Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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dimanche 28 février 2010

Tors.


Un assassinat est toujours un problème de chambre close. Et la chambre close, c'est le cerveau du criminel.

Shutter Island est peut-être un film en partie raté mais il n'en reste pas moins remarquable.
En premier lieu parce qu'il est porté par le meilleur acteur de sa génération (Di Caprio) et aussi parce qu'il contient en son début et sa fin des éclats que nous ne sommes pas près d'oublier.
Entre ce début et cette fin, Scorsese aura tenté de répondre à la fameuse question Hitchcockienne, celle du point de vue. Ce sont ces diverses réponses, la tension qu'il organise entre elles qui font l'intérêt du film.
D'abord le maniérisme (littéralement à la manière de - le classicisme des cadrages, le découpage années 40, le film se donne d'emblée comme "mise en scène") pose le regard du metteur en scène, mais un regard "joué". Il y a là une intelligence du cinéma - à mille lieues du fun de certains films de Tarantino - dont on trouve l'expression dans la précision de la photographie alliée, dans le même temps, au sentiment qu'elle possède en elle le pouvoir de se dissoudre. Tel un fantôme venu du brouillard, un fantôme incarné, le personnage principal (Teddy Daniels) surgit du blanc de l'écran.
Puis vient le temps du regard de Teddy Daniels, (toute la partie centrale du film, la plus faible), celui de sa mémoire blessée par la connaissance qu'il a du mal, celui du baroque qui par retournement essaye rendre tangible les "visions" (la mise en scène s'organise autour de ce regard).
Le troisième temps sera celui de la résolution dialectique, celui d'un regard qui transcende celui du metteur en scène et celui du personnage, le temps de l'apaisement (la dernière séquence est admirable).
Les films étant de plus en plus mal vus, on n'a peut-être pas assez remarqué qu'au twist scénaristique (présent dans le roman), Scorsese ajoute un twist final (absent du roman de Lehane) qui fait de Teddy Daniels l'acteur conscient de sa propre fiction (Caprio est là à son meilleur) et c'est dans ce jeu qu'il pourra trouver sa liberté, celle qui lui permettra de quitter l'ile, de bloquer ainsi la réitération du cycle, celle d'un corps devenu maître de sa propre dissolution. Enfin libre.

dimanche 21 février 2010

Lettre à mon filleul.

Peut-être as tu, mon très cher filleul, entendu les pépiements qui ont accompagné l'initiative de l'enseigne de restauration rapide Quick, de ne vendre que de la viande halal dans huit de ses établissements. Je dois t'avouer que j'ai été quelque peu surpris par certaines de ces réactions.
Comme tu le sais, je suis partisan que tous les oiseaux puissent s'exprimer, quelque soit l'extravagance de leur chant, et sur ce point j'admire la simplicité de nos amis américains, mais faut-il encore que ces chants soient justes. Ou pour le dire autrement, je leur demande un minimum de cohérence.
Quand tu viendras à Paris, ta marraine est impatiente de te voir, tu pourras constater que la totalité des Grecs, c'est ainsi qu'on appelle ici les établissements tenus principalement par des turcs, où l'on peut manger des kebabs, sont certifiés halal. De même, si j'ose dire, les falafels du quartier du Marais, ainsi que les produits des épiceries, boulangeries et autres reçoivent la bénédiction du Beth Din. Il me semble qu'au jour d'aujourd'hui personne n'a jamais trouvé à y redire et je vois mal qui prônera la fermetures de tous ces commerces. En passant, lors de ta prochaine visite, je te saurais gré de ne pas trop faire allusion à ces divers mets (falafel, kebab...) ; ils me sont interdits car trop gras, et ta marraine risque de me faire les gros yeux.
La plupart des critiques se fondent sur la fameuse notion de laïcité dont on ne rappellera jamais assez qu'elle trouve son expression dans un principe et un seul, celui de la neutralité de l'État. On voit donc mal comment une entreprise régie par le droit privé peut mettre à mal la laïcité. Passons également sur le fait que la plupart de ceux qui souhaitent une intervention de l'État sont les mêmes qui, par ailleurs, sont les chantres de la libre entreprise dont on sait qu'elle repose sur la recherche de l'adéquation entre une demande et une offre. Je ne suis pas moi-même un fanatique partisan de l'école autrichienne, mais il me paraîtrait bizarre que l'État s'immisce dans la confection de hamburgers.
Reste un dernier argument, celui d'une éventuelle discrimination (une gazette du matin m'informe que la mairie de Roubaix aurait ouvert une procédure pour ce motif). Cet argument me semble le signe de la faiblesse de mes contemporains. En effet, soit je suis athée et je ne vois là que prolifération d'une certaine forme de pensée magique que je considère comme inopérante et dont je ne n'ai que faire. Ou bien, je suis chrétien et alors en quoi suis-je discriminé ?
Je croyais que le christianisme était la religion de la sortie du rituel alimentaire et qu'à la Loi, il avait substitué l'Amour. Le Très Saint Père a écrit de belles pages là-dessus.
Il te faut, mon cher filleul, pour bien comprendre, revenir à l'Évangile de Marc. On peut y lire ces paroles du Christ :
- Et il leur dit : " Vous aussi, vous êtes à ce point sans intelligence ? Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui pénètre du dehors dans l'homme ne peut le souiller, parce que cela ne pénètre pas dans le cœur, mais dans le ventre, puis s'en va aux lieux d'aisance ainsi il déclarait purs tous les aliments.(Marc 7:18-19).
Paradoxalement pour un chrétien, se sentir discriminé c'est reconnaître à contrario le caractère impur de la viande halal ou kascher mais c'est aussi de facto oublier le message de Jésus. C'est au fond, rendre valide ce qu'Il a voulu abolir.
Je ne peux m'empêcher d'y voir une certaine forme de défaite.
Il est temps de te quitter, ta marraine m'indique que le plat de pâtes et de jambon (du porc !) est prêt.
Nous t'embrassons fort,
Bien à toi.