Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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mercredi 28 novembre 2007

Dialogue (2)


- Voyons mes amis, relisez donc Borges et sa Secte du Phénix et vous saurez alors que le secret le plus fermement secret est qu'il n'y a... pas de secret...
J. Asensio.

(Je sais, je prends des risques).

Voici ce que l'on peut lire dans une note à propos de Philippe Sollers. Il ne s'agit pas ici de prendre la défense de Sollers (notre Catulle Mendès écrivait un correspondant ; formule la meilleure, du moins la plus concise, qu'il m'ait été donnée de lire) mais d'apporter une correction - et aussi, il faut bien l'avouer, m'amuser - de corriger donc ce qui est une mauvaise interprétation d'une nouvelle d'un auteur qu'il m'arrive de fréquenter.
L'argument du court texte de Borges (in Fictions) est le suivant. Il existe une secte - la secte du Phénix - dont l'origine est inconnue quoique très ancienne, dont les membres ne se distinguent pas de tous les hommes, ne font l'objet d'aucune persécution, mais qui sont unis par une seule chose : le Secret. Ce secret est constitué par un rite qui ne sera jamais décrit avec précision.

Le Secret est sacré, mais il n'en est pas moins un peu ridicule ; l'exercice en est furtif et même clandestin, et ses adeptes n'en parlent pas. Il n'existe pas de mots honnêtes pour le nommer, mais il est sous entendu que tous les mots le désignent ou, plutôt, qu'ils y font inévitablement allusion (...).

La nouvelle se conclut par ses mots.

J'ai mérité dans trois continents l'amitié de nombreux dévots du Phénix. Je suis persuadé que le Secret, au début, leur parut banal, pénible, vulgaire et (ce qui est encore plus étrange) incroyable. Ils ne voulaient pas admettre que leurs ancêtres se fussent rabassés à de semblables manèges. Il est étrange que le Secret ne se soit pas perdu depuis longtemps ; malgré les vicissitudes du globe, malgré les guerres et les exodes, il arrive, terriblement, à tous les fidèles. Quelqu'un n'a pas hésité à affirmer qu'il est devenu instinctif.

Contrairement à ce qui a été écrit, il existe donc bien un secret, mais ce se secret, alors que tout secret implique une connaissance, n'est plus connu. On reconnait là un des paradoxes fréquemment employés par Borges : la coïncidence dans la même figure de deux états contradictoires (Vérité et mensonge dans Emma Zunz, Mort et vie dans Le Mort, le vraisemblable et l'invraisemblable dans L'imposteur invraisemblable Tom castro, Judas comme figure du Christ dans Trois versions de Judas...).
Puisque secret il y a, reste à en caractériser la teneur.
J'ai commencé à lire Borges aux environs de mes quatorze ans. Je me souviens encore de l'exemplaire de Fictions dans la collection Folio avec cette citation de Claude Roy en quatrième de couverture (de mémoire) - Borges changera votre façon de voir le monde -, et La Secte du Phénix devint une de mes nouvelles préférées parce que l'une des plus accessible, mais aussi surtout parce que du secret j'avais su en déterminer la nature.
En 1993, je fis l'acquistion du premier tome des Oeuvres Complètes dans La Pléiade (je suis l'heureux propiétaires des deux volumes, ceux là mêmes dont la Veuve empêche toute réédition) dans lequel je pus lire cette note de JP. Bernès.

Borges a livré explicitement à Ronald Christ, au cours d'un entretien, en 1968, le secret de La Secte du Phénix, qui n'est autre que la copulation : « Eh bien l'acte c'est celui dont Whitman dit : « L'époux divin le connait, de par l'oeuvre de paternité ». La première fois que j'ai entendu parler de cet acte, quand j'étais petit garçon, j'ai été scandalisé à l'idée que ma mère et mon père l'avaient accompli. C'était une découverte stupéfiante, non ? Mais il faut dire que c'est un acte d'immortalité, un rite d'immortalité n'est-ce pas ? »

Vingt ans après mes intuitions d'adolescent se trouvaient confirmées et Borges continue, pour toujours, de changer ma façon de voir le monde.

