrange sensation d'assister à un work in progress paradoxal déja écrit mais à écrire.

L'Inspectrice.
Dimanche dernier, j'ai vu le deuxième épisode d'une nouvelle série policière américaine The Closer (L.A.Enquêtes prioritaires). La série repose sur les rapports entre une sorte de "chieuse" professionnellement efficace à la vie sentimentale chaotique et son équipe de durs à cuir agacés mais néanmoins admiratifs.They'll bring you in. She'll make you talk, nous voila prévenus. Dans l'épisode 2, l'héroïne est amenée à enquêter sur la mort d'un ex top-model. Pour ce faire elle doit reconstituer la dernière journée de la victime. Se faisant passer pour une cliente afin obtenir plus facilement des renseignements (She'll make you talk), elle ira chez le coiffeur, l'esthéticienne pour terminer dans une boutique "couture".
Ce que je touve assez beau - les diverses scènes ne sont pas sans faire songer à Pretty Woman - c'est qu'arrivée au bout de la journée elle aura la possibilité de confondre le coupable - ce dernier ayant inscrit la preuve de sa culpabilité sur le corps même de l'inspectrice - mais qu'elle sera également transformée physiquement et par là même de façon plus intime. Certains crieront au truc de scénariste - peut-être, encore que je vois pas pourquoi l'habileté serait à priori à condamner - j'y verrai pour ma part une manière fine, pour ne pas dire subtile, d'articuler le privé, l'intime avec le publique, le professionnel et d'offrir ainsi, au-delà du scénario et paradoxalement grâce au scénario, un nouvel espace de liberté au personnage.