Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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lundi 30 août 2010

Saint Simonisme (3)

Au début des Mémoires, Saint-Simon nous fait assister dans des pages fameuses aux manœuvres qui aboutirent au mariage de Philippe d'Orléans, duc de Chartres, neveu du roi et futur régent avec Mademoiselle de Blois, fille bâtarde de Louis XIV et de Mme de Montespan. Il nous livre force détails à propos de ce mariage qui l'indigne.

Un jour ou deux auparavant, Madame (la mère du Duc de Chartres) en eut le vent. Elle parla à M. son fils de l'indignité de ce mariage avec toute la force dont elle ne manquait pas, et elle en tira parole qu'il n'y consentirait point (...) M. de Chartres trouva le roi seul avec Monsieur dans son cabinet, où le jeune prince ne savait pas devoir trouver M. son père. Le roi fit des amitiés à M. de Chartres, lui dit qu'il voulait prendre soin de son établissement, que la guerre allumée de tous côtés lui ôtait des princesses qui auraient pu lui convenir; que, de princesses du sang, il n'y en avait point de son âge; qu'il ne lui pouvait mieux témoigner sa tendresse qu'en lui offrant sa fille dont les deux sœurs avaient épousé deux princes du sang, que cela joindrait en lui la qualité de gendre à celle de neveu, mais que, quelque passion qu'il eût de ce mariage, il ne le voulait point contraindre et lui laissait là-dessus toute liberté (...) Elle (Madame) lança deux regards furieux à Monsieur et à M. de Chartres, dit que, puisqu'ils le voulaient bien, elle n'avait rien à y dire, fit une courte révérence et s'en alla chez elle. M. son fils l'y suivit incontinent, auquel, sans donner le moment de lui dire comment la chose s'était passée, elle chanta pouille avec un torrent de larmes, et le chassa de chez elle. Un peu après, Monsieur, sortant de chez le roi, entra chez elle, et excepté qu'elle ne l'en chassa pas comme son fils, elle ne le ménagea pas davantage; tellement qu'il sortit de chez elle très confus, sans avoir eu loisir de lui dire un seul mot.

Saint-Simon n'a pu assister à ces diverses scènes, il nous les rapporte, les reconstitue à postériori. Rappelons que les faits se déroulent en 1692, les premières ébauches des Mémoires sont de 1694, le gros de l'écriture s'étalant entre 1729 et 1749 (ou 1750), Saint-Simon nous propose un récit historique. Il témoigne indirectement certes, ce qui n'implique pas forcément la neutralité, mais il témoigne avec style.
En 1694, pour ce qui nous semble aujourd'hui d'obscures questions de préséance, un procès oppose Saint-Simon et d'autres au Duc de Luxembourg. On ne rentrera pas ici dans les détails mais l'affaire connait quelques difficultés, notre duc se voit dans l'obligation de produire des lettres d'État qui ont un effet dilatoire et lui permettront ainsi de gagner du temps afin de mieux préparer sa défense. Ces lettres sont en possession de sa mère.

