Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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dimanche 31 décembre 2006

Voeux.


La Patte de singe - W.W. Jacobs (1901) - Trad : J.Papy.

Un vieil homme et son fils jouent aux échecs. La mère est là, attentive.
Au-dehors la nuit était froide et humide.
Le père est battu et surprend un regard d'intelligence entre la mère et son fils.
On frappe à la porte.
Entre un homme grand et vigoureux. C'est un ancien militaire.
La conversation s'engage.
Il est en possession d'une patte de singe, une petite patte très ordinaire, toute désséchée comme une momie.
Cette patte de singe a été ensorcelée pour que trois hommes différents puissent chacun réaliser trois souhaits grâce à elle.
Le premier de ces hommes, on ne sait pas ce que furent ses deux premiers souhaits, mais on sait que pour ce qui est du troisième, il a demandé la mort.
Quant au deuxième, ce fut le militaire lui-même. Il l'avoue en blémissant.
Le vieillard souhaite récupérer la patte, le militaire s'y oppose, puis finalement renonce et s'en va.
Que faire?
Le fils propose à son père de demander une somme (200 livres) correspondante à la dernière annuité due quant au paiement de la maison.
Le père accepte, émet son souhait et à peine a-t-il terminé qu'il constate avec effroi que la patte s'est tortillée dans sa main comme un serpent.
Rien ne se passe, la soirée continue.
Au-dehors le vent soufflait avec une violence accrue.
Le lendemain matin, encore rien.
Le fils part à son travail.
Dans la matinée un inconnu portant un chapeau haut de forme flambant neuf se présente.
La mère le fait entrer, l'inconnu semble gêné.
- Votre fils a été happé par une machine murmura enfin le visiteur.
Le fils est mort.
- Cependant la maison Maw et Meggins bien que déclinant toute responsabilité souhaite vous dédommager, et désire vous remettre une certaine somme à titre de compensation.
- Combien ? demande le père horrifié.
- Deux cents livres.
Plus rien n'est comme avant.
Peu de temps après, la mère souhaite faire un deuxième voeu et demande à son mari d'aller chercher la patte.
Il refuse : tout cela n'est que coïncidence.
La femme insiste. L'homme a peur de voir surgir devant lui son fils mutilé.
- Fait le souhait s'écria sa femme d'une voix forte.
- Je souhaite que mon fils retrouve la vie.
Pendant quelque temps, ils écoutèrent en silence le tic-tac de l'horloge.
Un coup furtif, à peine perceptible se fait entendre à la porte.
La mère court : C'est mon fils !
L'homme est terrifié : Pour l'amour du ciel ne laissez pas entrer cette créature !
Un autre coup, puis un autre encore.
Dans sa précipitation la femme n'arrive pas atteindre le verrou du haut. Elle demande l'aide de son mari.
Mais lui agenouillé sur le plancher cherchait désespérément à tâtons la patte de singe.
Il entendit grincer une chaise que sa femme plaçait contre la porte. Puis le verrou du haut commença à glisser à son tour. Au même instant, le vieillard trouva la patte de singe et murmura frénétiquement son troisième et dernier voeu.
La porte s'ouvre.
Une rafale de vent glacial balaya l'escalier. Un long gémissement de déception et de détresse donna au vieillard le courage de descendre les marches en courant pour rejoindre sa femme.
Sous la clarté vacillante du réverbère en face de la maison, la route s'étendait silencieuse et déserte.

Meilleurs voeux pour l'année 2007.

lundi 25 décembre 2006

Funk.




J'aimais éperdument la comtesse de *** ; j'avais vingt ans, et j'étais ingénu ; elle me trompa ; je me fâchai ; elle me quitta. J'étais ingénu, je la regrettai ; j'avais vingt ans, elle me pardonna ; et comme j'avais vingt ans, que j'étais ingénu, toujours trompé, mais plus quitté, je me croyais l'amant le mieux aimé, partant le plus heureux des hommes.
Vivant Denon-Point de lendemain (1777).

Et l'on continuera à s'attacher à la notion de swing, de pulsation, de groove, de funk, de cadence, de beat, d'oscillation, de scansion, de balancement afin de montrer que James Brown ou Vivant Denon, chacun à sa manière, réussit à accorder nos désirs aux rythmes du monde.
(reprise du note écrite le 11 juillet 2004)

dimanche 24 décembre 2006

Carton pâte.


Van Gogh - La diligence de Tarascon (13 octobre 1888)



Pour LN et R.

