Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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mercredi 30 novembre 2005

A History of Violence.

Sur la place du village.
Un petit garçon, Théodore, et une petite fille, la petite Marie, se battent. Il a un bout de bois pointu à la main.

La marchande. - Qu'est-ce que vous faites, vous autres, là bas ?
Le petit Théodore. - On joue au mari et à la femme - et mon bout de bois c'est un couteau...
Sacha Guitry - La Poison (1951).

mardi 29 novembre 2005

Evadons nous.



Profité d'un week-end neigeux et froid pour lire ''Les tactiques de Chronos'' d'Etienne Klein, ouvrage à propos du temps, non celui qu'il fait mais celui qui fuit. Dans l'un des chapitres Etienne Klein s'intéresse plus particulièrement à la question des origines. Nous savons aujourd'hui que l'univers a eu une histoire. Est-ce à dire qu'il a eu un début? A cette question il apporte une double réponse.

1) Plus on se rapproche d'un instant dit zéro, plus il existe une incompatibilité entre les principes de la physique quantique et ceux de de la relativité générale. Par ailleurs les événements à étudier deviennent de plus en plus nombreux, nécessitant pour cette étude la mise en oeuvre d'une énergie de plus en plus grande et théoriquement impossible à obtenir.
2) D'un point de vue épistémologique comment dire que l'univers a pu émerger de quelque chose qui n'était pas un univers? Toute science a besoin pour se construire d'un réel, d'un déjà-là or l'origine ne fait précisement pas partie du déjà-là.
Kant, en 1783, disait également la même chose lorsqu'il estimait que penser le commencement du temps revenait à situer le temps dans le temps, à moins de penser un temps vide ce qui n'aurait alors pas de sens. Et Klein d'ajouter : Peut-on concevoir le temps sans le changement ? Pour qu'on puisse parler de changement, il faut que quelque chose change, et ce quelque chose, c'est déjà un univers...!
En conclusion Klein nous indique que nous ne savons donc rien de l'origine de l'univers, rien non plus de l'origine du temps, que le terme origine soit pris ici au sens chronologique ou au sens explicatif. Jean Marc Levy-Leblond ne dit pas autre chose : L'instant zéro est donc aussi inaccessible que l'infini : il n'y a jamais eu d'instant zéro !

J'ai alors pensé, mais il faut dire que la prédication protestante diffusée le dimanche matin y avait fait allusion (les émissions religieuses du dimanche matin à la radio sont pleines d'enseignement), à la lettre Beth, la deuxième lettre de l'alphabet hébreu. Le premier mot de la Bible est Beréshit dont la traduction traditionnelle est le fameux Au commencement. La première lettre de Beréshit est la lettre Beth. La première lettre de la Genèse est donc la deuxième de l'alphabet hébreu. Pas la premiere, l'Aleph, puisque l'origine est par définition inconnaissable et d'ailleurs exclue de toute connaissance. De même par sa graphie, ouvert d'un coté et fermé de l'autre - l'hébreu s'écrit de droite à gauche - le Beth indique bien qu'il existe un domaine que l'homme ne peut connaître. D'un coté l'histoire, le texte; de l'autre ...

Les exégètes s'accordent à voir dans le premier récit de la création (Genèse 1,1 - 2,4a) non pas le recours à la notion métaphysique d'une création ex-nihilo, à partir de rien, cette dernière n'apparaissant que bien plus tard dans 2 Maccabées 7,28 (1) - Je t'en prie mon enfant, léve les yeux vers le ciel et la terre, vois tout ce qui s'y trouve et saches que Dieu n'a pas fait cela de choses qui existaient, et qu'il en est ainsi de la race des hommes - mais plutôt la mise en ordre d'un chaos originel, le tohoû wâbohoû. Ainsi le Au commencement...peut-il être aussi compris par : Lorsque Dieu commença de créer le ciel et la terre, la terre était un chaos...
Pour reprendre les mots de Paul Ricoeur : Il n'y a pas de début ponctuel.

Bibles et livres restaient ouverts, la neige avait cessé de tomber, il faisait toujours froid, le temps s'écoulait.

(1) Les deux livres des Maccabées ne figurent pas dans le canon juif des Ecritures. Les protestants les rangent parmi les écrits "apocryphes". Ils ont été inscrits dans les Ecritures par le concile de Trente en 1546. Le deuxième livre des Maccabées aurait été écrit peu après 124 avant JC.

samedi 26 novembre 2005

Une page d'histoire.


Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes (1721 - 1794)

Entendu et appris, à propos de Louis XVI, cette page d'histoire.
En 1785, Monsieur de Malesherbes, l'ami des encyclopédistes, écrit un mémoire sur le mariage des protestants. Ce mémoire débouchera en 1787 sur l'édit du 28 novembre 1787 dit édit de tolérance reconnaissant la validité du mariage protestant et annonçant la sécularisation de l'état civil.
Au même mois de novembre Louis XVI souhaite accorder aux juifs de France des droits équivalents à ceux des protestants. Un matin, le Roi croise Monsieur de Malesherbes et lui déclare : « M. de Malesherbes, vous vous êtes déjà fait protestant. Maintenant, je veux que vous vous fassiez juif. Je vous demande de vous occuper d'eux. »(1)

Par les temps qui courent, je me demande si je ne vais pas finir par devenir royaliste.

(1) Entendu ce matin dans cette émission consacrée à Louis XVI.

vendredi 25 novembre 2005

Tenace, forcément tenace ou Esprit chagin.

Hier soir.

18h00 - La Fnac.
J'ai toujours bien aimé Simon Leys. On pourrait dire qu'il est, qu'il a toujours été, un peu comme on le dit d'un chanteur ou d'un musicien, juste. Le dernier très bon papier littéraire qu'il m'ait été donné de lire était de lui : il y a quelques mois à propos de Segalen dans le Figaro Littéraire.
Bref, j'ai appris le matin même que sortait sous sa signature un receuil de citations Les idées des autres - Plon. Je feuillette. Il semble s'agir d'un florilège où l'auteur à la manière d'Arcimboldo se peint non point avec des fruits, mais avec les mots des autres. Plaisant.
Je ne résiste pas au plaisir de recopier deux citations. La première est de Claude Levi-Strauss, la deuxième de C.S Lewis (je n'ai jamais rien lu de ce dernier).

Les sociétés payent très cher le fait d'avoir constitué la jeunesse comme une entité séparée.
C'est le signe que les générations en place ne sont plus sûres de leurs valeurs. Les sociétés se maintiennent parce qu'elles sont capables de transmettre d'une génération à l'autre leurs principes et leurs valeurs. A partir du moment où elles se sentent incapables, où ne savent plus quoi transmettre et se reposent sur la génération suivante, elles sont malades.

L'égalité (en dehors des mathématiques) est une notion purement sociale. Elle ne concerne l'homme qu'en tant qu'animal politique et économique. Elle n'a pas de place dans le monde de l'esprit. La beauté n'est pas démocratique, la vertu n'est pas démocratique, la vérité n'est pas démocratique. La démocratie politique est condamnée si elle s'efforce d'étendre l'exigence d'égalité à ces sphères plus élevées. La démocratie éthique, intellectuelle ou esthéthique est quelque chose de fatale. Une éducation vraiment démocratique - c'est à dire qui saura préserver la démocratie - doit être dans sa sphère propre implacablement aristocratique, audacieusement élitiste.

18h45 - Quai du RER.
En attendant la rame, je parcours une interview de Philippe Murray donnée au Point. Rien de vraiment neuf, mais il avoue avoir été amusé par une déclaration de Marie Darrieussecq ; moi aussi : L'art, le vrai, avance pour un monde de plus en plus moderne. Con-fondant. Je la mémorise, m'en vais et la note sur mon carnet.

22h00 - A la maison.
Revu un chef d'oeuvre : La Poison (1951) de Sacha Guitry avec Michel Simon. Exercice de cruauté absolu. Rien n'est épargné. Une façon de maintenir le cadre, sans appel, stupéfiante. La séquence du tribunal dans laquelle vient s'insérer les jeux des enfants, est magnifique
Avant de me coucher, je relis les lignes que Lourcelles consacre au film et décide d'écrire ce post.

Ps : Je n'ai pas gardé la précédente note avec les dessins de Bosc, étant dans l'incapacité d'obtenir une mise en page qui me satisfasse. Dommage.

mardi 22 novembre 2005

Mlch (4)



Aussi, Il reçut l'homme comme l'œuvre d'une image indistincte, et l'ayant placé au milieu du monde, lui parla ainsi : " Je ne t'ai donné ni une place définie, ni une apparence propre, ni aucun rôle particulier, ô Adam, afin que tu prennes et possèdes la place, l'apparence et les rôles que tu auras souhaité toi-même, par vœu et par ton propre avis. Tous les autres êtres ont une nature définie, contenue à l'intérieur de lois par moi prescrites. Toi, qui n'es enfermé dans aucun chemin étroit, tu te définiras ta nature en fonction de ton bon vouloir, en les mains duquel je t'ai placé. Je t'ai mis au milieu du monde, afin que de là tu regardes plus commodément autour de toi tout ce qui est dans le monde. Je ne t'ai fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, afin que, comme si tu étais ton propre juge et digne de te juge, peintre et sculpteur, tu façonnes toi-même ta forme. Tu pourras dégénérer vers les choses brutes du bas, tu pourras renaître vers les choses divines du haut, par le jugement de ton esprit."
Pic de la Mirandole - Oratio de hominis dignitate (Trad Marguerite Yourcenar)