La chose pressait; je dis que ma mère avait ces lettres d'État et que je m'en allais les chercher. J'éveillai ma mère à qui je dis assez brusquement le fait. Elle, tout endormie, ne laissa pas de vouloir me faire des remontrances sur ma situation et celle de M. de Luxembourg. Je l'interrompis et lui dis que c'était chose d'honneur, indispensable, promise, attendue sur-le-champ, et, sans attendre de réplique, pris la clef du cabinet, et puis les lettres d'État, et cours encore. Ces messieurs de l'assemblée eurent tant de peur que ma mère n'y voulût pas consentir, que je ne fus pas parti qu'ils envoyèrent après moi MM. de La Trémoille et de Richelieu pour m'aider à exorciser ma mère. Je tenais déjà mes lettres d'État, comme on nous les annonça. Je les allai trouver avec les excuses de ma mère qui n'était pas encore visible. Un contre-temps qui nous arrêta un moment donna courage à ma mère de se raviser. Comme nous étions sur le degré, elle me manda que, réflexion faite, elle ne pouvait consentir que je donnasse mes lettres d'État contre un homme tel qu'était lors M. de Luxembourg. J'envoyai promener le messager, et je me hâtai de monter en carrosse avec les deux ducs qui ne se trouvèrent pas moins soulagés que moi de me voir mes lettres d'État à la main. Ce contre-temps, le dirai-je à cause de sa singularité? M. de Richelieu avait pris un lavement le matin, et sans le rendre vint de la place Royale chez Riparfonds, de là chez le premier président avec nous, et avec nous revint chez Riparfonds, y demeura avec nous à toutes les discussions, enfin vint chez moi. Il est vrai qu'en y arrivant il demanda ma garde-robe, et y monta en grande hâte; il y laissa une opération telle que le bassin ne la put contenir, et ce fut ce temps-là qui donna à ma mère celui de faire ses réflexions, et de m'envoyer redemander mes lettres d'État. S'exposer à toutes ces courses et garder un lavement un si long temps, il faut avoir vu cette confiance et ce succès pour le croire.

Saint-Simon est ici acteur, il rapporte des faits qui le concerne directement. Vivacité du récit (sans attendre de réplique, pris la clef du cabinet, et puis les lettres d'État, et cours encore), allées et venues des personnages, effet de suspense, nous sommes plongés dans cette scène qui est narrée de son point de vue, en temps réel. Et pourtant, tout n'est pas si simple. Que faire de l'énigmatique il y laissa une opération telle que le bassin ne la put contenir. Quand Saint-Simon a-t-il constaté que la merde de M. de Richelieu débordait du bassin. Même si les habitudes de l'époque peuvent prêter à discussion, il ne semble pas que Saint-Simon ait accompagné M. de Richelieu dans sa garde robe, ni qu'il ait discuté avec sa mère en présence de ce dernier. Reste que le détail n'a pu être inventé. Saint-Simon est soucieux de vérité. Est-il retourné sur place pour constater les dégâts ? s'est-il enquis de la chose auprès d'un domestique ? a-t-il interrogé M. de Richelieu ? Je n'en sais rien.
Mais il ne s'agit pas tant comme le pensait Sainte-Beuve qui lui reprochait, d'un œil grossissant mais plutôt d'une amplification du regard qui excède les catégories temporelles, et la notion même de vérité, d'une mise en place d'une tension entre le récit historique, le témoignage et d'une vérité dont l'horizon serait le néant.
Mais cette tension qui parcours toute l'œuvre peut-être a-t-elle tout simplement pour nom: littérature.

mardi 24 août 2010

Saint Simonisme (2)

Dès les premières pages, Saint Simon annonce, à contrario, son programme.

Montchevreuil était un fort honnête homme, modeste, brave, mais des plus épais. Sa femme, qui était Boucher-d'Orsay, était une grande créature, maigre, jaune, qui riait niais, et montrait de longues et vilaines dents, dévote à outrance, d'un maintien composé, et à qui il ne manquait que la baguette pour être une parfaite fée. Sans aucun esprit, elle avait tellement captivé Mme de Maintenon qu'elle ne voyait que par ses yeux, et ses yeux ne voyaient jamais que des apparences et la laissaient la dupe de tout. Elle était pourtant la surveillante de toutes les femmes de la cour, et de son témoignage dépendaient les distinctions ou les dégoûts et souvent par enchaînement les fortunes. Tout jusqu'aux ministres, jusqu'aux filles du roi, tremblait devant elle; on ne l'approchait que difficilement; un sourire d'elle était une faveur qui se comptait pour beaucoup. Le roi avait pour elle une considération la plus marquée. Elle était de tous les voyages et toujours avec Mme de Maintenon.