Relu Tartarin sur les Alpes de Daudet.
Van Gogh tenait les Tartarins (1) pour des chefs-d'oeuvre (ce qu'ils sont) et voyait en Gauguin un équivalent de Bompard (lettre du 17 janvier 1889). Bompard, tarasconais émigré qui confie à Tartarin un secret : La Suisse n'existe pas, c'est un territoire aménagé pour les touristes, au fond de chaque crevasse, il y a un filet; les avalanches sont calculées, le réel est truqué. Tartarin tombera en riant; mais alors même qu'il apprend la vérité, l'imagination - non exempte d'une certaine forme de mélancolie - restera reine.

Il arrivait dans la région des neiges...
Tout de suite il tira ses lunettes de leur étui, les assujettit solidement. La minute était solennelle. Un peu ému, fier tout de même, il sembla à Tartarin que, d'un bond, il s'était élevé de 1.000 mètres vers les cimes et les grands dangers.
Il n'avanca plus qu'avec précaution, rêvant des crevasses et des rotures dont lui parlaient ses livres et, dans le fond de son coeur, maudissant les gens de l'auberge qui lui avaient conseillé de monter tout droit et sans guides. Au fait, peut-être s'était-il trompé de montagne! Plus de six heures qu'il marchait, quand le Rigi ne demandait que trois heures. Le vent soufflait, un vent froid qui faisait tourbillonner la neige dans la brume crépusculaire.
La nuit allait le surprendre. Où trouver une hutte, seulement l'avancée d'une roche pour s'abriter? Et tout a coup il apercut devant lui, sur le terre-plein sauvage et nu, une espèce de chalet en bois, bande d'une pancarte aux lettres énormes qu'il déchiffra péniblement: <<PHO...TO...GRA...PHIE DU RI...GI...KULM>>. En même temps, l'immense hôtel aux trois cents fenêtres lui apparaissait un peu plus loin entre les lampadaires de fête qui s'allumaient dans le brouillard.

Joyeux Noël à tous.

(1) Du moins les deux premiers volumes de la trilogie : Tartarin de Tarascon (1872) - Tartarin sur les Alpes (1885).
Le troisième volume - Port Tarascon - paraîtra en 1890 (année de la mort de Vincent)

samedi 16 décembre 2006

Passe-temps (variation autour du mascaret).


Gotha.

Aux Girondins, de la part de celui qui vient d'un pays où il n'y a pas de marée.

Mascaret : Vague déferlante produite dans certains estuaires par la rencontre du courant descendant du fleuve et du flot montant de la mer. P.métaph. et au fig. Synon. raz de marée.

Lorsqu'on lit, il faudrait remarquer et savourer les détails. Il n'y a rien à redire au clair de lune des idées générales lorsqu'il intervient après que l'on a recueilli avec amour tous les petits éclats du soleil des livres (...) le bon lecteur est celui qui possède de l'imagination, de la mémoire, un dictionnaire et quelque sens artistique.
Nabokov.

De retour du séminaire de Jean-Yves Tadié (dans le cadre du cours d'Antoine Compagnon au Collège de France), j'ai repris le fragment sur lequel il s'était appuyé. Mon attention fut attirée par ce qui n'est peut-être qu'un détail, la répétition à quelques lignes d'intervalle du mot mascaret. Bizarre non ?

1) Je pressais le pas pour le fuir comme un voyageur poursuivi par le mascaret, je tournais en cercle dans les places noires, d'où je ne pouvais plus sortir.

2) Cependant l'obscurité persiste; plongés dans cet élément nouveau, les habitués de Jupien croyant avoir voyagé, être venus assister à un phénomène naturel comme un mascaret ou comme une éclipse, et goûter au lieu d'un plaisir tout préparé et sédentaire celui d'une rencontre fortuite dans l'inconnu, célébraient, aux grondements volcaniques des bombes, au pied d'un mauvais lieu pompéien, des rites secrets dans les ténèbres des catacombes.

