Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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mercredi 31 décembre 2008

Les 10.

Laissons nous prendre au jeu (ici, , ou encore ici).
Nul fétichisme dans ma cinéphilie. Je ne voue aucun culte aux acteurs et actrices dont je dois avouer oublier plus que souvent les noms. Reste cependant le mystère d'une présence.
(La liste ci dessus n'obéit qu'à ma mémoire - je me suis limité à 10 noms - et à l'instant présent)


Elle fut l'une des rares (la seule?) à structurer la mise en scène autour de sa personne. Chaque film de Garbo, car unique objet du film elle en est de facto l'auteur, chaque film donc est une réponse à la question suivante : Comment amener en gros plan le visage de l'actrice ? Ou autrement dit, comment amener le spectateur à jouir du visage de la star?


Thelma Ritter, une de mes actrices préférées, n'est pas belle et fut cantonnée dans des rôles de femme au foyer ou de gouvernante au grand cœur. Il y a chez elle un bon sens, un dévouement, une obstination dont on sent qu'elle essaye de se venger en lâchant de sa voix acide quelques perfidies.


(Je reprends un court texte que j'avais consacré à Cyd Charisse)
On parlera encore et encore de ses jambes. Mais je me permettrais d'ajouter qu'elle avait su amener à sa quintessence cet art si particulier des grandes actrices américaines des années 50, celui de prononcer les mots comme s'ils devaient être les derniers. Non pour qu'ils se dissolvent dans la beauté mais pour que, tout au contraire, portés par un ultime souffle, le souffle des commencements, ils puissent s'y déployer.


Découvrir Laura Antonelli dans Malicia à 12 ou 13 ans, c'est découvrir rien de moins que l'éros. Et ça ne s'oublie pas.


Qui se souvient de ces actrices françaises des années 30. Surnagent encore pour moi la tristesse des grands yeux noirs de Mireille Balin, sa solitude, ses amours impossibles.


Voir Sandrine Bonnaire dans A nos amours, c'est assister à la naissance d'un corps de cinéma, on vieillira tous avec elle. Mais c'est surtout éprouver dans chaque plan l'amour d'un cinéaste pour ce corps.


Rita Hayworth seulement pour ces quelques mots : Give my love to the sunrise.


Gloria Grahame a tourné avec les plus grands (Ray, Lang, Minnelli). Sa moue boudeuse, sa voix de crécelle qui semblait tout droit sortie d'un cartoon la renvoyaient du coté d'une certaine innocence. Mais cette innocence était minée par une charge sexuelle inhérente à sa personne. Comme l'a si bien compris Lang dans The Big Heat, Gloria Grahame est un Janus.


- Tu vois mon derrière dans la glace ?
- Oui.
- Tu les trouves jolies mes fesses ?
- Oui...très.
- Et mes seins, tu les aimes ?
- Oui...énormément.
- Doucement Paul... pas si fort.


Elle (Setsuko Hara) partage avec Garbo le privilège de bénéficier d'un plan où elle apparaît seule. Le visage de Setsuko Hara est l'humanité entière.

mardi 30 décembre 2008

Tradition.

Sacrifions à la tradition.
Je ne vais plus guère au cinéma. L'appétence qui me poussait à découvrir n'est plus assez forte. Certains soirs, alors que je me dis que je verrais bien tel ou tel nouveau film, le sentiment d'une déception à venir se fait certitude. Mais puisque subsiste un reste de désir, je regarde encore une fois tomber la pluie sur la rivière, les nuages, le vent et l'orage gronder : traces à jamais inscrites sur la pellicule de ce qui fut l'irrémédiable.
De cette année, je ne retiendrais que les deux premières saisons de Mad Men et Cloverfied. La beauté, ou plutôt le charme de ce dernier réside dans le caractère évanescent de son monstre, image fantôme destinée à venir phagocyter les images produites par une Amérique en quête de normalité. Pour le reste, pas vu ou oublié.
M'ont également marqué trois livres : 2666 de Roberto Bolano, Éloge des voyages insensés de Vassili Golovanov et Mort d'un jardinier de Lucien Suel. Trois livres qui réussissent, la chose est assez rare, à rendre présente une géographie. Pour le reste, pas lu, pas fini ou oublié.
Je me souviendrais aussi des verres de Gamay bues avec les amis, d'un riz et morue préparé par mon père, de cette Femme se baignant dans un ruisseau, peinte par Rembrandt en 1654, vue à l'exposition Picasso, de la joie de ma fille reçue à son concours... et de tout le reste.
Mes meilleurs vœux.

mardi 23 décembre 2008

Nativité.