Aller au-delà des apparences, retourner contre le pouvoir son propre système (le pouvoir voit tout) en se mettant au centre de la mécanique et en substituant à l'illusion (le pouvoir ne voit que des illusions puisqu'il les sécrète) une acuité quasi-photographique. Au mouvant opposer la fixité du portrait qui, par la beauté de la langue, en vient à excéder le cadre. Déborder pour mieux resserrer.
Que Saint-Simon est mal élevé (Cioran).

dimanche 22 août 2010

Saint Simonisme

- J'étais à Versailles lorsque, le vendredi 27 mars, le roi fit maréchaux de France le comte de Choiseul, le duc de Villeroy, le marquis de Joyeuse, Tourville, le duc de Noailles, le marquis de Boufflers et Catinat (...) Cette promotion fit une foule de mécontents, moins de droit par mérite que pour s'en donner un par les plaintes; mais de tous ceux-là le monde ne trouva mauvais que l'oubli du duc de Choiseul, de Maulevrier et de Montal (...) Montal était un grand vieillard de quatre-vingts ans, qui avait perdu un oeil à la guerre, où il avait été couvert de coups. Il s'y était infiniment distingué, et souvent en des commandements en chef considérables. Il avait acquis beaucoup d'honneur à la bataille de Fleurus et encore plus de gloire au combat de Steinkerque, qu'il avait rétabli. Tout cria pour lui, hors lui-même. Sa modestie et sa sagesse le firent admirer. Le roi même en fut touché et lui promit de réparer le tort qu'il lui avait fait. Il s'en alla quelque peu chez lui, puis revint et servit par les espérances qui lui avaient été données et qui furent trompeuses jusqu'à sa mort.