Ce genre de détail (les petits éclats du soleil des livres) m'intrigue et pour dire le vrai m'amuse, et puis il faut bien tuer le temps.
Reprenons donc depuis le début.
Dans la nuit du 30 au 31 janvier 1918, Paris a été bombardé pour la première fois par les Gothas allemands (250 bombes, 75 †).
Le 13 février 1918, Proust écrit à Mme Strauss :

(...) Je tâcherais de venir sans Gothas,comme vous dites, et bien que je me trouve jamais sorti que les soirs de zeppelins, d'orage etc. Le soir des Gothas j'étais allé entendre le deuxième quatuor de Borodine chez les Gabriel de La Rochefoucauld. Comme j'étais parti presque au moment où la sirène a commencé, j'aurais pu être rentré très vite et éviter (c'aurait été la première fois) d'être dans la rue à ce moment-là. Mais le vieux chauffeur que j'avais pris n'a pu mettre en marche rue Murillo, et a eu ensuite une panne d'une demie heure avenue de Messine de sorte que n'ayant pas la patience d'attendre dans la voiture et restant à coté d'elle, j'ai tout entendu parfaitement. Mais le vieux chauffeur devait être sourd car quand arrivé chez moi je lui ai dit que s'il avait peur de rentrer, je pouvais le coucher dans mon petit salon, il m'a répondu : "Oh ! non je pars pour Grenelle. Ce n'est qu'une fausse alerte et il n'est rien venu du tout sur Paris." Une bombe éclatait rue d'Athènes à cinq minutes de chez moi pendant qu'il disait cela (...)

Si l'évènement frappe Proust c'est à double titre. D'abord d'abord le bruit (la soirée avait d'ailleurs commencé sous le signe de l'écoute, celle du quatuor de Borodine) - j'ai tout entendu parfaitement - mais aussi paradoxalement la non perception de ce bruit - le vieux chauffeur devait être sourd.
Proust entend parfaitement, le chauffeur n'entend rien mais personne ne voit.
Mais qu'y avait-il à voir ? Des avions. Revenons au texte.

Parfois seulement, un avion ennemi qui volait assez bas éclairait le point où il voulait jeter une bombe. Je ne retrouvais plus mon chemin. Je pensai à ce jour, en allant à la Raspelière, où j'avais rencontré, comme un dieu qui avait fait se cabrer mon cheval, un avion.

La scène fait écho en l'inversant à la première rencontre faite par le narrateur avec un aéroplane dans Sodome et Gomorrhe (TII, p1029, éd Clarac)

Tout à coup mon cheval se cabra; il avait entendu un bruit singulier, j’eus peine à le maîtriser et à ne pas être jeté à terre, puis je levai vers le point d’où semblait venir ce bruit mes yeux pleins de larmes, et je vis à une cinquantaine de mètres au-dessus de moi, dans le soleil, entre deux grandes ailes d’acier étincelant qui l’emportaient, un être dont la figure peu distincte me parut ressembler à celle d’un homme. Je fus aussi ému que pouvait l’être un Grec qui voyait pour la première fois un demi-Dieu. Je pleurais aussi, car j’étais prêt à pleurer, du moment que j’avais reconnu que le bruit venait d’au-dessus de ma tête—les aéroplanes étaient encore rares à cette époque—à la pensée que ce que j’allais voir pour la première fois c’était un aéroplane. Alors, comme quand on sent venir dans un journal une parole émouvante, je n’attendais que d’avoir aperçu l’avion pour fondre en larmes. Cependant l’aviateur sembla hésiter sur sa voie; je sentais ouvertes devant lui—devant moi, si l’habitude ne m’avait pas fait prisonnier—toutes les routes de l’espace, de la vie; il poussa plus loin, plana quelques instants au-dessus de la mer, puis prenant brusquement son parti, semblant céder à quelque attraction inverse de celle de la pesanteur, comme retournant dans sa patrie, d’un léger mouvement de ses ailes d’or il piqua droit vers le ciel.

On sait que l'avion est l'un des motifs qui courent tout au long de La Recherche. Il est bien entendu lié à la figure Alfred Agostinelli. Chauffeur-secrétaire, il fut le grand amour de Proust. Début décembre 1913, Agostinelli s'enfuit à Antibes. Il souhaite devenir aviateur et prend des cours de pilotage sous le nom de "Marcel Swann". Proust fera tout pour le faire revenir mais rien n'y fait. Le 30 mai 1914, Agostinelli vole au dessus de l'eau. Pour des raisons encore mal connues, l'appareil s'abime dans la mer. Agostinelli, ne sachant pas nager, meurt noyé, englouti.

Dans La Prisonnière (TIII, p407, éd Clarac), l'avion fait l'une de ses plus belles apparitions.

