Hadewijch - Bruno Dumont.

Deux forces règnent sur l'univers : lumière et pesanteur.
La grâce, c'est la loi du mouvement descendant.
La pesanteur morale nous fait tomber vers le haut.
Simone Weil.

Comment filmer un corps, une âme ? Un corps et une âme. Comment donc rendre visible, puisque filmer c'est rendre visible, une singularité, une présence. Comment filmer une singularité qui chemine ? A ces questions, Dumont pose un corrolaire : Comment filmer une absence puisque Dieu ne peut être présent dans la création que sous la forme d'absence (Simone Weil).
Au commencement il y a Céline, une jeune femme dont le corps porte encore en lui les marques de l'enfance. Un corps entre deux. Mystique, elle a choisi de se faire appeler Hadewijch, du nom d'une béguine flamande et a décidé de rentrer dans les ordres. Elle en sera rejetée, son désir de mortification pouvant passer pour le comble de l'amour de soi, renvoyée vers le monde. Une âme entre pesanteur et grâce. Dès les premières minutes, Dumont aborde les questions de la représentation - comment faire coexister dans le même plan des contraires - de la manière de la plus frontale en remontant aux sources du cinéma muet : au milieu du cloitre, il introduit une machine, une grue chargée de déplacer des sortes de caisses ; puis filmant Céline priant dans sa chambre, on aperçoit dans la profondeur de champ, au travers d'une fenêtre (par le biais d'un trucage numérique ?) une masse compacte en suspens qui semble flotter entre terre et ciel. La force du cinéma de Dumont c'est sa littéralité. On pense aussi à ce plan extraordinaire où à la lettre le corps de l'héroïne s'illumine.
Le film avance alors à coup d'oppositions (christianisme/islam politique, banlieue/Paris, prolétariat arabe/bourgeoisie) jusqu'à ce que l'héroïne pense les avoir résolues par un refus radical du monde, devenant ainsi une fanatique de l'Apocalypse.
Vient alors le temps de la réconciliation, celui de Céline avec son corps, avec le monde, avec l'autre, avec le corps de l'autre. Nouveau baptême. Le temps de la rencontre, le temps de l'amour, passage de la pure singularité du hasard à un élément qui a une valeur universelle (Badiou). Le temps du Oui qui fait advenir à la Présence, l'Absence.
Beauté du plan final.
Bruno Dumont est peut-être le dernier des primitifs ou pour le dire autrement notre exact contemporain.

Percevoir dans l'obscurité du présent cette lumière qui cherche à nous rejoindre et ne le peut pas, c'est cela, être contemporain.
Giorgio Agamben.