PS : Une approche amusante du dernier Sollers, ici.

mardi 27 novembre 2007

Dialogue.


— Dis-moi, Jean-jacques, franchement, entre nous, est-ce que tu m'as déjà lu ?
— Bah, difficile, Henri… C't'à dire qu'j'avais pas internet au lac de Bienne !
Skoteinos.

Le mot "précurseur" est indispensable au vocabulaire critique, mais il conviendrait de le purifier de toute connotation de polémique ou de rivalité. Le fait est que chaque écrivain crée ses précurseurs. Son apport modifie notre conception du passé aussi bien que du futur. Dans cette corrélation, l'identité ou la pluralité des hommes n'importe en rien.
Borges - Autres inquisitions.

samedi 24 novembre 2007

Babilanisme (2)


Tout commença par la lecture d'une lettre de M. Leuwen (père) à son fils Lucien.

« Très aimable sous-lieutenant, vous êtes jeune, vous passez pour riche, vous vous croyez beau sans doute, vous avez du moins un beau cheval puisqu’il coûte cent cinquante louis. Or, dans les pays où vous êtes, le cheval fait plus de la moitié de l’homme. Il faut que vous soyez encore plus piètre qu’un saint-simonien ordinaire pour n’avoir pas su vous ouvrir les manoirs des noblilions de Nancy. Je parie que Mellinet (un domestique de Lucien) est plus avancé que vous et n’a que l’embarras du choix pour ses soirées. Mon cher Lucien, studiate la matematica et devenez profond. Votre mère se porte bien, ainsi que votre dévoué serviteur.
François Leuwen

Studiate la matematica, la référence à l'épisode vénitien de Rousseau était explicite. Celui-ci renvoyait à son tour au propre fiasco de Stendhal.

Malgré mes efforts, en aôut 1821, MM. Lussinge, Barrot et Poitevin, me trouvant soucieux, arrangèrent une délicieuse partie de filles (...).
Nous devions avoir Alexandrine, six mois après entretenue par les Anglais les plus riches alors débutante depuis deux mois. Nous trouvâmes sur les 8 heures du soir un salon charmant, quoique au 4ème étage, du vin de Champagne frappé de glace, du punch chaud... Enfin parût Alexandrine conduite par une femme de chargée de la surveiller (...).
Alexandrine parût et surpassa toutes les attentes. C'était une fille élancée de 17 à 18 ans, déja formée, avec des yeux noirs que depuis, j'ai retrouvés dans le portrait de la duchesse d'Urbin par le Titien à la galerie de Florence. A la couleur des cheveux près, Titien à fait son portrait (...).
Je trouve Alexandrine sur un lit, un peu fatiguée, presque dans le costume et précisément dans la position de la duchesse d'Urbin du Titien. « Causons seulement pendant dix minutes, me dit-elle avec esprit. Je suis un peu fatiguée, bavardons. Bientôt je retrouverai le feu de la jeunesse. »
Elle était adorable ; je n'ai peut-être rien vu d'aussi joli. Il n'y avait point trop de libertinage, excepté dans les yeux qui peu à peu redevinrent pleins de folie, et, si l'on veut, de plaisir.
Je la manquai parfaitement, fiasco complet. J'eu recours à un dédommagement, elle s'y prêta. Ne sachant trop que faire, je voulus revenir à ce jeu de main qu'elle refusa. Elle parût étonnée, je lui dis quelques mots assez jolis pour ma position, et je sortis.
Stendhal - Souvenirs d'égotisme.