Entre la vision totalisante des Houyhnhnms, où l'influence de La République de Platon se fait sentir, et le monde "hobbessien" des Yahoos le lecteur des Voyages de Gulliver ne peut choisir. A la fin du dernier chapitre des Voyages il ne reste plus rien; Swift a réussi à atteindre le but qu'il s'était assigné : tourmenter (to vex) le monde plutôt que de le divertir. En effet si il est impossible de s'identifier au Yahoos, le traitement que leur inflige Swift est par trop radical, nous n'éprouvons aucune sympathie pour les Houyhnhnms, leur société apparaissant comme étant une société essentiellement mortifère où tout désir est absent. Entre le désir infini et le refus de celui-ci il n'y a pas de place, si ce n'est pour le silence.
245 ans après Swift, un écrivain de génie revisitera le monde des Yahoos. Il s'agit de Jorge Luis Borges.
Dans la nouvelle Le Rapport de Brodie (1) Borges nous raconte avoir trouvé dans le premier tome des Mille et Une Nuits traduit par Lane (1839) un manuscrit dont il manque la première page. Le manuscrit est signé par un missionaire écossais, David Brodie. Il commence ainsi:

...de la région qu'infestent les hommes singes (Apemen) habitent les Mlch, que j'appelerai Yahoos, pour que mes lecteurs n'oublient pas leur nature bestiale et parce qu'une transposition littérale précise est presque impossible, étant donné l'absence de voyelles dans leur âpre langage.(2)

et se termine de la manière suivante:

Je ne me repens pas d'avoir combattu dans leurs rangs contre les hommes-singes. Nous avons le devoir de les sauver. J’espère que le gouvernement de Sa Majesté ne restera pas sourd à ce que ce rapport se permet de suggérer.

Mais qu'est-ce donc que suggère le rapport ? Pourquoi ces dernières lignes en faveur des Yahoos, alors que rien ne semble nous y avoir préparé ? D'abord il faut constater que Borges fin lecteur de Swift réintroduit au coeur de son texte l'indécidabilité de la fin des Voyages.
J'écris ces lignes à Glasgow. J’ai relaté mon séjour parmi les Yahous, mais j'ai glissé sur son horreur fondamentale dont je ne suis pas entièrement affranchi et qui hante encore mon sommeil. Dans la rue, je me crois encore encerclé par eux. Les Yahoos... Le narrateur est-il hanté par le souvenir des Yahoos ou constate-t-il, comme Gulliver, la ressemblance des Yahoos avec ses contemporains. Rien ne permet vraiment de le décider.
La réponse est peut-être dans ces trois indications :

- Les sorciers, eux, ont de la mémoire, mais elle est très courte ; ils peuvent se souvenir le soir de ce qui s'est passé le matin, ou même la veille au soir. Ils ont aussi le don de prévoir l'avenir ; ils déclarent, par exemple, avec une assurance tranquille : Une mouche va me frôler la nuque ou Nous n’allons pas tarder à entendre un cri d'oiseau. J'ai été témoin des centaines de fois de ce don curieux. J'ai beaucoup réfléchi là-dessus. Nous savons que le passé, le présent et l’avenir existent, dans leur moindre détail, dans la mémoire prophétique de Dieu, dans Son éternité ; ce qui est étrange c'est que les hommes puissent regarder indéfiniment en arrière, mais pas en avant. Si j'ai un souvenir des plus nets de ce voilier de haut-bord qui vint de Norvège alors que j'avais à peine quatre ans, pourquoi m'étonnerais-je que quelqu’un soit capable de prévoir ce qui est sur le point d’arriver ? Philosophiquement parlant, la mémoire n'est pas un prodige moindre que la divination du futur ; la journée de demain est plus proche de nous que la traversée de la mer Rouge par les Hébreux dont pourtant nous nous souvenons.

- les Yahoos, malgré leur barbarie, ne sont pas une nation primitive mais bien plutôt dégénérée. A l'appui de mon hypothèse, je citerai les inscriptions que j'ai découvertes au sommet du plateau et dont les caractères, qui ressemblent aux runes que gravaient nos ancètres, ne peuvent plus être déchiffrés par la tribu.

-Ils ont des institutions, un roi, ils manient une langue fondée sur des concepts génériques, ils croient, comme les Hébreux et les Grecs, en l'origine divine de la poésie et devinent que l'ame survit à la mort du corps. Ils croient à l'existence de châtiments et de récompenses. Ils représentent en somme, eux aussi, la culture, comme nous la représentons nous-mêmes, malgré tous nos péchés.