Je ne sais pas d’où me vient cette réputation (j’allais écrire cette fâcheuse réputation) de ne point aimer les enfants. Ni je les aime, ni je les déteste, mais considère seulement qu’ils sont des monstres.
Sur ce, un joyeux Noël à tous, grands et petits.

vendredi 19 décembre 2008

Petite morale portative ou La vie des blogs.

Ne serait-ce que pour leur saine et joyeuse indifférence aux consignes d'économie d'énergie, ils ne peuvent pas m'être antipathiques, tous ces gens de peu qui transforment leur maison en sapin de Noël.
Ibis, le 16 décembre 20O8.

La rue Isambard de Pacy-sur-Eure (ses commerces, sa mairie, ses passages pour piétons, ses chiens aux grands yeux compréhensifs), six heures du soir et la bruine qui va avec, tout embarbouillée de guirlandes alternatives, et les haut-parleurs qui vous hèlent les esgourdes avec El condor pasa joué à la flûte andine : il faut avoir connu ça une fois, au moins, si l'on veut prétendre au titre d'homme.
D. Goux, le 17 décembre 2008.

Et un jour nous penserons : la vie était pourtant douce à Pacy-sur-Eure en ces temps-là, et nous avons perdu tout, même cela, qu'alors nous méprisions.
Patrick, le 17 décembre 2008.

D'un coté, une attitude de retrait vis à vis du réel, une mise à distance bienveillante, une façon de se laisser caresser par celui ci, à la manière de ces courants d'air qui vous procurent des frissons lors de siestes faites par des après-midi ensoleillées, et qui, bien qu'ils finissent par vous sortir de votre agréable torpeur, vous font apprécier d'autant plus la douceur du monde.
De l'autre, celle qui demande au réel de rendre gorge, pour qui le réel se caractérise toujours par ce qu'il en a en trop, trop qui en devient l'essence, comme ces caries que l'on ne peut s'empêcher de fouiller du bout de la langue, avivant ainsi notre douleur, jouant avec jusqu'à ce qu'elle constitue la vérité de notre être.

mercredi 17 décembre 2008

Présence de Stendhal.

Mes remerciements à Jean-Yves Pranchère pour avoir suscité cette note forcement lacunaire.

Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaire, c’est à un Maître. Vous l’aurez.
Lacan.

Ce sont les vertus qui s'associent non les égoïsmes.
Sismondi.

Dans Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle, Emile Faguet définit Stendhal comme un déplacé, un homme qui serait dans la première du XIXe comme dans une maison dont il ne connait pas les êtres. L'image est amusante à défaut d'être complètement juste. Peut-être serait-il préférable de faire de Stendhal un homme entre, position certes inconfortable mais qui lui permet d'adopter la meilleure position pour observer, pour marquer les limites d'une vérité.Michel Crouzet fait fort habilement remarquer la présence de la ligne de crête dans le paysage stendhalien, point de vue duquel s'offre à l'auteur ou a ses personnages la possibilité d'examiner tout l'étendue qui l'entoure et d'opérer ainsi un choix. Si la ligne de crête permet de se situer dans l'espace, elle permet également d'appréhender la totalité de la temporalité, l'avant et l'après, le passé et le futur dans la mesure où ce dernier se présente à nous au loin. Et pour filer la métaphore de Faguet, faisons de Stendhal celui qui, pour mieux connaître les êtres qui l'entourent, monte sur le faîte de la maison pour y étudier d'un coté le chemin parcouru par les hôtes jusqu'à elle, de l'autre le chemin à parcourir pour atteindre une nouvelle habitation.

Que voit Stendhal en cette fin des années 1830 ? D'un coté l'ancien régime, plus proche la révolution et sa suite napoléonienne, de l'autre la morose Amérique, celle, la seule, qui peut nous éclairer un peu sur notre avenir. L'Amérique c'est à dire l'idéal démocratique, le goût de la liberté, le culte du bonheur du plus grand nombre comme le dit Fabrice. Oui mais alors pourquoi morose? C'est là que se situe toute la contradiction stendhalienne, la tension entre son adhésion aux principes démocratiques et le rejet des conséquences de leurs réalisations concrètes.