C'était comme le bourdonnement d'une guêpe. « Tiens, me dit Albertine, il y a un aéroplane, il est très haut, très haut. » Je regardais autour de moi, mais comme le promeneur couché dans un champ, je ne voyais, sans aucune tâche noire, que la paleur intacte du bleu sans mélange. J'entendais pourtant le bourdonnement des ailes qui tout d'un coup entrèrent dans le champ de ma vision. Là-haut, de miniscules ailes brunes et brillantes fronçaient le bleu uni du ciel inaltérable. J'avais pu enfin attacher le bourdonnement à sa cause, à ce petit insecte qui trépidait là-haut, sans doute à bien deux milles mètres de hauteur ; je le voyais bruire (...) un aéroplane à deux mille mètres n'est pas plus loin qu'un train à deux kilomètres, est plus près même, le trajet identique s'effectuant dans un milieu plus pur, sans séparation entre le voyageur et son point de départ, de même que sur la mer ou dans les plaines, par un temps calme, le remous d'un navire déjà loin ou le souffle d'un seul zéphyr raye l'océan des flots ou des blés.

Pur moment de bonheur - épiphanie synesthésique - où l'ouie et la vue sont confondues.
On notera également le jeu d'échos et d'oppositions avec le texte de référence (diurne/nocturne, zéphyr/tempête, navire /iceberg-Titanic, les blés etc.)

Certes et le mascaret dans tout ça me direz vous ? On y arrive mais encore un petit détour via le dictionnaire (il faut savoir respecter les impératifs nabokoviens).
Que nous apprend le TFLI ?

Mascaret : Étymol. et Hist. 1552 masquaret (Document Archives de la Gironde 38, 71 ds DAG.). Empr. au gasc. mascaret adj. «barbouillé», employé comme subst. au sens de «boeuf dont la face est tachetée de noir, de blanc, de gris» (dér. de mascar adj. «tacheté de noir», issu d'un préindo-européen *maskaro-, lui-même dér. de la racine *mask- (cf. mâchurer) v. FEW t. 6, 1, p.438a et 439b, note 11), p. compar. des flots avec le mouvement ondulant des bovins quand ils courent. Fréq. abs. littér.: 17. Bbg. SAIN. Sources t. 1 1972 (1925), pp.261-262.

On y arrive vous disais- je !
je ne voyais, sans aucune tâche noire... or que feront, par inversion, les habitués de la maison Jupien lors de la nuit du bombardement : Cependant l'obscurité persiste; plongés dans cet élément nouveau, les habitués de Jupien croyant avoir voyagé, être venus assister à un phénomène naturel comme un mascaret ou comme une éclipse...

On trouve à ma connaissance une autre occurence de mascaret dans La Recherche : dans l'épisode dit de la visite à Doncières (Le Coté des Guermantes, TII, p71-78, éd Clarac)
Tout le début de cette épisode est placé sous le signe de l'audition, tout comme la lettre à Mme Strauss.

C’était, moins loin de Balbec que le paysage tout terrien ne l’aurait fait croire, une de ces petites cités aristocratiques et militaires, entourées d’une campagne étendue où, par les beaux jours, flotte si souvent dans le lointain une sorte de buée sonore (...)

Le narrateur qui souffre d'hyperesthésie auditive - j'ai tout entendu parfaitement écrit Proust - se livre à une série de réflexions quasi-scientifiques sur l'ouie.

Seulement il y aussi des suppressions de bruits qui ne sont pas momentanées. Celui qui est devenu entièrement sourd ne peut même pas faire chauffer auprès de lui une bouillotte de lait sans devoir guetter des yeux, sur le couvercle ouvert, le reflet blanc, hyperboréen, pareil à celui d’une tempête de neige et qui est le signe prémonitoire auquel il est sage d’obéir en retirant, comme le Seigneur arrêtant les flots, les prises électriques; car déjà l’oeuf ascendant et spasmodique du lait qui bout accomplit sa crue en quelques soulèvements obliques, enfle, arrondit quelques voiles à demi chavirées qu’avait plissées la crème, en lance dans la tempête une en nacre et que l’interruption des courants, si l’orage électrique est conjuré à temps, fera toutes tournoyer sur elles-mêmes et jettera à la dérive, changées en pétales de magnolia. Mais si le malade n’avait pas pris assez vite les précautions nécessaires, bientôt ses livres et sa montre engloutis, émergeant à peine d’une mer blanche après ce mascaret lacté, il serait obligé d’appeler au secours sa vieille bonne qui, fût-il lui-même un homme politique illustre ou un grand écrivain, lui dirait qu’il n’a pas plus de raison qu’un enfant de cinq ans (...) Et pour ce sourd total, comme la perte d’un sens ajoute autant de beauté au monde que ne fait son acquisition, c’est avec délices qu’il se promène maintenant sur une Terre presque édénique où le son n’a pas encore été créé. (...) Comme sur la scène encore, le monument que le sourd voit de sa fenêtre—caserne, église, mairie—n’est qu’un décor. Si un jour il vient à s’écrouler, il pourra émettre un nuage de poussière et des décombres visibles; mais moins matériel même qu’un palais de théâtre dont il n’a pourtant pas la minceur, il tombera dans l’univers magique sans que la chute de ses lourdes pierres de taille ternisse de la vulgarité d’aucun bruit la chasteté du silence.