Il me semble donc que les Yahoos représentent le futur de l'humanité et que Brodie a été mis en contact avec ce futur. Ce qu'il faut donc préserver c'est la civilisation présente au nom de la civilisation future, même si celle ci est barbare afin de préserver ce qu'il y restera d'humain - Tu pourras dégénérer vers les choses brutes du bas - et il n'est d'ailleurs pas sûre que cela marche ; les hommes singes représentant peut-être un stade ultérieur. Mais il faut faire comme si.
Borges, comme Swift, ne croit guère dans les vertus du progrès mais il se positionne en deça des oppositions de ce dernier. Influencé par Voltaire - Il faut cultiver notre jardin - il pense qu'il faut juste tâcher de sauver notre civilisation car nous n'avons que celle-là.
Dans la préface au Rapport de Brodie, il écrit : Mes convictions, sur le plan politique, sont bien connues ; j'ai adhéré au parti conservateur ce qui est une façon d'être sceptique.

Aujourd'hui, je viens d'avoir quarante six ans et compte bien dans les années qui viennent continuer à exercer mon scepticisme...

(Fin)




(1) Le Rapport de Brodie - Gallimard (Trad Françoise Rosset).
(2) Il est conseillé de lire la suite de la nouvelle ici

Yahoos (3)

Si les les Houyhnhnms sont l'image de la perfection rationnelle, les Yahoos sont la résultante d'une vision augustienne de l'humanité, celle d'une humanité souillée - Une autre chose qui l'avait frappé chez les Yahoos, était leur étrange goût pour la saleté et l'ordure, alors que tous les autres animaux paraissent éprouver un amour naturel de la propreté - Ils sont pratiquement semblables à l'homme - leur tête et leur poitrine étaient couvertes d'une toison épaisse, frisée chez les uns, raide chez les autres (...) Ils n'avaient pas de queue ni de poils sur les fesses, excepté autour de l'anus (...) souvent ils se dressaient sur leur pattes de derrière. Les Yahoos ont des désirs infinis, ne connaissent pas de limite naturelle et ne sont jamais satisfaits - Si leur proie était volumineuse, ils en mangeaient presque au point d'en crever. Du point de vue de l'organisation politique, il y avait, certes, une sorte de chef yahoo mais il était le plus mal bâti et le plus malfaisant de tous.
Vision noire de l'humanité. Conscient de sa propre ressemblance et de celle des hommes avec les Yahoos, Gulliver, à son retour dans le monde (il a été chassé de l'île par Houyhnhnms) est pris de crises aigues de misanthropie - ma haine et mon mépris ne faisait que croître. Enfin je m'enhardis dans la rue, mais je gardais mon nez soigneusement avec des plantes aromatiques.. Alors qu'il retrouve sa famille - Et quant il me fallut penser qu'en m'accouplant avec un individu de l'espèce yahoo j'en avais procréé d'autres, je fus comme assomé de honte, de confusion et d'horreur. Et dès que sa femme lui donne un baiser, il tombe en syncope pendant plus d'une heure.
Le temps passant la misanthropie de Gulliver se fait plus douce - La semaine dernière, j'ai pour la première fois permis à ma femme de diner avec moi. Il va dans son jardin pratiquer les plaisirs de la méditation, et mettre en pratique les leçons de vertu apprises chez les Houyhnhnms pour éduquer les Yahoos de sa maison dans les limites de l'éducabilité de cet animal.
La réconciliation de Gulliver et de l'humanité ne pourra cependant jamais être parfaite.
Ma réconciliation avec la race des Yahoos, dans son ensemble (1), présenterait moins de difficultés si ceux-ci se contentaient d'avoir les vices et de faire les folies à quoi il sont destinés par nature. (...) Mais c'est quand je vois ce magma de difformités et de malfaçons, tant morales que physiques, se combiner avec l'orgeuil, que mon impatience éclate.

(1) Je hais et je déteste cet animal qu'on appelle homme encore que je puisse aimer de tout mon coeur John, Peter, Thomas Lettre de Swift à Pope (1725).

