Le 21 novembre 1933, paraît "Le meneur de jeu" le nouveau feuilleton de l'Intransigeant signé Pierre Véry. Le 20 novembre Pierre Mac Orlan signe dans le même journal ce beau portrait de l'auteur.

Véry est un Charentais qui a un peu dépassé la trentaine. Je l’ai rencontré pour la première fois chez moi, dans un village de la Brie soumis aux vents et aux inquiétudes de l’Est. Ce jour-là, nous avons déjeuné ensemble et puis, au crépuscule de la nuit, je l’ai vu reprendre la route, à pied, une route lavée par la pluie au détour d'un champ en virage de vélodrome écrasée par des nuages couleur de suie. J'ai refermé ma porte sur son départ en me frottant les mains, car j’avais déjà donné mon amitié à ce jeune camarade qui s’en allait tout tranquillement vers un destin sévère. Il y a quelques années de cela, Pierre Véry allait faire paraître cet étrange «Pont-Egaré» qui me rappelle assez bien sa propre silhouette dans le paysage briard qui entoure ma demeure. Mais dans ce livre il s’agit de la Sologne et de ses dieux sylvestres rouillés par l’eau de pluie et la sournoise humidité des sources, non thermales.




Nous avions fumé à l’abri et parlé de tous les accessoires de la vie qui nous occupaient quotidiennement. Véry déroulait pour moi, et pour, lui sans doute, un petit film d’amateur riche en images.. On voyait l’adolescent mince et brun fuyant, comme il est d’usage au début de certaines vies, le domicile familial. Son but était d’atteindre Les Indes où les valeurs géographiques ne sont peut-être pas périmées. Il s’arrêta à Marseille,-sur le quai du Port. Marseille,- la belle « Marsiale» aux joues fraîches, vaut bien Karikal ou Pondichéry. Le paquebot fantôme fut remplacé par un cargo qui élongeait les côtes d’Algérie et .du Maroc, mélancoliquement bercé par les bêlements des moutons de sa cargaison qui sentait le cuivre chaud.

Une deuxième bobine me fit voir Pierre Véry, truelle en main, occupé discrètement à reconstruire Reims. Il fut ensuite coureur cycliste. Au moment qu’il, déroulait son film, il était libraire dans une petite rue près du boulevard Saint-Michel. Cette profession, qui constitue une des formes de l’aventure immobile, lui convenait parce qu’elle est pleine de dangers inconnus, dont le moindre est quelquefois la misère.

Et puis... Pierre Véry publia un autre livre où la Sologne apparaît dans les brumes de ce fantastique moderne qui est fait de toutes les réalités contenues dans la nature et les préoccupations des hommes. Pierre Véry est un aventurier tendre et, par cela même, singulièrement soumis à la volonté des choses. C'est à cause de cette douceur devant les embûches les plus naturelles qu’il est bon conducteur des forces clandestines des quatre éléments et qu’il a pu écrire des romans lyriques d’une personnalité puissante. Par la douceur même de son attitude devant sa propre imagination, Pierre Véry peut vaincre la peur. Elle rôde dans tous ses livres, mais elle apparaît sous un visage de fillette. En somme, elle atteint au but le plus dangereux de sa perfidie. Cette anormale douceur d’une peur provoquée par des crimes assez étranges, des crimes toujours créés par une arrière-pensée dangereusement paisible, donne aux livres de Pierre Véry un caractère très particulier.

Mais les lecteurs de 1’ « Intransigeant » connaissent le jeune romancier, N’est-ce pas dans ses colonnes qu’il publia « Les Métamorphoses », étrange aventure de deux architectes ennemis ?




En 1930, Pierre Véry composa selon la formule admise un roman policier : « Le Testament de Basil Cooks », qui obtint le « Prix du roman d’aventures policières ». Pierre Véry sut mêler ses dons de poète et de fantaisiste au développement d’une charade macabre. Aujourd’hui, cette fantaisie lyrique et toujours très contrôlable, qui peut apparenter Pierre Véry aux meilleurs chercheurs d’aventures littéraires, est maîtresse de sa logique échevelée, si l’on peut dire.

Pierre Véry est un grand créateur de personnages et d’accessoires pour forêts françaises, crépuscules, brumes et rues mortes. Grâce à ses dons, un paysage « bavarde », raconte tous ses ses secrets à ceux qui veulent les entendre. Un assassin conduit par la fantaisie du romancier peut nous combler d’horreur par le meurtre d’une rose trémière dans le dernier jardin d’un dernier village de l’Ile de France. C’est un art qui m’émeut, et c’est pourquoi je le dis quand rien ne m’oblige à le dire.




J’ai souvent cherché dans les livres de Pierre Véry l’essence de sa personnalité. C’est, je le répète, la douceur : une douceur habile, cultivée par des moyens personnels, et que l’auteur prête à presque tous ses personnages. Le diable de Pierre Véry est ivre de douceur comme un bourdon de miel. Les assassins de Pierre Véry sont pervertis par la douceur... Ils tuent doucement; se dissimulent doucement et compliquent doucement les éléments du jeu qu’ils tiennent en main. Cette douceur inhumaine permet à ce bel écrivain très loyal d’être à son tour maître absolu de sa fantaisie.

Pierre Véry peut dormir en paix, la joue appuyée avec confiance contre un de ses livres. Ses personnages ne se réveilleront point pour l’étrangler, car s’il est quelquefois normal pour un auteur d’aimer ses personnages, il vaut encore mieux pour lui d’en être aimé. Là commence la santé morale d’un livre.

PIERRE MAC ORLAN.