Les rapports (1) entre Stendhal et Rousseau sont complexes, mélange de fascination et de rejet, mais point de ressentiment chez Stendhal - Malgré les malheurs de mon ambition, je ne crois point les hommes méchants; je ne me crois point persécuté par eux -, et si au sortir de son aventure Jean-Jacques s'en va mal à son aise, se reprochant son extravagance, Beyle, malgré les sarcasmes de ses camarades, déclare : J'étais étonné rien de plus.
Alors que Rousseau "manque" à cause d'un mélange confus d'orgueil et d'humilité (le mot est de G. Sand à propos des Confessions) qui l'empêche de coïncider avec le réel (il n'est pas digne de la fille et dans le même temps elle ne le mérite pas), les raisons du fiasco stendhalien sont autres.
Entre 1818 et 1821, Stendhal, qui est à Milan, vit un amour malheureux avec Metilde Dembowski. Juin 1821, c'est la rupture, il repart à Paris.
Je ne sais pourquoi l'idée de Métilde m'avait saisi en entrant dans cette chambre dont Alexandrine faisait un si joli ornement. Jamais Alexandrine ne coïncide avec elle-même, et rétrospectivement (les Souvenirs sont écrit en 1832) elle s'effacera encore une fois derrière l'image de la duchesse d'Urbin.
Le 21 janvier 1805, Stendhal écrivait dans son journal :

L'habitude de voir les filles même là. On se monte l'imagination chaque fois qu'on en tient une dans bras pour se figurer une femme plus touchante.

et voilà comment on fait le fiasco d'imagination.

Le temps passera. 5 ou 6 ans après la partie de filles, Alexandrine prendra une figure grossière comme ses camarades et l'ombre de Métilde, qui servira de modèle à Mme de Chasteller, planera sur Lucien Leuwen.

Tout commença...

(1) Bel article de Raymond Trousson.

mercredi 21 novembre 2007

Fiasco.


Je la manquai parfaitement, fiasco complet.
Stendhal.

Discussion (philosophie de bistrot ?) avec G*** et S*** à propos du réel. G*** reproche à Rosset de confondre réel et convention, et il vrai que l'exemple du feu rouge (in Le Réel et son double) n'est pas très probant.
Ce à quoi s'attaque Rosset ce n'est pas à l'imaginaire qui est une forme de perception du réel, mais à l'illusion, mécanisme par lequel la chose perçue est mise ailleurs, et hors d'état de se confondre avec elle même. Le cas le plus fameux donné par Rossset est celui de Boubouroche qui refuse son infortune (il est cocu, il en a même été prévenu par un voisin délicat) alors qu'il en a la preuve (il découvre un homme caché dans un buffet). Rosset voit dans Bouboroche la structure fondamentale de l’illusion : art de percevoir juste mais de tomber à côté dans la conséquence. Si les exemples de type abondent dans son oeuvre, il est cependant une figure qui, sous toutes réserves, ne me semble pas avoir fait l'objet d'une étude particulière.
En septembre 1743, Rousseau arrive à Venise. Il y passera onze mois en qualité de secrétaire de l'Ambassadeur de France. Il n'est pas admis dans les bonnes maisons, et malgré son dégout pour les filles publiques il n'avait pas autre chose à sa portée.