(A suivre)

dimanche 20 novembre 2005

Houyhnhnms (2)


Sawrey GILPIN - Gulliver Addressing the Houyhnhnms (1768)

Au cours de son dernier voyage Gulliver, suite à une mutinerie, est débarqué sur une île peuplée par les Houyhnhnms et les Yahoos.(1) Le mot Houyhnhnms signifie "Cheval", et étymologiquement : "Perfection de la nature". Les Houyhnhnms sont donc des chevaux ; ils figurent des êtres idéalement rationnels : Leur grand principe est qu'il faut cultiver la raison et se laisser entièrement gouverner par elle. Ils ne connaissent pas le mensonge et n'ont d'ailleurs pas de mot pour l'exprimer : La raison d'être de la parole, c'est de nous permettre de comprendre nos semblables et de recevoir des informations sur des faits. Or si celui qui me parle dit "la chose-qui-n'est-pas", c'est la nature même du langage qu'il trahit. Pour les Houyhnhnms la Nature est et ils ne peuvent discuter que de ce qui est. En conséquence ils ne peuvent comprendre le sens du mot opinion et de l'expression "point contreversé", car la raison enseigne à affirmer ou à nier uniquement ce dont on est certain. Point de Dieu, point de règles morales, chez les Houyhnhnms Eros ne peut jouer aucun rôle.

L'une des grandes qualités des Houyhnhnms, c'est qu'ils sont affecteux et charitables, et non pas seulement pour quelques individus mais pour leur race tout entière. (...) Ils ont un sens très profond de la dignité et de la courtoisie mais ils ignorent ce qu'est le formalisme. Ils n'ont pas de tendresse pour leurs poulains ou leurs pouliches, mais le soin qu'ils mettent à bien les éduquer procède exclusivement des exigences de leur raison. Et j'observais que mon maître avait autant d'affection pour les enfants de ses voisins que pour les siens propres.(...)

Politiquement les décisons sont prises lors d'Assemblées.

Je dois faire ici remarquer qu'un décret de l'Assemblée générale est appelé dans leur langue "Hnhloayn", mot que l'on peut rendre plus ou moins bien par "exhortation". Car l'idée ne leur vient pas qu'un être doué de raison doive être forcé à quelque chose. Tout au plus on l'avise, ou on l'exhorte, car personne ne peut désobéir à la Raison sans renoncer à son titre de créature rationnelle.

Ce que décrit Swift (3), c'est une société littéralement totalitaire. En l'absence de loi, et de toute contrainte seul subsiste l'opinion publique. Comme le fait finement remarquer George Orwell (2) dans un remarquable article sur les Voyages de Gulliver

The Houyhnhnms had reached, in fact, the highest stage of totalitarian organization, the stage when conformity has become so general that there is no need for a police force.



Hobbes dans le Leviathan (1651) ne dit pas autre chose lorsqu'il constate qu'il ne peut exister un individu, c'est à dire un être dont la volonté n'appartienne, en fait et en droit, qu'à lui même qu'à la seule condition que cette volonté puisse trouver une règle en dehors d'elle-même, dans une autre volonté extérieur et étrangère, qui à la force et le droit de lui imposer obéissance.
Et comme le précise Pierre Manent : C'est le cas ou jamais de le dire : il faut savoir ce que nous voulons.(4)

(1) Les citations sont extraites des Voyages de Gulliver dans la traduction de Jacques Pons (Folio).
(2) Politics vs. Literature - An examination of Gulliver's travel (Septembre 1946).
(3) Peu importe qu'il soit d'accord ou pas avec ce modèle.
(4) Histoire intellectuelle du libéralisme - Pierre Manent.

(A suivre).

vendredi 18 novembre 2005

Houyhnhnms et Yahoos (1)


Jonathan Swift (1667-1745)

Drôle d'animal que Swift. Breton lui donne la première place dans son Anthologie de l'humour noir : Tout le désigne, en matière d'humour noir, comme le véritable initiateur. Orwell décrit son itinéraire politique comme suit - Sur le plan politique, Swift fut un des ces hommes qui furent conduits à une sorte de conservatisme pervers (a sort of perverse Toryism) en raison des sottises (the follies) du parti progressiste de l'époque - et finit par le qualifier de Tory Anarchist - Anarchiste Conservateur.
Son point de vue sur l'humanité peut-être résumé par la fameuse lettre de 1725 à Alexander Pope où il écrivait : Je hais et je déteste cet animal qu'on appelle homme encore que je puisse aimer de tout mon coeur John, Peter, Thomas... Il s'était assigné pour tâche de tourmenter (to vex) le monde plutôt que de le divertir en rappelant à l'homme que non seulement il était un être faible et ridicule mais que par dessus tout il puait. Il vécut une relation pour le moins ambigüe avec sa nièce Stella, passa les trois dernières années de son existence dans une apathie complète, et fut toute sa vie obsédé par la merde et la défécation.

Or j'avais remarqué moi-même que les Yahoos étaient les seuls animaux de ce pays à tomber quelquefois malades. Leurs maladies (...) ne viennent jamais des mauvais traitements, mais uniquement de la malpropreté et de la gloutonnerie de ces ignobles bêtes (...) le traitement prescrit consiste à introduire de force dans la gorge du Yahoo un mélange fait de ses excréments et de son urine. J'ai souvent entendu dire que cette médication avait d'excellents effets. Je me permets, dans l'intérêt général, de la recommander à mes compatriotes, comme une admirable formule contre toutes les maladies causées par la réplétion.
Voyages de Gulliver (Trad Jacques Pons).

