Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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mardi 30 novembre 2010

Du code.



A Julien.

Ce matin sur France-Culture, un intervenant faisait la remarque, à propos de Wikileaks, selon laquelle il était tout de même étonnant qu'un soldat de de première classe, n'importe qui a-t-il précisé, ait pu avoir accès aux notes diplomatiques du Pentagone. Le problème est que ce simple troufion n'est justement pas n'importe qui. Ce qui le distingue c'est qu'il possède une langue qui reste inconnue à la plupart d'entre nous, qu'il la manie mieux que certains. Cette langue c'est le code informatique. Au fond le désarroi que ressentent les journalistes, les hommes politiques et d'autres (ou ce qui en est que le simple revers : cette volonté de monter dans le train en marche coûte que coûte) n'est que le sentiment d'impuissance face à la perte de pouvoir d'une langue qui longtemps fut dominante, ce sentiment d'impuissance face à la substitution d'une langue (la mienne) par une autre.

dimanche 28 novembre 2010

Notes dominicales (2).

J-J.G. jeune critique de cinéma ne jure que par la modernité du réalisateur Tony Scott. Je me dois d'avouer que je ne comprends pas très bien ce que recouvre ce mot. Ou plutôt à l'heure où le mot d'ordre rimbaldien - il faut absolument être moderne. - est devenu un impératif catégorique, où tout est moderne, de la politique au premier gadget venu, en quoi peut consister une modernité qui ne se construirait pas contre un ordre ancien ou existant puisque c'est là sa définition même.
A moins que par modernité, il ne faille entendre ce qui est dans l'air du temps, qui est le reflet du monde qui nous entoure. Ce qui n'est qu'une autre façon de dire, pour reprendre l'exemple cité, que Tony Scott est un cinéaste voué inexorablement à être démodé.

Un peu pour comprendre l'intérêt que peuvent y trouver certains de mes amis, je jette un coup d'œil à la série de Harry Potter. Quelle ne fut pas ma surprise de lire dans les premières phrases du tome 1 la phrase suivante : When Mr. and Mrs. Dursley woke up on the dull, gray Tuesday our story starts... Pourquoi diable cette intervention du narrateur à l'intérieur du texte ? Cette mise à distance par laquelle il pense échapper à l'accusation d'arbitraire (ceci n'est qu'une histoire, une histoire inventée, nôtre histoire) alors même que le genre, qui plus est destiné à de jeunes lecteurs, repose sur la croyance. Mais il est vrai que la modernité construite en opposition à la conception romanesque du XIXème siècle, retrouvant les leçons d'un Cervantès ou d'un Sterne, nous a appris à ne plus croire. Il n'en reste pas moins que ce qui peut apparaître comme un manquement à la logique interne du récit, manquement qui n'a guère eu de conséquence, ou pour le dire autrement la perte de la bonne distance, renvoie au pire à une certaine trivialité et au mieux à la fébrilité de la romancière (à la décharge de J.K. Rowling, je ne crois pas avoir retrouvé de procédés de ce type dans les ouvrages suivants).

Mon personnage n'écrit pas. Ce que vous lisez, c'est de la pensée en action. A aucun moment, le personnage n'a conscience d'écrire, ou plutôt d'être écrit.
Marc-Edouard Nabe.
Pour le coup on est en pleine illusion et force est de constater que les leçons du Don Quichotte ont été perdues.

lundi 22 novembre 2010

Notes dominicales.

Le malheur de Madame Bovary ce n’est pas son imagination mais Flaubert (à la manière de Franz K.)

Point de métaphore dans La Métamorphose puisque que le texte lui-même en son entier est la mise en forme d'une métaphore, puisqu'il s'agit pour Kafka de prendre l'image au mot.