- Le dimanche 29 novembre, le roi sortant du salut apprit, par le baron de Beauvais, que La Vauguyon s'était tué le matin de deux coups de pistolet dans son lit, qu'il se donna dans la gorge, après s'être défait de ses gens sous prétexte de les envoyer à la messe. Il faut dire un mot de ces deux hommes: La Vauguyon était un des plus petits et des plus pauvres gentilshommes de France. Son nom était Bétoulat, et il porta le nom de Fromenteau. C'était un homme parfaitement bien fait, mais plus que brun et d'une figure espagnole. Il avait de la grâce, une voix charmante, qu'il savait très bien accompagner du luth et de la guitare, avec cela le langage des femmes, de l'esprit et insinuant. Avec ces talents et d'autres plus cachés mais utiles à la galanterie, il se fourra chez Mme de Beauvais, première femme de chambre de la reine mère et dans sa plus intime confidence, et à qui tout le monde faisait d'autant plus la cour qu'elle ne s'était pas mise moins bien avec le roi, dont elle passait pour avoir eu le pucelage. Je l'ai encore vue vieille, chassieuse et borgnesse, à la toilette de Mme la dauphine de Bavière où toute la cour lui faisait merveilles, parce que de temps en temps elle venait à Versailles, où elle causait toujours avec le roi en particulier, qui avait conservé beaucoup de considération pour elle. Son fils, qui s'était fait appeler le baron de Beauvais, avait la capitainerie des plaines d'autour de Paris. Il avait été élevé, au subalterne près, avec le roi; il avait été de ses ballets et de ses parties, et galant, hardi, bien fait, soutenu par sa mère et par un goût personnel du roi, il avait tenu son coin (1), mêlé avec l'élite de la cour, et depuis traité du roi toute sa vie avec une distinction qui le faisait craindre et rechercher. Il était fin courtisan et gâté, mais ami à rompre des glaces (2) auprès du roi avec succès, et ennemi de même; d'ailleurs honnête homme et toutefois respectueux avec les seigneurs. Je l'ai vu encore donner les modes. Fromenteau se fit entretenir par la Beauvais, et elle le présentait à tout ce qui venait chez elle, qui là et ailleurs, pour lui plaire, faisait accueil au godelureau. Peu à peu elle le fit entrer chez la reine mère, puis chez le roi, et il devint courtisan par cette protection. De là il s'insinua chez les ministres. Il montra de la valeur volontaire à la guerre, et enfin il fut employé auprès de quelques princes d'Allemagne. Peu à peu il s'éleva jusqu'au caractère d'ambassadeur en Danemark, et il alla après ambassadeur en Espagne. Partout on en fut content, et le roi lui donna une des trois places de conseiller d'État d'épée, et, au scandale de sa cour, le fit chevalier de l'ordre en 1688. Vingt ans auparavant il avait épousé la fille de Saint-Mégrin dont j'ai parlé ci-devant à propos du voyage qu'il fit à Blaye de la part de la cour, pendant les guerres de Bordeaux, auprès de mon père; ainsi je n'ai pas besoin de répéter qui elle était, sinon qu'elle était veuve avec un fils de M. du Broutay, du nom de Quelen, et que cette femme était la laideur même. Par ce mariage, Fromenteau s'était seigneurifié et avait pris le nom de comte de La Vauguyon. Tant que les ambassades durèrent et que le fils de sa femme fut jeune, il eut de quoi vivre; mais quand la mère se vit obligée de compter avec son fils, ils se trouvèrent réduits fort à l'étroit. La Vauguyon, comblé d'honneurs bien au delà de ses espérances, représenta souvent au roi le misérable état de ses affaires, et n'en tirait que de rares et très médiocres gratifications. La pauvreté peu à peu lui tourna la tête, mais on fut très longtemps sans s'en apercevoir. Une des premières marques qu'il en donna fut chez Mme Pelot, veuve du premier président du parlement de Rouen, qui avait tous les soirs un souper et un jeu uniquement pour ses amis en petit nombre. Elle ne voyait que fort bonne compagnie, et La Vauguyon y était presque tous les soirs. Jouant au brelan, elle lui fit un renvi (3) qu'il ne tint pas. Elle l'en plaisanta, et lui dit qu'elle était bien aise de voir qu'il était un poltron. La Vauguyon ne répondit mot, mais, le jeu fini, il laissa sortir la compagnie et quand il se vit seul avec Mme Pelot, il ferma la porte au verrou, enfonça son chapeau dans sa tête, l'accula contre sa cheminée, et lui mettant la tête entre ses deux poings, lui dit qu'il ne savait ce qui le tenait qu'il ne la lui mit en compote, pour lui apprendre à l'appeler poltron. Voilà une femme bien effrayée, qui, entre ses deux poings, lui faisait des révérences perpendiculaires et des compliments tant qu'elle pouvait, et l'autre toujours en furie et en menaces. À la fin il la laissa plus morte que vive et s'en alla. C'était une très bonne et très honnête femme, qui défendit bien à ses gens de la laisser seule avec La Vauguyon, mais qui eut la générosité de lui en garder le secret jusqu'après sa mort, et de le recevoir chez elle à l'ordinaire, où il retourna comme si de rien n'eût été. Longtemps après, rencontrant sur les deux heures après midi M. de Courtenay, dans ce passage obscur à Fontainebleau, qui, du salon d'en haut devant la tribune, conduit à une terrasse le long de la chapelle, lui fit mettre l'épée à la main, quoi que l'autre lui pût dire sur le lieu où ils étaient et sans avoir jamais eu occasion ni apparence de