(A suivre)

jeudi 17 novembre 2005

La mangrove

La mangrove s'étendait jusqu'au bras de mer qui séparait les deux iles. Quand l'ennui devenait trop fort, l'un de nous proposait que nous partions à la chasse. Je rentrais chez moi, l'immeuble dans lequel j' habitais, le dernier de la cité, faisait face au marécage, enfilais deux-trois paires de chaussettes et recherchais mon lance-pierre : une petite fourche en bois dénudée, deux rubans de caoutchouc noir, le meilleur, reliés par une languette de cuir.
Lorsque nous avions fini de faire provision de cailloux, là où nous allions on n'en trouvait pas, l'heure était venue de partir.
Nous nous enfoncions dans la vase qui alourdissait nos pas, trébuchions contre les racines des palétuviers. Les plus chanceux ou les plus cruels atteignaient leur but. L'oiseau tombait, blessé. La mort était donné à main nue, séchement.
De retour, fatigué, autour du fou-fou à la gorge rougie par la pierre, chacun essayait de se débarrasser de la boue accumulée.
J'otais mes chaussures, retirais mes chaussettes. C'est alors que je les voyais. Luisantes, gonflées de bonheur, ivres de mon sang : les sangsues.

mardi 15 novembre 2005

Affect de classe

Soit à déterminer, par exemple, la signification politique réelle des comportements de la Caillera . Doit-on y voir, conformément aux présentations médiatiques et sociologiques habituelles, un signe normal des difficultés liées au « problème de l’intégration » ? Formulée en ces termes, la question est, de toute évidence, mal posée, c’est-à-dire posée de façon ambiguë. Si l’on parle en, effet, de l’intégration à une société, c’est-à-dire de la capacité pour un sujet de s’inscrire aux différentes places que prescrit l’échange symbolique, il est clair que cette fraction modernisée du Lumpen n’est pas, « intégrée », quelles que soient, par ailleurs, les raisons concrètes (familiales et autres) qui expliquent ce défaut d’intégration. S’il s’agit, en revanche, de l’intégration au système capitaliste, il est évident que la Caillera est infiniment mieux intégrée à celui-ci (elle a parfaitement assimilé les éloges que le Spectacle en propose quotidiennement) que ne le sont les populations, indigènes et immigrées, dont elle assure le contrôle et l’exploitation à l’intérieur de ces quartiers expérimentaux que l’État lui a laissés en gérance. En assignant à toute activité humaine un objectif unique (la thune), un modèle unique (la transaction violente ou bizness) et un modèle anthropologique unique (être un vrai chacal), la Caillera se contente, en effet de recycler, à l’usage des périphéries du système, la pratique et l’imaginaire qui en définissent le Centre et le Sommet. L’ambition de ses membres n’a, certes, jamais été d’être la négation en acte de l’Économie régnante. Ils n’aspirent, tout au contraire, qu’à devenir les golden boys des bas-fonds. (...)
À la question posée, il convient donc de répondre clairement que si la Caillera est, visiblement, très peu disposée à s’intégrer à la société, c’est dans la mesure exacte où elle est déjà parfaitement intégrée au système qui détruit cette société. C’est évidemment à ce titre qu’elle ne manque pas de fasciner les intellectuels et les cinéastes de la classe dominante, dont la mauvaise conscience constitutive les dispose toujours à espérer qu’il existe une façon romantique d’extorquer la plus-value. Une telle fascination intellectuelle pour la « fièvre généreuse du délinquant » (Foucault) serait, cependant, difficile à légitimer sans le concours bienveillant de la sociologie d’Etat. Cette étrange sociologie, en effet, afin de conférer aux pratiques, légales et illégales, du système qui l’emploie cette couleur « rebelle » qui les rend à la fois politiquement correctes et économiquement rentables recourt à deux procédés principaux qui, quand on y réfléchit, sont assez peu compatibles.
Tout d’abord, elle s’efforce d’inscrire ce qu’Orwell nommait « le crime moderne » dans la continuité des délits et des crimes d’autrefois. (...) Le délinquant moderne revendique avec cohérence la froide logique de l’économie pour « dépouiller » et achever de détruire les communautés et les quartiers dont il est issu. Définir sa pratique comme « rebelle », ou encore comme une « révolte morale » (Harlem Désir) voire, pour les plus imaginatifs, comme « un réveil, un appel, une réinvention de l’histoire » (Félix Guattari), revient, par conséquent, à parer du prestige de Robin des Bois les exactions commises par les hommes du Sheriff de Nottingham. Cette activité peu honorable définit, en somme, assez bien le champ d’opérations de la sociologie politiquement correcte.
Quand au second procédé, il consiste à présenter l’apparition du paradigme délinquant moderne – et notamment son rapport très spécifique à la violence et au plaisir qu’elle procure – comme l’effet mécanique de la misère et du chômage et donc, à ce titre, comme une réponse légitime des exclus à leur situation. (...) Expliquer le développement de la délinquance moderne (développement qui, dans un premier temps – on s’en souvient – avait été tenu par la sociologie officielle pour un pur « fantasme » des classes populaires) comme un effet conjoncturel du chômage est évidemment une procédure gagnante pour le système capitaliste (...) elle dispense d’interroger ce qui, dans la logique même du capitalisme de consommation, et la culture libérale-libertaire qui lui correspond, détermine les conditions symboliques et imaginaires d’un nouveau rapport des sujets à la Loi.
Jean Claude Michéa(1) - L'enseignement de l'ignorance (1999)