Et ce fut pour eux comme une confirmation de leurs nouveaux rêves et de leurs beaux projets quand, au moment d'arriver, leur fille se leva la première et déploya son jeune corps. (La Métamorphose, 1912).
Quand à la cage, on y fit entrer une jeune panthère (...) ce noble corps qui possédait en lui-même, presque jusqu'à l'excès, tout ce qui lui était nécessaire, semblait transporter aussi sa liberté avec lui...(Un artiste du jeûne, 1924).
Dernières lignes. Triomphe de la vie.
D'un coté, le retour à la vie normale dans La Métamorphose est associé à une écriture fonctionnelle (Ils s'assirent donc à une table et écrivirent trois lettres d'excuses : M. Samsa à sa Direction, Mme Samsa à son Patron, et Gretel à son Chef) et de soumission. De l'autre, le caractère absolu de l'œuvre de l'artiste du jeûne, son refus de la vie au nom de son art, conduit à son auto-dissolution et au bout du compte à sa perte. (« Débarrassez-moi un peu tout ça ! » dit le surveillant, et l'on enterra l'artiste du jeûne avec la paille).
Échec de l'écriture.

Récit fascinant, en ce qu'il ne nous fournit aucune explication de type psychologique ou morale, que celui du lévite d'Ephraïm, (Juges (19-21). Le texte marqua Rousseau au point qu'il en donna en 1762 sa propre version.
Histoire d'un homme qui sur le chemin qui le ramène chez lui, - il est parti récupérer sa concubine, après avoir été quitté, chez le père de cette dernière -, trouve l'hospitalité dans le village de Guibéa. Au cours de la nuit, la maison qui l'abrite est assiégée par un groupe d'hommes de la tribu de Benjamin qui cherchent à le violer. Le maître de la maison propose alors de leur donner sa fille vierge et la femme du lévite. Après des tergiversations, le lévite (ou son hôte) saisit la concubine, la livre aux hommes qui s'en amusèrent toute la nuit. Au matin alors que le lévite s'apprête à partir, il aperçoit la femme qui git sur le seuil de la porte. Il lui ordonne de se lever, elle ne peut le faire, la prend et la ramène chez lui. A son arrivée, il prend un coutelas, saisit sa concubine et la morcelle, suivant ses os en douze morceaux qu'il envoie par la suite aux douze tribus d'Israël (y compris la tribu de Benjamin) afin de réclamer vengeance. S'ensuit une guerre opposant l'ensemble des tribus à la tribu de Benjamin qu'elle finira par perdre. Menacée d'extinction (les hommes d'Israël avaient juré par serment de ne pas donner leurs filles pour femme à un membre de la tribu), il sera alors donné aux Benjaminites les femmes de Yabech auprès desquelles il a été opéré une razzia ainsi que les filles de Silo qu'ils ont été autorisés à enlever. Saül, premier roi d'Israël, descendra de ces hommes.
Au corps démembré de la femme, paradoxalement le texte ne lui donne véritablement un corps qu'au moment de son viol (et au début de l'histoire pour expliquer son départ : sa concubine putasse contre lui dans la traduction de Chouraqui) et de son dépeçage, au corps démembré se superpose donc la dislocation sociale (En ce temps-là, il n'y avait point de roi en Israël. Chacun faisait ce qui lui semblait bon).
A l'origine de l'ordre, la violence sexuelle.

N'empêche : quand je lis (...) dans Balzac : « Elle avait ce pas léger qui est propre à toutes les Parisiennes entre 10 heures et 10 h 1/4 du matin... » - la niaiserie du propos - (...) toutes les Parisiennes à la même heure exactement ! - me fait tomber le livre des mains (après quoi il est vrai je le reprends et recommence à le dévorer). (Marthe Robert, Livre de lectures).
La chose était il est vrai fort niaise mais d'où pouvait provenir cette citation ?
Une recherche me renvoya à Max Brod !

Il n'existe pas de contraste plus frappant que la fausse exactitude de Balzac, ses superlatifs, et ses généralisations (ceci par exemple : « Elle avait ce pas léger qui est propre à toutes les Parisiennes entre 10 heures et 10 h 1/4 du matin.») Max Brod, Franz Kafka.