démêlé. Au bruit des estocades, les passants dans ce grand salon accoururent et les séparèrent, et appelèrent des Suisses de la salle des gardes de l'ancien appartement de la reine mère, où il y en avait toujours quelques-uns et qui donnait dans le salon. La Vauguyon, dès lors chevalier de l'ordre, se débarrassa d'eux et courut chez le roi, tourne la clef du cabinet, force l'huissier, entre, et se jette aux pieds du roi, en lui disant qu'il venait lui apporter sa tête. Le roi, qui sortait de table, chez qui personne n'entrait jamais que mandé, et qui n'aimait pas les surprises, lui demanda avec émotion à qui il en avait. La Vauguyon, toujours à genoux, lui dit qu'il a tiré l'épée dans sa maison, insulté par M. de Courtenay, et que son honneur a été plus fort que son devoir. Le roi eut grand'peine à s'en débarrasser, et dit qu'il verrait à éclaircir cette affaire, et un moment après les envoya arrêter tous deux par des exempts du grand prévôt, et mener dans leurs chambres. Cependant on amena deux carrosses, qu'on appelait de la pompe, qui servaient à Bontems et à divers usages pour le roi, qui étaient à lui, mais sans armes et avaient leurs attelages. Les exempts qui les avaient arrêtés les mirent chacun dans un de ces carrosses et l'un d'eux avec chacun, et les conduisirent à Paris à la Bastille, où ils demeurèrent sept ou huit mois, avec permission au bout du premier mois d'y voir leurs amis, mais traités tous deux en tout avec une égalité entière. On peut croire le fracas d'une telle aventure: personne n'y comprenait rien. Le prince de Courtenay était un fort honnête homme, brave, mais doux, et qui n'avait de la vie eu querelle avec personne. Il protestait qu'il n'en avait aucune avec La Vauguyon, et qu'il l'avait attaqué et forcé de mettre l'épée à la main, pour n'en être pas insulté; d'autre part on ne se doutait point encore de l'égarement de La Vauguyon, il protestait de même que c'était l'autre qui l'avait attaqué et insulté: on ne savait donc qui croire, ni que penser. Chacun avait ses amis, mais personne ne put goûter l'égalité si fort affectée en tous les traitements faits à l'un et à l'autre. Enfin, faute de meilleur éclaircissement et la faute suffisamment expiée, ils sortirent de prison, et peu après reparurent à la cour. Quelque temps après, une nouvelle escapade mit les choses plus au net. Allant à Versailles, La Vauguyon rencontre un palefrenier de la livrée de M. le Prince, menant un cheval de main tout sellé, allant vers Sèvres et vers Paris. Il arrête, appelle, met pied à terre et demande à qui est le cheval. Le palefrenier répond qu'il est à M. le Prince. La Vauguyon lui dit que M. le Prince ne trouvera pas mauvais qu'il le monte, et saute au même temps dessus. Le palefrenier bien étourdi ne sait que faire à un homme à qui il voit un cordon bleu par-dessus son habit et sortant de son équipage, et le suit. La Vauguyon prend le petit galop jusqu'à la porte de la Conférence, gagne le rempart et va mettre pied à terre à la Bastille, donne pour boire au palefrenier et le congédie. Il monte chez le gouverneur à qui il dit qu'il a eu le malheur de déplaire au roi et qu'il le prie de lui donner une chambre. Le gouverneur bien surpris lui demande à son tour à voir l'ordre du roi, et sur ce qu'il n'en a point, plus étonné encore, résiste à toutes ses prières, et par capitulation le garde chez lui en attendant réponse de Pontchartrain, à qui il écrit par un exprès. Pontchartrain en rend compte au roi, qui ne sait ce que cela veut dire, et l'ordre vient au gouverneur de ne point recevoir La Vauguyon, duquel, malgré cela, il eut encore toutes les peines du monde à se défaire. Ce trait et cette aventure du cheval de M. le Prince firent grand bruit et éclaircirent fort celle de M. de Courtenay. Cependant, le roi fit dire à La Vauguyon qu'il pouvait reparaître à la cour, et il continua d'y aller comme il faisait auparavant, mais chacun l'évitait et on avait grand'peur de lui, quoique le roi par bonté affectât de le traiter bien. On peut juger que ces dérangements publics n'étaient pas sans d'autres domestiques qui demeuraient cachés le plus qu'il était possible. Mais ils devinrent si fâcheux à sa pauvre femme, bien plus vieille que lui et fort retirée, qu'elle prit le parti de quitter Paris et de s'en aller dans ses terres. Elle n'y fut pas bien longtemps, et y mourut tout à la fin d'octobre, à la fin de cette année. Ce fut le dernier coup qui acheva de faire tourner la tête à son mari: avec sa femme il perdait toute sa subsistance; nul bien de soi et très peu du roi. Il ne la survécut que d'un mois. Il avait soixante quatre ans, près de vingt ans moins qu'elle, et n'eut jamais d'enfants. On sut que les deux dernières années de sa vie il portait des pistolets dans sa voiture et en menaçait souvent le cocher ou le postillon, en joue, allant et venant de Versailles. Ce qui est certain c'est que, sans le baron de Beauvais qui l'assistait de sa bourse et prenait fort soin de lui, il se serait souvent trouvé aux dernières extrémités, surtout depuis le départ de sa femme. Beauvais en parlait souvent au roi, et il est inconcevable qu'ayant élevé cet homme au point qu'il avait fait et lui ayant toujours témoigné une bonté particulière, il l'ait persévéramment laissé mourir de faim et devenir fou de misère.