Le Lumpenproletariat, cette lie d'individus dévoyés de toutes les classes, qui établit son quartier général dans les grandes villes est, de tous les alliés possibles, le pire. Cette racaille est absolument vénale et importune. Quand les ouvriers français écrivaient sur les maisons, à chaque révolution, l'inscription : "Mort aux voleurs !" et qu'ils en fusillaient même plus d'un, ce n'était certes pas par enthousiasme pour la propriété, mais bien parce qu'ils savaient très justement qu'il fallait avant tout se débarrasser de cette bande. Tout chef ouvrier qui emploie ces vagabonds comme gardes du corps, ou qui s'appuie sur eux, prouve déjà par là qu'il n'est qu'un traître au mouvement.
F. Engels - La guerre des paysans allemand (1870)

Les casseurs ne réclament pas plus d'écoles, plus de crèches, plus de gymnases, plus d'autobus : ils les brûlents. Et ils s'acharnent ainsi contre les institutions et toutes les médiations, tous les détours, tous les délais qui s'interposent entre eux et les objets de leur désir. Enfants de la télécommande, ils veulent tout, tout de suite. Et ce tout, c'est la thune, les marques vestimentaires et les meufs. Paradoxe terminal : les ennemis de notre monde en sont aussi l'ultime caricature. Et ce qu'il faudrait pouvoir réinstaurer, c'est un autre systéme de valeurs, un autre rapport au temps. Mais ce pouvoir-là n'est pas au pouvoir des politiques.
Alain Finkielkraut (2005)

Rien à ajouter ?
Non, rien.

(1) On appréciera les trois derniers paragraphes.

samedi 12 novembre 2005

Sondage.



A propos de la Star Académie, on peut lire sur TF1.fr "le sondage" suivant :

Que pensez-vous du vote des élèves?

1-J'aurais fait la même chose.

2-Je n'ai pas compris!

Signe des temps.
Il semblerait que face à tous évènements, du plus grave au plus trivial, la modernité ne nous laisse le choix qu'entre l'approbation et la compréhension. La non compréhension impliquant une compréhension future quand des explications - nos amis sociologues s'en chargeront - pourront être données.
Ce qui est oublié entre les deux termes c'est la simple possibilité de refuser l'alternative, de se poser contre, de dire non, de résister.
Ce matin Finkielkraut termina son émission consacrée à l'ensauvagement du monde par cette belle citation de Gottfried Benn.

On sait bien que les hommes n'ont pas d'âme, si seulement ils avaient un peu de tenue.

De la tenue...encore une fois me revenait à la mémoire ce cou déja évoqué ici.
En effet il faut bien l'avouer, ce film j'y ai effectivement beaucoup pensé ces derniers jours.

jeudi 10 novembre 2005

Hasard objectif.

Il y a déja quelque temps que je voulais copier et donner à lire des lignes de Claude-Louis Combet. Celles ci sont extraites d'Augias et autres infamies (José Corti) et plus particulièrement de la nouvelle intitulée Lamia(1).

Alors Mémé Lamia allongea jusqu'au bout son bras que recouvrait le noir du vêtement : et ce membre impérieux et sûr avait la souplesse d'une bête et la chaleur violente d'un brandon. La main se glissa, presque sans rien déranger, sous la couette où dormait la petite. Et presque sans toucher aux choses ni toucher aux corps, tout à fait comme si elle était mue par une puissance d'attraction irrésistible dans son mouvement et infaillible dans son application, elle s'insinua avec une tendresse infinie, avec une subtilité et comme une fluidité quasiment inconcevable, là, tout juste là où le ventre de la fillette s'échancrait, là où se creusait le délicat coquillage de ce qui serait un jour, et qui était déja, le sexe promis de la femme. (...)
Cependant la tige avait encore poussée, le bulbe avait sailli hors de lui-même, il allait certainement remplir la main tout entière - et la combler. Ce fut alors, au plein de l'instant, que la petite Flore comprit que l'ongle n'était pas l'ongle mais la dent et que la main n'était pas la main mais la bouche et, comme celle-ci se refermait sur elle-même,claquant d'un coup sec, taillant de tout son tranchant, l'enfant poussa un hurlement.