Ce qu'instaure la démocratie, par le biais du suffrage universel, c'est la tyrannie de l'opinion publique, ce tyran aux mains sales; l'égalité démocratique parce qu'elle nie toute singularité oblige à plaire à tout le monde, elle instaure l'aristocratie du cabaret qui oblige à faire la cour à la partie la plus déraisonnable de la population. Paradoxe de la démocratie qui tout en proclamant l'affranchissement de l'individu finit par nier le Moi au non d'un Moi collectif : Mais le gouvernement républicain, laissant une foule de droits aux citoyens, est obligé de leur imposer une foule d’obligations qui, pour ma part, me gêneraient fort. Pour ne pas avoir de mécompte, il faut bien comprendre que les droits de la république ne peuvent pas exister sans de nombreuses restrictions à la liberté individuelle. Aux États-Unis d’Amérique, je nomme le roi, je nomme le commissaire de police, je nomme le balayeur de ma rue ; mais si je marche trop vite le dimanche, je suis déshonoré ; on suppose que je marche pour me donner le plaisir de la promenade, et non pour aller au temple. En un mot, il faut avant tout, que je déplaise à aucun des ouvriers qui occupent des boutiques dans ma rue. Le peuple au pouvoir devient dans cette optique tout le pouvoir donné au peuple, de sujet je deviens esclave. Comment ne pas penser à Tocqueville lorsqu'il déclare : L’unité, l’ubiquité, l’omnipotence du pouvoir social, l’uniformité de ses règles, forment le trait saillant qui caractérise tous les systèmes politiques enfantés de nos jours. On les retrouve au fond des plus bizarres utopies. C'est au nom de la liberté - Je ne respirais que révolte, tout ce qui était tyrannie me révoltait, je n’aimais pas le pouvoir.- que Stendhal condamne la liberté démocratique

Il ne s'agit pas cependant de faire de Stendhal une sorte d'anarchiste avant la lettre, niant toute réalité, toute nécessité d'une politique mais la politique à mettre en place est une politique à minima, c'est celle du passage à l'acte du moi selon la formule de M.Crouzet. Dans une lettre du 21 avril 1885 adressée à sa sœur, Stendhal écrit : On agit dans le monde pour deux choses. 1) Ou pour donner carrière à sa passion, la débonder, la sfogarer comme disent les italiens... 2) Ou bien, on agit pour porter les autres hommes, ou un autre homme, à faire telle action que nous croyons bonnes à nos intérêts... Tout le jeu étant, par la feinte, de mettre en place la première proposition par l'application de la deuxième, d'où l'impératif suivant :Il faut donc n'estimer le public que ce qu'il vaut, mais en même temps l'estimer ce qu'il vaut. Prendre le monde tel qu'il est, du bon coté et ne pas faire comme ce philosophe chagrin qui, fendant une racine de noyer au milieu de la cour, s’efforcerait tout le matin de faire entrer son coin par le gros bout, ne parviendrait qu’à casser sa masse et, sur les midi, dégoûté de ses efforts, irait pleurer dans un coin de la cour ; bientôt il s’exalterait la tête, se mettrait à croire qu’il y a de l’honneur à être malheureux et, de suite, qu’il est excessivement malheureux. Ne pas devenir un de ces ennuyés ennuyeux. Ce dont Stendhal fait l'éloge ici, c'est de la société de cour avec ses complots et ses cabales. Comment concilier un tel éloge avec l'histoire qui marche ? En prônant un gouvernement, puisque que tout gouvernement est un mal qui préserve d'un mal plus grand (celui de la lutte des égo, de l'asservissement qui en résulte), un gouvernement donc qui fait le moins de mal aux gouvernés, et leur assure le mieux la sureté sur la grande route, et la justice quand ils prennent envie de se chamailler entre eux. De plus, il les amuse par la garde nationale et les bonnets à poil. Bref une constitution, les deux chambres,un roi ou un président, la liberté de la presse, la justice et la liberté. Il convient aussi de se méfier de ces êtres étranges qui veulent à tout prix faire votre bonheur, l'Histoire est passée par là : Si les républicains viennent au pouvoir, ils y arriverons, je crois, avec des intentions raisonnables, mais bientôt ils se mettraient en colère, et voudraient régénérer dira Lucien Leuwen.

