A G*** chasseur de fantômes.

Soirée parisienne. Petits bourgeois, la trentaine, blancs, cinéphiles dont on se demande quel rapport ils entretiennent avec le monde. La soirée est organisée en soutien à une revue de cinéma publiée sur le net. La plupart des filles sont très jolies. L'une qui l'est tout particulièrement arbore une moue boudeuse à la manière d'un accessoire de mode. Une autre, brune, les cheveux frisés semble tout droit sortie d'un film d'Eric Rohmer : cette étrange façon de laisser trainer la phrase puis, avant que le silence ne s'installe, de la clore avec une certaine brusquerie afin de passer à la suivante. Le tout allié à une irrésistible envie de danser. Par je ne sais quel cheminement le nom de Kafka est prononcé. Elle ne l'aime pas.

La question de la culpabilité ou de la non-culpabilité de K dans Le procès a fait couler beaucoup d'encre. Pour certains, à commencer par Max Brod, K est coupable, coupable de quelque chose (pour Brod de son incapacité à aimer), pour d'autres (Kundera par ex) K est un innocent qui a été culpabilisé. Pour ma part, il me semble que tout le génie de Kafka, et tout le trouble que procure le roman, consiste justement en le fait que K est coupable mais qu'il n'est coupable de rien. Tout le roman consistera à faire tenir ce qui apparaît comme une contradiction, un culpabilité sans objet. Le drame de K, c'est qu'il doit avouer - jamais roman n'aura montrer de façon aussi nette la prégnance du social -, qu'il lui faut avouer mais qu'il ne peut le faire puisqu'il n'y a rien à avouer. Et que c'est ce rien qui constitue sa faute.

La jeune femme continuait de nous entretenir de littérature. Un critique fit son entrée.

Drôle de chapitre que ce chapitre 5 du Procès intitulé Le fouetteur (assez curieusement Kundera dans son analyse (in Les testaments trahis, Gallimard) ne le mentionne pas et dans sa description des divers stades du roman passe directement de la première convocation à la venue de l'oncle). K est fondé de pouvoir dans une banque. Passant dans un corridor, il entend pousser des soupirs derrière une porte qui, le croit-il, donne sur un débarras. Etonné, il ouvre et découvre un homme habillé de cuir, ayant donc toute l'apparence d'un bourreau, qui s'apprête à fouetter deux hommes qui ne sont que les mêmes venus l'arrêter un matin. K s'étant plaint de l'attitude de ces hommes, il les a accusé de prévarication, ceux ci subissent leur châtiment. Du rôle de victime, K est passé à celui d'accusateur, sous les ors de la banque et de ce qui apparaît comme le symbole du rationalisme et la modernité règne l'archaïsme. K est fasciné par la scène, mélange de voyeurisme et de répulsion ; le lendemain il reviendra dans le débarras et comme pour la première fois, il refermera la porte faisant tout pour que les cris ne soient pas entendus. Présence de l'archaïque dans le monde social et la conscience individuelle, si K verrouille le cagibi, Kafka lui laisse la porte grande ouverte.

La soirée se languissait, l'ennui commençait à poindre, la musique devenait de plus en plus forte mais n'était que forte. G*** et moi, nous décidâmes de partir.
Sur le Bld Barbès deux putes congolaises assises sur un banc, le regard vague, les yeux globuleux, attendent.