Ici encore un jeu d'oppositions et d'échos (grondement volcaniques des bombes, vices / chasteté du silence, noir/blanc, nuage de poussière, Pompéi, décombres, bombardement etc.) mais aussi ambivalence de ce silence imposé. Si la perte d’un sens ajoute autant de beauté au monde que ne fait son acquisition, il ne vous prémunit pas contre le mascaret qui viendra engloutir et le livre et la montre, qui transforme le grand écrivain en enfant de cinq ans. Rien de fascinant dans ce mascaret là. On ne peut qu'appeler au secours ou essayer de le fuir.
Deux mascarets, l'un lié à la vue, l'autre à l'ouie.
Le bonheur, se sera pour plus tard, dans le bourdonnement d'un avion, dans la brillance de ses ailes, dans la fusion des sens - je le voyais bruire, bonheur oh combien fugace puisque viendra le temps des Gothas et qu'au ciel à la paleur intacte du bleu sans mélange se substituera les ténèbres des catacombes

Mais peut-être ai-je fait un peu trop preuve d'imagination ?

lundi 11 décembre 2006

Actualités

...........................................................................ZONE

En dix ans, les habitants de la Zone ont participé à quarante films, trente courts métrages et autant de spots publicitaires. Ils ont incarné des centaines de petits caïds et de voleurs à la tire, des kidnappeurs ou des maquereaux. Les zonards ont joué les zonards. Et Julio s'est occupé du casting : «Une fois, un réalisateur américain est venu voir la Zone. C'était le cadre idéal pour son projet de film. Mais il y avait trop d'antennes de télévision. Je lui ai dit : si tu veux, on loue un terrain. En une heure, je construis pour toi vingt cases, j'y mets cent types qui feront les figurants, et, en plus, je te taille une pipe.»

...............................LES DESEPERES DE LA TERRE

Laure Adler n'aura passé qu'une petite année aux éditions du Seuil. Elle a appris en fin de semaine son licenciement, qui lui a été signifié «avec violence et brutalité», rapporte-t-elle.

...........................................................................................................................GRAND ANGLE

«Dans la commune, on était quatre jeunes dans la quarantaine, maintenant, il n'en reste que deux», ajoute Rigard, bras le long du corps dans son bleu de travail, maigre silhouette plantée dans le vent, sur le talus où se dresse sa petite ferme, face aux monts du Lyonnais. Plus que deux ? «Il y a eu un autre suicide récemment dans la commune. Le gars est allé se foutre au Rhône, on l'a retrouvé dix kilomètres plus loin, noyé. Personne n'en parle trop par ici»

mercredi 6 décembre 2006

Civilisation.

J'ai eu la chance de pouvoir assister aux deux premières heures du cours que consacre Antoine Compagnon à Marcel Proust, cours intitulé : Proust, mémoire de la littérature.
Pour résumer hativement (pour une synthèse plus complète il faudra se reporter ici) A.Compagnon a donné trois définitions de ce qu'il nomme mémoire de la littérature.
- Une définition "objective".
La mémoire dont la littérature peut faire l'objet; le souvenir que l'on a de la littérature. On se souvient de la littérature
- Une définition "subjective".
La mémoire que détient la littérature, ce dont elle se souvient, la capacité qu'elle a de se souvenir de tout, de l'écume des jours; la littérature comme mémoire et somme de la culture.
- A ces deux définitions, A.Compagnon en rajoute une troisième qui est comme le repli des deux premières l'une sur l'autre.
La littérature se souvient de la littérature, la littérature comme objet et sujet de la mémoire. Loin d'y voir un enfermement, une autonomisation de la littérature (une littérature qui ne parlerait que de littérature, l'intertextualité comme alpha et oméga, travers dans lequel serait tombé la critique des années 60 et 70), Compagnon y voit plutôt une ouverture sur le monde. C'est comme cela que la littérature parle du monde, la littérature est grosse de la littérature (citations, allusions etc...), alors les morts peuvent renaître (Borges) et la littérature devenir lieu de transmission.
En sortant du Collège de France, j'ai repris la lecture de l'Agatha Christie que j'avais du interrompre (je sais c'est snob...) et suis tombé sur ceci avec ravissement (je précise que la scène se déroule quelques heures après la découverte du cadavre)

On leur servit les canards froids au diner. Et, après les canards, une crème caramel qui témoignait, selon lady Angkatell, du tact infini dont savait faire preuve Mrs Medway dans les circonstances les plus délicates.
L'art culinaire, leur confia-t-elle, offrait aux âmes bien nées un éventail quasi illimité de recettes susceptibles de souligner l'exquise délicatesse de leurs sentiments.
- Mrs Medway sait que nous n'apprécions que modérément la crème caramel. Il eût été indécent de manger notre gâteau préféré le jour de la mort d'un ami. Mais la crême caramel, ça passe si facilement...ça glisse, si vous voyez ce que je veux dire...et on en laisse toujours un peu dans son assiette.
Agatha Christie - Le Vallon.

Et j'ai bien entendu pensé immédiatement à ce portrait de Françoise dans la Recherche.

Elle possédait à l’égard des choses qui peuvent ou ne peuvent pas se faire un code impérieux, abondant, subtil et intransigeant sur des distinctions insaisissables ou oiseuses (ce qui lui donnait l’apparence de ces lois antiques qui, à côté de prescriptions féroces comme de massacrer les enfants à la mamelle, défendent avec une délicatesse exagérée de faire bouillir le chevreau dans le lait de sa mère, ou de manger dans un animal le nerf de la cuisse). Ce code, si l’on en jugeait par l’entêtement soudain qu’elle mettait à ne pas vouloir faire certaines commissions que nous lui donnions, semblait avoir prévu des complexités sociales et des raffinements mondains tels que rien dans l’entourage de Françoise et dans sa vie de domestique de village n’avait pu les lui suggérer; et l’on était obligé de se dire qu’il y avait en elle un passé français très ancien, noble et mal compris, comme dans ces cités manufacturières où de vieux hôtels témoignent qu’il y eut jadis une vie de cour, et où les ouvriers d’une usine de produits chimiques travaillent au milieu de délicates sculptures qui représentent le miracle de saint Théophile ou les quatre fils Aymon.
Marcel Proust - Du côté de chez Swann.

Je ne sais pas si Agatha Christie a lu Proust, mais il m'a semblé voir dans cet écho entre ces deux textes de valeur bien entendu inégale, et du fait même de cette inégalité, comme la trace de ce qu'il faut bien nommer une civilisation.
Je pense que je retournerai écouter A.Compagnon.

dimanche 3 décembre 2006

Pourquoi je n'irai probablement pas voir...



Pourquoi je n'irai probablement pas voir Les Infiltrés, Black Book ou Le Dahlia noir...
S : Revenons aux fondamentaux : paraît que le Verhoeven et le Scorsese sont biens ?.
Moi : Pas vu et je dois dire que ça m'excite pas vraiment.
S : ... finalement, plus rien ne semble t'exciter.
Pas faux l'ami !
A dire le vrai, il m'apparait que la plupart des images qui nous sont proposées ont perdu toute singularité.
Mais quelle singularité ?
Avant d'être un art du récit, le cinéma m'a toujours semblé un art du geste (aussi ai-je toujours préféré Walsh à Bergman par ex), un art qui avait la capacité - et c'est cette singularité qui, à la manière du bleu de Chartres, a mystérieusement disparu - la capacité donc d'inscrire un geste dans un décor.

Roberta (1935) - William A. Seiter.

La capacité d'inscrire un geste dans un décor, mais aussi dans un récit.
Un adieu, le mouvement des vagues, des barques mises à la mer, des retrouvailles.


Le cinéma perdu, me reste la littérature (cf synthése et )
La consommation du tabac (poursuivit Mr Pickwick) doit être très forte dans ces villes; et l'odeur qui en imprègne les rues doit être une source de joies infinies pour tous ceux qui ont la passion de l'aimer.
Monsieur Pickwick - Trad : Sylvère Monod.
Remerciements à Zohiloff.