Aristocratisme de Stendhal ? La trace en est présente dans toute l'œuvre :J’avais et j’ai encore les goûts les plus aristocratiques. Je ferais tout pour le bonheur du peuple , mais j’aimerais mieux, je crois, passer quinze jours de chaque mois en prison que de vivre avec les habitants des boutiques, ou bien encore : Je remonte en voiture en me demandant si l’habitude des élections , qui réellement ne commence que cette année, va nous obliger à faire la cour à la dernière classe du peuple comme en Amérique. En ce cas, je deviens vite aristocrate… Ce que Stendhal abhorre avant tout c'est l'égalisation des égo dont la conséquence ne peut être que le nivellement par le bas et l'uniformisation. D'où la tentation du retour en arrière, du retour à avant 89 : Convenez que cette aimable religion jésuitique n’a qu’un défaut, c’est d’être un peu trop ennemie de la liberté de la presse et du gouvernement des deux chambres. Ce n’est pas que, par goût je n’aimasse mieux vivre sous la régence du duc d’Orléans vers 1720 ; mais comment faire reculer le temps. Et Lucien préférerait cent fois les mœurs élégantes d’une cour corrompue à l'Amérique dans laquelle il s'ennuierait. Mais Stendhal est trop lucide pour penser que l'on puisse faire reculer le temps. Dans un texte consacré aux lettres du président de Brosses, La Comédie est impossible en 1836, il pose encore une fois la question :Cet ensemble si attrayant de la vie de 1739, pourra-t-il renaître un jour au-delà des Alpes ou chez nous ? Peut-on recréer une vieille maison qu'un incendie vient de réduire en cendres ? On en fera une nouvelle, plus où moins semblable ; mais je n'y retrouverais jamais toutes les petites commodités, tous les petits arrangements que soixante d'habitation avaient accumulés dans l'ancienne : et d'ailleurs pendant la reconstruction, j'ai pris de nouvelles habitudes. C'est cette lucidité qui irritera Maurras, il y voyait une trahison, qui, dans sa préface à Rome, Naples et Florence en 1919 voulut assigner Stendhal à résidence pour la défense de la patrie. Rien de plus étranger à Stendhal que l'idée de patriotisme, s'il voulait défendre quelque chose c'était plutôt une civilisation ou pour être plus précis un ensemble de mœurs et de civilités.J’ai besoin des plaisirs donnés par une ancienne civilisation.

Le reproche fondamental qu'adresse Stendhal à l'Amérique en tant qu'elle préfigure l'avenir (notre présent) c'est d'avoir dans un double mouvement par le jeu de l'égalité démocratique (un homme, une voix - Les hommes, dit Lucien, ne sont pas pesés, mais comptés, et le vote du plus grossier des artisans compte autant que celui de Jefferson...) vider le Moi de toute valeur morale puis, l'homme ne pouvant se résumer à une simple arithmétique, de substituer l'avoir à l'être. Je viens de montrer Rome à un jeune anglais de mes amis...Il m'a présenté à M. Clinker ; c'est un Américain... Depuis trois jours que je le connais, M. Clinker ne m'a pas fait une question étrangère à l'argent...Toute cette conversation avait lieu en présence des plus beaux monuments de Rome... Enfin, de la conversation de ce riche Américain que deux paroles de sentiment : how cheap ! how dear ! (Combien cela est bon marché, combien cela est cher !). Rien ne pouvant distinguer un Moi de l'autre, le seul instrument de mesure devient l'argent qui par glissement devient l'unique moyen d'évaluer le monde. Ce qui est alors perdu c'est le sentiment des arts. L'ego démocratique devient autiste, tout lui devient étranger mise à part ce qui le constitue, le processus d'accumulation. L'Américain a tout examiné avec ce genre d'attention qu'il eût donné à une lettre de change qu'on lui aurait offert en payement ! Il n'a absolument senti la beauté de rien. Perdre le sentiments des arts, c'est perdre le désir de sortir de soi, de créer du lien, c'est renoncer au bien commun qu'est la civilisation. Seule prédomine la compétition économique. La liberté elle même devient une liberté négative. J’avais pour compagnons de voyage des bourgeois riches ou plutôt enrichis…faudra-t-il faire la cour à des êtres tels que ceux-ci ? Sont ce là les rois de l’Amérique…ils se sont mis à louer bêtement la liberté et de façon à en dégoûter, la faisant consister surtout dans le pouvoir d’empêcher leurs voisins de faire ce qui leur déplait. Les égoïsmes jamais ne s'associent.

Il y a entre entre le Moi stendhalien et le Moi démocratique un profond antagonisme qui se trouve résumé par Lucien à la fin de l'une de ses méditations américaines. Mais je ne puis préférer l'Amérique à la France ; l'argent n'est pas tout pour moi, et la démocratie est trop âpre pour ma façon de sentir. C'est l'être même de Stendhal qui refuse la démocratie ou du moins ses conséquences. Faut-il alors voir dans la pensée politique de Stendhal l'illustration par anticipation d'une formule du psychanalyste cité un peu plus haut : Je ne suis libéral, comme tout le monde, que dans la mesure où je suis anti-progressiste.




Éléments bibliographiques:
Les citations en italiques sont extraites des œuvres de Stendhal disponibles dans l'édition Martineau sur le site Gallica et plus particulièrement de la Correspondance (1805), De L'amour (1822), des Promenade dans Rome(1829), de Lucien Leuwen (1834 - édition de M. Crouzet au Livre de Poche), de La Vie d'Henry Brulard (1835), des Mémoires d'un Touriste (1838), du Voyage dans le midi de la France, et de La Comédie est impossible en 1836 parue dans La Revue de Paris (disponible sur Google books).

Ont été également consultés de Michel Crouzet, Stendhal et l'Amérique, de Jean Pierre Richard, Stendhal Flaubert, d'Emile Faguet, Portraits et moralistes du dix-neuvième siècle (disponible sur Gallica) ainsi que les articles concernant Stendhal dans Albert Thibaudet, Réflexions sur la politique.

dimanche 14 décembre 2008

Salle obscure.




Dans l'attente d'un petit travail qui n'a rien à voir avec le sujet évoqué mais qui me prend plus de temps que prévu, je publie ma correspondance.

Pour en revenir à notre discussion de pochtrons, vu que j'ai un peu cuvé et que j'y vois désormais plus clair, je dirais que pour le cinéma, l'œuvre s'incarne dans l'interprétation (le film qui est sur la pellicule donne à voir l'idée du film). C'est ce qui en fait la limite — mais pas nécessairement la faiblesse ou le caractère « mineur ». C'est cette intrication essentielle qui fait la particularité du cinéma, par rapport à la musique.
Bises.
S/S

Au fond tu es un platonicien. Le cinéma serait de l'ordre du sensible alors que la musique elle serait de l'ordre de l'intelligible. Ce n'est pas faux, mais alors le cinéphile serait celui qui, à la sortie de la salle, ferait le chemin vers l'idée du film.
Bises.
P/Z

Bien vu, papy !
S/S

Faut-il encore qu'il y ait une idée, que cette idée s'incarne dans des personnages, qu'elle soit rendue présente par ce que l'on nomme mise en scène.
Vu le dernier film des frères Coen : Burn after reading.
Les Coen mettent en place une mécanique, ils semblent qu'ils couchent tous ensemble dira l'un des agents de la CIA, mais cette mécanique tourne à vide, et le film trouvera sa conclusion non par la résolution des conflits mais faute de combustible.
Hitchcock disait qu'il fallait jouer avec les spectateurs comme on joue du piano. Cette manipulation avait pour but d'introduire chez le public un sentiment d'inconfort et de malaise, d'installer du jeu, dans tous les sens du terme, entre le film et le spectateur sans jamais que ce dernier ne se sente supérieur aux personnages qui lui sont montrés. Les Coen utilisent l'ironie à des fins de connivence, créant une sorte de pacte préalable entre eux et le public, pacte qui nous invite à condamner l'idiotie du monde (c'est l'expression employée par l'un des protagonistes). Le film ne peut alors se dérouler qu'à l'extérieur de notre regard, simple théâtre de pantins dans lequel nous ne trouvons rien à quoi nous raccrocher. Ce faisant, à malin malin et demi, ils ne font qu'ajouter de l'idiotie à l'idiotie.
Burn after reading ou le cinéma de boulevard.

dimanche 7 décembre 2008

Tirade liste.

Tirade : Morceau de prose ou de vers constituant le développement, continu et d'une certaine longueur, d'un sujet concernant une même idée, un même fait; développement littéraire.
Liste : Suite continue, hiérarchisée ou non, de noms (de personnes ou d'objets) ou de signes généralement présentés en colonne.

On connait les poèmes listes chers à Ph. Billé ; ce jour j'ai découvert la tirade liste. Celle ci est extraite (Acte III, scène IV) de L'Illusion comique de Corneille.

Clindor
Ce fer a trop de quoi dompter leur violence.
Matamore
Oui, mais les feux qu’il jette en sortant de prison
Auraient en un moment embrasé la maison,
Dévoré tout à l’heure ardoises et gouttières,
Faîtes, lattes, chevrons, montants, courbes, filières,
Entretoises, sommiers, colonnes, soliveaux,
Pannes, soles, appuis, jambages, traveteaux,
Portes, grilles, verrous, serrures, tuiles, pierre,
Plomb, fer, plâtre, ciment, peinture, marbre, verre,
Caves, puits, cours, perrons, salles, chambres, greniers,
Offices, cabinets, terrasses, escaliers.
(...)