Cela est bien dit, répondit Candide, mais il faut cultiver notre jardin
Voltaire - Candide.

Théodore fit le voyage à Athènes. On lui ordonna de coucher dans le temple de la Déesse. En songeant, il se trouva transporté dans un pays inconnu. Il avait là un palais d'un brillant inconcevable et d'une grandeur immense. La déesse Pallas parut à la porte, environnée de rayons d'une majesté éblouissante. Elle toucha le visage de Théodore d'un rameau d'olivier qu'elle tenait dans la main. Le voilà devenu capable de soutenir le divin éclat de la fille de Jupiter, et de tout ce qu'elle devit lui montrer. Jupiter qui vous aime (lui dit-elle) vous a recommandé à moi pour être instruit. Vous voyez ici le Palais des destinées dont j'ai la garde. Il y a des représentations, non seulement de ce qui arrive, mais encore de tout ce qui est possible. Jupiter, en ayant fait la revue avant le commencement du Monde existant, a digéré les possibilités en Mondes, et il a fait le choix du meilleur de tous. Il vient quelque fois visiter ces lieux pour se donner le plaisir de récapituler les choses et de renouveller son propre choix où il ne peut que se complaire. Je n'ai qu'à parler, et nous allons voir tout un Monde, que mon père pouvait produire, où se trouvera représenté tout ce qu'on peut demander ; et par ce moyenon peut savoir encore ce qui arriverait, si telle ou telle possibilité devait exister. Et quand les conditions ne seront pas assez déteminées, il y aura autant qu'on voudra de tels Mondes différents entre eux, qui répondront différemment à la même question, en autant de manières qu'il est possible. Vous avez appris la Géométrie, quand vous étiez encore jeune, comme tous les Grecs bien nés. Vous savez donc que lorsque les conditions d'un point qu'on demanden ne le déterminent pas assez, et qu'il y en a une infinité, ils tombent tous dans ce que les Géomètres appellent un lieu, et ce lieu (qui est souvent une ligne) sera déterminé. Ainsi vous pouvez vous figurer une suite réglée de Mondes, qui contiendront tous et seuls le cas dont il s'agit, et en varieront les circonstances et les conséquences. Mais si vous posez un cas qui ne diffère du Monde actuel que dans une seule chose définie et ses suites, un certain monde déterminé vous répondra. Ces Mondes sont tous ici, c'est à dire en idées. Je vous en montrerai, où se trouvera, non pas tout à fait le même Sextus que vous avez vu, (cela ne se peut, il porte toujours avec lui ce qu'il sera) mais des Sextus approchants, qui auront tous ce que vous connaissez déjà du véritable Sextus, mais non pas ce qui est déjà dans lui, sans qu'on en s'apercoive, ni par conséquent tout ce qui lui arrivera encore. Vous touverez dans un Monde un Sextus fort heureux et élevé, dans un autre un Sextus content d'un état médiocre, des Sextus de toute espèce et d'une infinité de façons.
La-dessus la Déesse mena Théodore dans un des appartements. Quand il y fut, ce n'était plus un appartement, c'était un Monde. Par l'ordre de Pallas on vit paraître Dodone avec le temple de Jupiter, et Sextus qui en sortait : on l'entendait dire qu'il obéirait au Dieu. Le voilà qui va à une ville placée entre deux mers, semblable à Corinthe. Il y achète un petit jardin ; en le cultivant il trouve son trésor, il devient un homme riche, aimé, considéré ; il meurt dans une grande vieillesse, chéri de toute la ville. Théodore vit toute sa vie comme d'un coup d'oeil et comme une représentation de théâtre (...) On passa dans un autre appartement, et voilà un autre Monde, un autre Sextus, qui sortant du temple, et résolu d'obéir à Jupiter, va en Thrace. Il y épouse la fille du Roi, qui n'avait point d'autres enfants, et lui succède. On allait en d'autres chambres, et on voyait toujours de nouvelles scènes.
Leibnitz - Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal.