Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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lundi 29 septembre 2008

Scolaire ou retour aux fondamentaux.

Ce billet est bien entendu dédié à Cheval aveugle.

Eugène craignit que son voisin ne se trouvât indisposé, il approcha son oeil de la serrure, regarda dans la chambre, et vit le vieillard occupé de travaux qui lui parurent trop criminels pour qu'il ne crût pas rendre service à la société en examinant bien ce que machinait nuitamment le soi-disant vermicellier. Le père Goriot, qui sans doute avait attaché sur la barre d'une table renversée un plat et une espèce de soupière en vermeil, tournait une espèce de câble autour de ces objets richement sculptés, en les serrant avec une si grande force qu'il les tordait vraisemblablement pour les convertir en lingots.- Peste ! quel homme ! se dit Rastignac en voyant le bras nerveux du vieillard qui, à l'aide de cette corde, pétrissait sans bruit l'argent doré, comme une pâte (...). L'étudiant appliqua de nouveau son oeil à la serrure. Le père Goriot, qui avait déroulé son câble, prit la masse d'argent, la mit sur la table après y avoir étendu sa couverture, et l'y roula pour l'arrondir en barre, opération dont il s'acquitta avec une facilité merveilleuse (...). Le père Goriot regarda tristement son ouvrage, des larmes sortirent de ses yeux, il souffla le rat-de-cave à la lueur duquel il avait tordu ce vermeil, et Eugène l'entendit se coucher en poussant un soupir.- Il est fou, pensa l'étudiant.

On se demande pourquoi Goriot prend la peine de pétrir l'argent à l'aide d'une corde, transformant, au prix d'un effort surhumain, une soupière en une sorte de vermicelle. L'opération est d'autant plus étonnante que Goriot a été vu le lendemain.

Il a porté ce matin du vermeil à la fonte, et je l'ai vu entrant chez le papa Gobseck, rue des Grès.

Les objets sont donc fondus avant d'être portés chez l'usurier, alors pourquoi les tordre préalablement ?
J'avoue ne pas avoir trouvé de réponse technique à cette question mais elle m'a taraudé au point que j'ai relu Le Père Goriot.
La scène décrite par Balzac est un lieu commun de la littérature fantastique et son modèle est peut-être la scène d'ouverture de L'Homme au sable d'Hoffmann. Toutefois Balzac réalise un véritable coup de force en défantastiquant (le mot est de Pierre Brunel) toute la séquence. Là où chez Hoffmann la pièce baigne dans une lumière bleuatre, où ombre et lumière sont propices à la dérive hallucinatoire, où le feu peut se faire dévorant, chez Balzac seuls subsistent la force brute de Goriot et la mince flamme d'une bougie. Enfin, là règne la misère sans poésie. À l'absence de poésie, Rastignac ne peut répondre que par le prosaïque : Il est fou.
C'est ce prosaïsme qui fait problème. La scène vue n'est pas celle que l'on s'attend à voir d'autant que l'énigme policière sera rapidement résolue. La somme récoltée est destinée à l'une des filles de Goriot. Cette épisode va cependant irriguer tout le roman.
Est introduit pour la première fois le thème de la force de Goriot, force qui perdure malgré les modifications physiques.

Il devint progressivement maigre ; ses mollets tombèrent ; sa figure, bouffie par le contentement d'un bonheur bourgeois, se vida démesurément (...).

On en retrouvera des traces tout au long de l'oeuvre.

Voilà ce que c'est que des gendres ! Oh ! si je les tenais, je leur serrerais le cou.

Et le vieillard serrait sa fille par une étreinte si sauvage, si délirante, qu'elle dit :- Ah ! tu me fais mal.- je t'ai fait mal ! dit-il en pâlissant. Il la regarda d'un air surhumain de douleur.

Comme chacun le sait cette énergie trouve son origine dans la passion qu'éprouve Goriot pour ses filles, passion foncièrement idiote (dans un sens rossetien), en ce qu'elle se nourrit d'elle-même, qu'elle est son propre combustible.
On comprend dès lors l'absence de fourneau, de flamme et le roman peut-être lu comme un long processus d'éclaircissement de cette scène primitive. Balzac n'a pas besoin de l'attirail alchimique puisque le feu est déjà là, en Goriot.

Le crâne me cuit intérieurement comme s'il avait du feu.

D'autant que le terrain s'y prête.

Deux sentiments exclusifs avaient rempli le cœur du vermicellier, en avaient absorbé l'humide (...).

Ce nouvel éclairage permettra à Rastignac de mieux voir. À la folie va se substituer le sublime. D'abord après avoir écouté la Duchesse de Langeais raconter la vie de Goriot.

Le père Goriot est sublime ! dit Eugène en se souvenant de l'avoir vu tordant son vermeil la nuit.

Ensuite après avoir vu Goriot parler de ses filles.

Le père Goriot était sublime. Jamais Eugène ne l'avait pu voir illuminé par les feux de sa passion paternelle. Une chose digne de remarque est la puissance d'infusion que possèdent les sentiments. Quelque grossière que soit une créature, dès qu'elle exprime une affection forte et vraie, elle exhale un fluide particulier qui modifie la physionomie, anime le geste, colore la voix. Souvent l'être le plus stupide arrive, sous l'effort de la passion, à la plus haute éloquence dans l'idée, si ce n'est dans le langage, et semble se mouvoir dans une sphère lumineuse.

Laissons le dernier mot à Bianchon appelé au chevet du père Goriot.

- A moins que je ne me trompe, il est flambé !

Les lois de la thermodynamique sont implacables.

dimanche 28 septembre 2008

Toi aussi tu peux t'amuser avec les stars.


Paul Newman fit une apparition dans un film français en compagnie d'une jeune actrice également française et fort dénudée.
Quel film ? Quelle actrice ?

La réponse est donnée dans les commentaires.

mercredi 24 septembre 2008

La foire aux cancres.

Ce matin sur France Inter promo pour LE FILM.

L'animateur : Vous parlez de dialogue platonicien...en voilà un.
Suit un extrait DU FILM.
Voix d'une jeune fille à l'accent banlieusard : ...Ya La République...le livre de La République.
Voix du professeur : La République de Platon.
La jeune fille : Mouais.
Le professeur : Mais alors quelle genre de question il pose...sur quels sujets ?
La jeune fille : Sur tout...sur l'amour...sur la religion...sur dieu...sur les gens...sur tout.
Le professeur : C'est très bien que tu aies lu ça.
La jeune fille : Ouais je sais...c'est pas un livre de pétasse...hein.
Fin de l'extrait.
L'animateur intervient : Ça c'est une des très belles scènes du film...C'est un aspect positif de la relation de Bégaudeau à ses élèves, en tout cas du professeur qu'il incarne à ses élèves parce qu'il reussit à transmettre des choses mais peu de choses. Quand il essaye de transmettre la langue française, le langage soutenu, la langue classique, là il se heurte à des murs...

Personne (ni le professeur, ni les journalistes) ne semble trouver curieux qu'une jeune fille de 14/15 ans, en classe de quatrième, qui éprouve des difficultés à maîtriser la langue française ait lu un ouvrage particulièrement complexe de l'histoire de la philosophie, d'autant que les thèmes énoncés ne figurent pas dans La République. Peu importe qu'elle ait lu ou pas ce livre, qu'elle l'ait compris ou pas puisque seul compte le dire, l'énergie mise à dire. Tout le monde fera alors semblant, en toute bonne conscience. Sont-ils pas formidables ces jeunes ?
Mais il est vrai que pour Jean Luc Douin, journaliste au Monde, La République est un bouquin de...Socrate.

lundi 22 septembre 2008

Collage.

Léa Seydoux (actrice du film La Belle personne) est petite-fille de Jérôme Seydoux en l’occurrence : producteur de cinéma, patron de Pathé (et actionnaire de Libération via Chargeurs).
Son paillasson est joyeux, qui figure un cabot en laisse et dit «Waow»
Henri, son père (patron de la société de téléphonie Parrot), s’est remarié à Farida, icône beur des années 80 et témoin au mariage Bruni-Sarkozy. Léa dit sans acrimonie que ça a changé la donne. Que même si Henri, en bon protestant addict au labeur et à la discrétion, continue de «circuler en métro avec sa carte Navigo alors qu’il pourrait très bien avoir un chauffeur» (elle se marre), sa vie a pris un tour plus mondain. «A Moustique, par exemple, où il a une maison, je me suis retrouvée à côtoyer Nan Goldin, Mick Jagger, Lou Reed, Elle McPherson… OK. Mais je ne me sens pas à l’aise dans ce milieu. Entre ça et ma mère qui a monté une association en faveur des gamins des rues de Dakar, il faut que je m’y retrouve !»

Le peu qui restait de l'ancienne ou plutôt des anciennes aristocraties est devenue une basse bourgeoisie. L'ancienne aristocratie est devenue comme les autres une bourgeoisie d'argent. L'ancienne bourgeoisie est devenue une basse bourgeoisie, une bourgeoisie d'argent.

Sa sortie chez nous (celle de Entre les murs) mercredi entre en concurrence directe avec un autre long métrage événement de facture radicalement différente, Faubourg 36, de Christophe Barratier. Le nouveau film de l’auteur de l’énorme succès les Choristes, produit par Jacques Perrin et distribué par Pathé, sort sur une combinaison de 500 écrans contre 350 pour celui de Cantet. Les budgets des deux films ne sont pas proportionnels à leur diffusion, puisqu’Entre les murs, basé sur un dispositif de tournage simple (lieu unique, pas de star) a coûté 2,5 millions d’euros, tandis que le film en costume de Barratier, mobilisant des têtes d’affiche (Jugnot, Kad Merad, Clovis Cornillac), se chiffre à 28 millions d’euros. Le match oppose surtout deux conceptions opposées du cinéma. D’un côté, le énième ripolinage des riches heures du Front populaire, de l’autre un film d’actualité plein de questions et de doutes.

C'est partout la même démagogie; et c'est partout la même viduité; l'une portant l'autre; l'autre reportant l'une (...). Même indigence, même lamentable pauvreté de pensée.

Extraits du journal Libération et de L'Argent de Charles Péguy.

A part ça Norman Whitfield est mort et c'est bien triste.

jeudi 18 septembre 2008

Crayonné.

J'ai rencontré F.B.
Alors que je ne le connais pas, je ne l'ai vu qu'à la télévision et une fois au salon du livre où son ironie molle, celle des demi-habiles, m'avait fortement agacé, je considère avec amusement, son nom est l'un des tous premiers qui amène ici, qu'il fait un peu partie du cercle de mes relations. Je ne l'ai pas tout de suite reconnu. Avait-il grossi ? Ou était-ce parce que je le voyais en pied et en mouvement ? Un peu des deux puisque je lui trouvai la démarche pataude. Les mots me sont venus tout de suite avant même que je sache à qui ils se rapportaient. Il avait à la main un petit volume de la collection Poésie/Gallimard duquel je n'ai pu identifier l'auteur. Au moment où nous nous sommes croisés, son téléphone a sonné. Assez rapidement, si rapidement que je n'ai pas eu le temps de le voir faire, il portait l'appareil à l'oreille. Nous étions assez proches pour que je puisse l'entendre dire.
- Ah c'est toi ! J'attends un coup de fil de Claire Chazal...pensais que c'était elle.
Nous nous sommes éloignés l'un de l'autre. Je me suis retourné et ai eu juste le temps de le voir disparaître au coin de la rue.

jeudi 11 septembre 2008

Sans légende.


Pierre Davis.

vendredi 5 septembre 2008

2666 - Roberto Bolaño.

Le monde est tout ce qui a lieu.
Wittgenstein.

De porte, nulle part, jamais. Tu es dedans
Et l'alcazar embrasse l'univers
Et il n'a point d'avers ni de revers,
Point de mur extérieur ni de centre secret.
N'espère pas que la rigueur de ton chemin
Qui obstinément bifurque sur un autre
Puisse jamais finir (...).
(...) N'attends rien. Pas même
Au coeur du crépuscule noir, la bête.
Borges.

Il reposa le livre,

Lui resterait la mélancolie des histoires d'amour,

Au bout de quinze jours, ils se revoyaient et tout se passait de la même manière que la fois précédente. Évidemment, on ne donnait pas toujours des fêtes dans les maisons voisines et en certaines occasions la directrice ne voulait pas boire, mais les lumières ténues étaient toujours les mêmes, la douche se répétait toujours, les crépuscules et les montagnes ne changeaient pas, les étoiles étaient toujours les mêmes.

la prolifération des histoires, tout pouvait arriver à tout moment, et des images.

La brise qui soufflait à ces heures-là dans les rues de Santa Teresa était vraiment fraîche. La lune, pleine de cicatrices, brillait encore dans le ciel.

Il avait songé à cette citation d'Yves Bonnefoy entendue à la radio.

Dessinant, peignant, écrivant, on contraint l'être à claudiquer de plus belle sur les béquilles du signe.

Le roman n'offrait aucune certitude, sa démarche n'offrait aucune assurance,

Les métaphores sont notre manière de nous perdre dans les apparences ou de rester immobiles dans l'océan des apparences. Dans ce sens, la métaphore est comme une bouée de sauvetage. Il ne faut pas oublier qu'il y a des bouées de sauvetage qui flottent et des bouées de sauvetage qui coulent à pic vers le fond.

et pourtant il fallait faire confiance aux béquilles du signe pour révéler la trace, unique preuve d'un passage.. Pour faire éclore une présence à partir d'une absence.

Dans la chambre de Pelletier, il manquait un morceau de la cuvette des toilettes. Ça ne se voyait pas à première vue, mais en soulevant le couvercle le morceau qui manquait devenait soudainement présent, presque comme un aboiement.

Encore ne fallait-il pas être dupe des mots.

...les paroles avaient plus tendance à s'exercer dans l'art de cacher que dans l'art de dévoiler. Ou peut-être dévoilaient-elles quelque chose ? Quoi ? J'avoue que, moi, je l'ignore.

Il pensa à la caverne platonicienne, il en avait été question au cours de l'émission consacrée à Bonnefoy, et se dit que l'écrivain chilien lui opposait le zootrope, disque magique qui flotte et tournoit dans notre cerveau.

- Bon, eh bien, c'était un poivrot en train de rire. Ça, ç'était dessiné d'un coté du disque. Sur l'autre face, était dessinée une cellule, je veux dire les barreaux d'une cellule. Lorsque je faisais tourner le disque le poivrot qui riait était dans la prison.
- Non, il n'y a pas de quoi rire, dit Charly Cruz.
- Pourtant le poivrot riait, peut-être parce que lui, il ne savait pas qu'il était en prison.
(...)
Le poivrot rit parce qu'il croit qu'il est libre, mais en réalité il est dans une prison, avait dit Oscar Amalfitano, c'est là que se trouve, disons, le truc amusant, mais ce qui est sûr c'est que le poivrot est dessiné de l'autre coté du disque, et nous pouvons aussi affirmer que le poivrot se moque de nous parce que nous croyons qu'il se trouve en prison, sans nous rendre compte que la prison se trouve d'un coté et le poivrot de l'autre, et on aura beau faire tourner le disque et avoir l'impression que le poivrot est en prison, la réalité c'est ça. De fait, nous pourrions même deviner de quoi rit le poivrot : il rit de notre crédulité, c'est à dire qu'il rit de nos yeux.

Au coeur du labyrinthe, avait-il un centre d'ailleurs, ne se tenait point de bête mais sur chacun de ses murs retentissait l'écho d'un rire pour lequel aucun mot n'avait été inventé.

tandis que tout sommeille...