Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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jeudi 22 mars 2007

Continuité.


Les cinéastes font les films que les gens ont envie qu'ils fassent. Donc si les films sont mauvais, c'est que les cinéphiles sont mauvais. Je le crois profondément : les films sont mauvais si les spectateurs sont mauvais.
Louis Skorecki (in Les Inrockuptibles - mars 2007).

Dimanche 18 mars.
Relevé dans le classique Shakespeare, dramaturge élisabéthain d'Henri Fluchère (acquis ce dimanche pour 1 euro à la brocante de Garches dans l'édition des Cahiers du Sud -1948, état médiocre, la couverture est maculée dans le coin supérieur droit par ce ce qui semble être une tâche de graisse) :
Shakespeare écrit pour la populace comme pour le courtisan (...). Non, il n'y a pas de solution de continuité, pas de rupture entre le public cultivé et la populace.
Point de rupture donc, car populace et public cultivé ont, dans ces temps élisabéthains, en commun une qualité de langage. Et à cette qualité de langage correspond, non pas comme un reflet mais dans une sorte de continuité, il ne faut pas confondre la carte et le territoire, correspond donc une qualité des auteurs. Nécessité donc d'une langue commune, d'un monde commun, au-delà des mémoires identitaires, particulières et larmoyantes, sur lequel on peut espèrer voir fleurir toute la promesse de nos fleurs en boutons (...all our buds from growing).
Mais le vent qui souffle alentour, si on en croit un historien, Pierre Nora dans le journal Le Monde du même jour, est plutôt du genre mauvais (the tyrannous breathing of the north) :
Mais pour moi la nation selon Renan est morte. Cette vision correspond à l'ancienne identité nationale, celle qui associait le passé et l'avenir dans un sentiment de continuité, de filiation et de projet. Or ce lien s'est rompu, nous faisant vivre dans un présent permanent.
Un présent qui ne représente plus que lui même.
Un monde commun, comment ne pas songer alors à ce que Proust nommait la grande démocratie silencieuse et aussi à ce que Bloy appelle parenté surnaturelle et spirituelle.

Selon la parenté spirituelle qui m'est inexorablement cachée, il y a peut-être, en quelque désert, un sauvage horrible de qui l'âme est soeur jumelle de la mienne, et il se peut que nos deux âmes soient, en même temps, cousines-germaines de celle de l'odieux Guillaume de Hohenzollern ou de tout autre impardonnable profanateur de la Face du Dieu Vivant qui le fit à sa Ressemblance.
Tout cela est certainement possible, et j'ose dire, du fond de mes ténèbres, que plus ces rapprochements font peur, plus ils sont probables.
Léon Bloy - Méditations d'un solitaire en 1916.

Parenté dont il (Bloy) n'hésite à tirer toutes les conséquences, même si elles confinent au fantastique.

Rappel d'une de mes idées les plus anciennes. Le Tsar est le chef et le père spirituelle de cent cinquante millions d'hommes. Responsabilité effroyable qui n'est qu'apparente. Peut-être n'a-t-il réellement à sa charge, devant Dieu, que deux ou trois êtres humains, et si les pauvres de son empire sont opprimés durant son règne, si des catastrophes immenses doivent résulter de ce règne, qui sait si le domestique chargé de cirer ses bottes, n'en est pas le vrai, le seul comptable ? Dans les mystérieux arrangements de la Profondeur, qui donc est Tsar, qui donc est roi, et qui pourrait se flatter de n'être pas un domestique.
Léon Bloy - Le Mendiant ingrat (novembre 1894).

Mardi 20 mars.
Pour son dernier cours qui fut d'ailleurs fort beau (...et son plus grand chagrin, c'est qu'il faut te quitter ici), Antoine Compagnon fait feu de tout bois. Sont convoqués (de mémoire) Proust, Michelet, Montaigne, Barrès, Voltaire, Pascal, Sévigné, Gide, Goethe, Borges, Dostoïevski, Thibaudet...La littérature vue comme une dimension où temps et espace sont réversibles à la manière de ces architectures imaginées par Borges ou Cortazar dans sa fameuse nouvelle Continuité des parcs. La littérature comme un vaste continuum.

Tout finissait par se tenir.

dimanche 11 mars 2007

Week end (journal).


Lu pour la première fois L'Affaire N'Gustro de Manchette.
1971, le premier Manchette en solo, un décalque africain de l'affaire Ben Barka. Tout y est déjà : le style (Le colonel Jumbo a une trogne qui serait lunaire si la lune était noire), la violence (On ne saurait trop prôner l'usage de la chaine à vélo, c'est rien que du bon, rien que du naturel), l'ironie (Ses amitiés allaient aux peuples de couleur en lutte contre l'impérialisme, comme on dit. Ca ne veut rien dire, ça couvre aussi bien Castro, Boumedienne, Mao, Ho, Malcom X et Jean Ferrat), la lucidité («...si je devais définir brièvement quel est le programme de notre mouvement (...) je dirais le socialisme, mais un socialisme adapté à la matière sur laquelle il s'exerce, aux problèmes qu'il attaque. Un socialisme ni Cubain, ni Chinois, un socialisme Zimbabwite...» - Fin abrupte de la réponse. Murmures appréciateurs. Moi, j'aime assez, dans le genre. Le genre fumier). Mais surtout cette intelligence (le narrateur a fricotté avec l'OAS, Manchette avec le gauchisme) grâce à laquelle on sait que sauf chez quelques illettrés du peuple et du monde, pour qui la différence des genres est lettre morte, ce qui rapproche ce n'est pas la communauté des opinions, c'est la consanguinité des esprits.

Proust encore.
Un petit coup au carreau, comme si quelque chose l’avait heurté, suivi d’une ample chute légère comme de grains de sable qu’on eût laissé tomber d’une fenêtre au-dessus, puis la chute s’étendant, se réglant, adoptant un rythme, devenant fluide, sonore, musicale, innombrable, universelle : c’était la pluie.
On dirait du Jules Renard ou du Ponge (celui du Parti pris des choses).

Le journal littéraire de M.Crépu (mars 2007).
A propos de Léon Cahun, oncle de Marcel Schwob, auteur d'une Introduction à l'histoire de l'Asie et d'ouvrages à vocation pédagogique à destination de la jeunesse, Crépu écrit : J'aperçois une photographie de Cahun ; il a un peu l'air d'un bon charcutier de province, ou d'un tonnelier ; cet homme si merveilleusement érudit, je l'imaginais tout à fait dans un autre corps, un autre visage, c'est idiot n'est-ce pas : pourquoi le conservateur adjoint de la Mazarine n'aurait-il pas l'air d'un charcutier de province ?
Comme on peut le constater les traditions ne se perdent pas à la Revue des deux mondes (ce n'est pas un reproche).

Force de l'habitude. Manger des pâtes et du jambon le dimanche soir n'a pas la même saveur lorsque la radio diffuse la cérémonie des adieux présidentiels en lieu et place du Masque et la plume.

mardi 6 mars 2007

Eloge du superflu.

LES AVEUGLES.

Contemple-les, mon âme; ils sont vraiment affreux !
Pareils aux mannequins; vaguement ridicules;
Terribles, singuliers comme les somnambules;
Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie,
Comme s'ils regardaient au loin, restent levés
Au ciel; on ne les voit jamais vers les pavés
Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité,
Ce frère du silence éternel. O cité,
Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité,
Vois! je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété,
Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?

Baudelaire - Les Fleurs du mal (XCII)

Il est des petits matins où l'on rencontre l'intelligence. C'est ici, et c'est à propos de ce poème de Baudelaire.