Aucune trace, à ma connaissance, d'une telle citation dans l'œuvre de Balzac. Marthe Robert, spécialiste de Kafka, avait lu la phrase dans le livre de Brod et l'avait mise en scène afin de créer l'illusion.
Reste à savoir où M. Brod l'avait lue, ou plutôt, comme je le pense en l'état de mes investigations, comment il en était arrivé à l'imaginer (parodie ?).

dimanche 7 novembre 2010

A Paris.

A G*** chasseur de fantômes.

Soirée parisienne. Petits bourgeois, la trentaine, blancs, cinéphiles dont on se demande quel rapport ils entretiennent avec le monde. La soirée est organisée en soutien à une revue de cinéma publiée sur le net. La plupart des filles sont très jolies. L'une qui l'est tout particulièrement arbore une moue boudeuse à la manière d'un accessoire de mode. Une autre, brune, les cheveux frisés semble tout droit sortie d'un film d'Eric Rohmer : cette étrange façon de laisser trainer la phrase puis, avant que le silence ne s'installe, de la clore avec une certaine brusquerie afin de passer à la suivante. Le tout allié à une irrésistible envie de danser. Par je ne sais quel cheminement le nom de Kafka est prononcé. Elle ne l'aime pas.

La question de la culpabilité ou de la non-culpabilité de K dans Le procès a fait couler beaucoup d'encre. Pour certains, à commencer par Max Brod, K est coupable, coupable de quelque chose (pour Brod de son incapacité à aimer), pour d'autres (Kundera par ex) K est un innocent qui a été culpabilisé. Pour ma part, il me semble que tout le génie de Kafka, et tout le trouble que procure le roman, consiste justement en le fait que K est coupable mais qu'il n'est coupable de rien. Tout le roman consistera à faire tenir ce qui apparaît comme une contradiction, un culpabilité sans objet. Le drame de K, c'est qu'il doit avouer - jamais roman n'aura montrer de façon aussi nette la prégnance du social -, qu'il lui faut avouer mais qu'il ne peut le faire puisqu'il n'y a rien à avouer. Et que c'est ce rien qui constitue sa faute.

La jeune femme continuait de nous entretenir de littérature. Un critique fit son entrée.

Drôle de chapitre que ce chapitre 5 du Procès intitulé Le fouetteur (assez curieusement Kundera dans son analyse (in Les testaments trahis, Gallimard) ne le mentionne pas et dans sa description des divers stades du roman passe directement de la première convocation à la venue de l'oncle). K est fondé de pouvoir dans une banque. Passant dans un corridor, il entend pousser des soupirs derrière une porte qui, le croit-il, donne sur un débarras. Etonné, il ouvre et découvre un homme habillé de cuir, ayant donc toute l'apparence d'un bourreau, qui s'apprête à fouetter deux hommes qui ne sont que les mêmes venus l'arrêter un matin. K s'étant plaint de l'attitude de ces hommes, il les a accusé de prévarication, ceux ci subissent leur châtiment. Du rôle de victime, K est passé à celui d'accusateur, sous les ors de la banque et de ce qui apparaît comme le symbole du rationalisme et la modernité règne l'archaïsme. K est fasciné par la scène, mélange de voyeurisme et de répulsion ; le lendemain il reviendra dans le débarras et comme pour la première fois, il refermera la porte faisant tout pour que les cris ne soient pas entendus. Présence de l'archaïque dans le monde social et la conscience individuelle, si K verrouille le cagibi, Kafka lui laisse la porte grande ouverte.

La soirée se languissait, l'ennui commençait à poindre, la musique devenait de plus en plus forte mais n'était que forte. G*** et moi, nous décidâmes de partir.
Sur le Bld Barbès deux putes congolaises assises sur un banc, le regard vague, les yeux globuleux, attendent.