J'entrai dans la chambre d'une courtisane comme dans le sanctuaire de l'amour et de la beauté; j'en crus voir la divinité dans sa personne. Je n'aurais jamais cru que, sans respect et sans estime, on pût rien sentir de pareil à ce qu'elle me fit éprouver. A peine eus-je connu, dans les premières familiarités, le prix de ses charmes et de ses caresses, que, de peur d'en perdre le fruit d'avance, je voulus me hâter de le cueillir. Tout à coup, au lieu des flammes qui me dévoraient, je sens un froid mortel couler dans mes veines; les jambes me flageolent, et, prêt à me trouver mal, je m'assieds, et je pleure comme un enfant.
Qui pourrait deviner la cause de mes larmes, et ce qui me passait par la tête en ce moment? Je me disais: Cet objet dont je dispose est le chef-d'oeuvre de la nature et de l'amour; l'esprit, le corps, tout en est parfait; elle est aussi bonne et généreuse qu'elle est aimable et belle; les grands, les princes devraient être ses esclaves; les sceptres devraient être à ses pieds. Cependant la voilà, misérable coureuse, livrée au public; un capitaine de vaisseau marchand dispose d'elle; elle vient se jeter à ma tête, à moi qu'elle sait qui n'ai rien, à moi dont le mérite, qu'elle ne peut connaître, est nul à ses yeux. Il y a là quelque chose d'inconcevable. Ou mon coeur me trompe, fascine mes sens et me rend la dupe d'une indigne salope, ou il faut que quelque défaut secret que j'ignore détruise l'effet de ses charmes, et la rende odieuse à ceux qui devraient se la disputer. Je me mis à chercher ce défaut avec une contention d'esprit singulière, et il ne me vint pas même à l'esprit que la vérole pût y avoir part. La fraîcheur de ses chairs, l'éclat de son coloris, la blancheur de ses dents, la douceur de son haleine, l'air de propreté répandu sur toute sa personne éloignaient de moi si parfaitement cette idée, qu'en doute encore sur mon état depuis la Padoana, je me faisais plutôt un scrupule de n'être pas assez sain pour elle; et je suis très persuadé qu'en cela ma confiance ne me trompait pas.
Ces réflexions, si bien placées, m'agitèrent au point d'en pleurer. Zulietta, pour qui cela faisait sûrement un spectacle tout nouveau dans la circonstance, fut un moment interdite; mais, ayant fait un tour de chambre et passé devant son miroir, elle comprit et mes yeux lui confirmèrent que le dégoût n'avait pas de part à ce rat. Il ne lui fut pas difficile de m'en guérir et d'effacer cette petite honte; mais au moment que j'étais prêt à me pâmer sur une gorge qui semblait pour la première fois souffrir la bouche et la main d'un homme, je m'aperçus qu'elle avait un téton borgne. Je me frappe, j'examine, je crois voir que ce téton n'est pas conformé comme l'autre. Me voilà cherchant dans ma tête comment on peut avoir un téton borgne; et, persuadé que cela tenait à quelque notable vice naturel, à force de tourner et retourner cette idée, je vis clair comme le jour que dans la plus charmante personne dont je pusse me former l'image, je ne tenais dans mes bras qu'une espèce de monstre, le rebut de la nature, des hommes et de l'amour. Je poussai la stupidité jusqu'à lui parler de ce téton borgne. Elle prit d'abord la chose en plaisantant, et, dans son humeur folâtre, dit et fit des choses à me faire mourir d'amour; mais, gardant un fonds d'inquiétude que je ne pus lui cacher, je la vis enfin rougir, se rajuster, se redresser, et, sans dire un seul mot, s'aller mettre à sa fenêtre. Je voulus m'y mettre à côté d'elle; elle s'en ôta, fut s'asseoir sur un lit de repos, se leva le moment d'après; et, se promenant par la chambre en s'éventant, me dit d'un ton froid et dédaigneux: Zanetto, lascia le donne, e studia la matematica.

Devant un réel qui s'offre à lui dans toute sa plénitude, la mauvaise conscience de Rousseau, ce qui lui passait par la tête, le pousse à ne pas l'accepter. Alors que Boubouroche surajoute un double au réel, double qui vient se substituer à celui-ci, la conscience malheureuse de Rousseau l'amène à dévaloriser le réel en se focalisant sur un détail (cf Littré). D'un manque, Rousseau fait un tout. Zulietta ne sy trompe pas qui le renvoie à son idéalisme.
Boubouroche vs Zanetto ? Si pour Rosset, ils sont tous deux des consciences illusionnés, force cependant est de constater que l'un bande et l'autre pas.

PS : Sur C. Rosset, on peut également lire ceci.

dimanche 11 novembre 2007

Fin d'un jeu.


Les Promesses de l'ombre - David Cronenberg.

Maintenant je suis définitivement un axolotl et si je pense comme un être humain c'est tout simplement parce que les axolotls pensent comme les humains sous leur apparence de pierre rose.
Axolotl - Julio Cortázar.

mardi 6 novembre 2007

Journal.



Je n'arrive pas à lire, et encore moins à écouter, les récits de rêve. Il y a là, comme dans les discours tenus par les ivrognes, au cinéma les scènes de soûlerie me sont insupportables, il y a là donc un décousu et un arbitraire qui m'ennuient profondément.

En sortant de l'abbaye de Saint Benoit sur Loire, un vol de.... (des corbeaux ? un de mes grands regrets est ne pas savoir nommer avec précision arbres, fleurs et oiseaux) tourne autour de la tour-porche. Pendant un instant, sentiment de la présence concrète de la vie.