(1) Parler à propos.
(2) S'engager dans une démarche hardie, entamer une explication délicate.
(3) Une enchère.

Du premier extrait, j'aime la tonalité mélancolique (hors lui-même). Du second, son acuité, vieille, chassieuse, borgnesse, compote et surtout révérences perpendiculaires.

mardi 3 août 2010

Inception.



Un type (Di Caprio excellent) manque de faire rater une mission (certes un peu compliquée) qui lui a été confiée parce qu'il n'a pas su faire son travail de deuil (M. Cotillard un mystère) comme on dit au journal de 20h. Tout est bien qui finira bien (quoique). Bref, c'est raté.
Bien entendu, le film n'est pas un "film de rêves" mais plutôt un film de mission (dont l'un des prototypes pourrait être Les 12 salopards), genre lui même issue du "film de casse", sur lequel se greffe une histoire d'amour fou (dans le sens que donnaient les surréalistes à ces mots,un amour plus fort que l'oubli, plus fort que la mort, que l'on songe au Portrait de Jennie (1948) de Dieterle par ex). C'est à cette aune qu'il doit être jugé.
Force est de constater qu'Inception manque singulièrement de lyrisme (certaines scènes avec Cotillard dégage autant d'émotion qu'une pub pour un parfum de luxe), que les scènes d'action sont particulièrement ineptes (de ce point de vue, la scène finale dans des paysages enneigés avec poursuite à ski est une catastrophe).
Le problème du film, c'est que sa structure en est le Mc Guffin (ce qui intéresse les personnages et n'a aucune importance pour le narrateur selon la définition de Hitchcock, or ici c'est le contraire qui est énoncé) d'où le peu d'intérêt que l'on porte aux diverses péripéties.
Plus grave la fameuse bonne idée du film qui l'organise tout entier, celle des rêves enchâssés et des différences temporelles ( une action prendra un temps T dans la réalité, un temps T à la puissance n dans le rêve 1, un temps T à la puissance n au carré dans le rêve 2, T à la puissance n au cube dans le rêve 3 et ainsi de suite) conduit à délayer l'action dans le rêve le plus profond (le rêve 3). D'autant que Nolan, malgré les paillettes de son scénario, tient à garder une grande lisibilité, chaque niveau de "réalité" étant facilement identifiable, c'est cette lisibilité (obtenue par le recours à un montage parallèle) qui finit par provoquer un ennui certain (cf la fameuse séquence "enneigée" qui n'en finit pas de durer).
Mais il est peut-être une façon de sauver le film, celle du constat amer qui consiste à prendre note de la pauvreté de l'imaginaire produit par la vision des mauvais films d'action. Mais je crois pas vraiment que cela fut dans les intentions de C. Nolan.