Elle était assise sur son lit. Son père lui tenait la main. Sa mère lui caressait le front. Comme ils rentraient de la fête, ils avaient croisé dans le hall Mémé Lamia qui s'en allait et il leur avait semblé qu'elle s'essuyait les lèvres avec un petit mouchoir rouge.

Le hasard fit qu'alors que je m'apprêtais à publier les mots de Combet, j'ai lu ceux de Jean Starobinski à propos de l'opéra et de certaines mises en scène contemporaines.

Il s'agit de faire sentir que ce qu'on entend, c'est une voix qui a déjà été entendue, dans d'autres circonstances, et qui ne peut pas ne pas être la troisième ou quatrième apparition d'une figure légendaire ou historique. C'est cette profondeur d'histoire antécédente ­ souvent la profondeur du mythe ­ qui fait défaut. Tout est rabattu sur le présent
Tout doit se jouer dans le présent de la représentation. Mais n'est-ce pas une merveille que des mots d'un autre âge ou d'une autre langue soient offerts dans ce présent ? Mon propre travail d'interprétation littéraire va dans ce sens. J'aime découvrir de l'écho.

Oui il des jours où l'on est bien aidé par le hasard.

(1) Jalouse de la belle Lamia Héra pour se venger fit mourir ses enfants. Lamia à son tour poursuivit les enfants des autres mères afin de les dévorer.

mardi 8 novembre 2005

D'un vieux con à...

Certain se réveille un matin transformé en insecte, d'autre en Jean Pierre Pernaud (là). Que faire ?
Dans un esprit parodique se contenter de répondre par un laconique je vous emmerde ? Ou pour faire preuve de culture droitière citer Nicolás Gómez Dávila : Ce qui caractérise l’imbécile, c’est moins l’imbécillité de ses idées que celle de ses raisonnements.(1) ? Discourir sur la modernité, sur le remplacement de l'opposition du Bien et du Mal (les majuscules ne vont pas arranger nos affaires) par celle du progressiste et du réactionnaire ? Sur l'angélisme qui fait voir en tout révolté un saint ?
Se souvenir encore de ce texte de B.Strauss déja cité.
Sortir l'ouvrage (nous aimons les livres, c'est notre faiblesse, et n'aimons guère ceux, qui ils soient, qui les brûlent) et retrouver cette définition de la pensée réactionnaire comme un soulèvement contre la domination totalitaire du présent qui veut ravir à l'individu et extirper de son champ toute présence d'un passé inexpliqué, d'un devenir historique, d'un temps mythique (...).Elle est selon son essence souvenir de ce qui git au fond de nous. Et Strauss de continuer Dans un tel sens, l'homme de droite est aussi éloigné du néo-nazi que le passionné de football (il se trouve - est-ce du poujadisme - que nous aimons aussi le football) l'est du hooligan, bien davantage encore : celui qui se pose en destructeur (et quoi alors de plus destructeur que de détruire une école, lieu par excellence de l'arrachement au présent) devient son pire ennemi, son ennemi juré.
Assumer donc de toute ses forces ce qui semble aux yeux de la jeunesse moderne une double tare : être vieux et réactionnaire.

(1)Trad : Phillipe Billé

lundi 7 novembre 2005

Revue de presse (reloaded)

Ça va durer combien de temps ?
Le Parisien 7-11-2005

Quoi ?
Déclaration de Michel Pajon, député-maire (PS) de Noisy le Grand (1).
"Des femmes qui ont été arrêtées sur les routes de ma ville, que l'on a extraites de leur voiture en les tirant par les cheveux et qu'on a quasiment lapidées et à qui on a mis le feu à la voiture...la situation est absolument dramatique et inaceptable, c'est un véritable scandale. Et moi je sonne le tocsin dans ma ville. Si l'état n'est pas capable de nous défendre, il va bien falloir que l'on se défendre. J'ai un hopital psychiatrique où des pavillons ont été attaqués au coktail molotov. Ca dépasse l'entendement. Je n'ai jamais vu ça de ma vie. Le ministre de l'intérieur, je ne veux pas sa démission, je veux qu'il fasse son boulot. Aujourd'hui il ne fait pas son boulot.
Envoyer l'armée ? Je ne sais pas, pour un socialiste dire que l'armée doit intervenir c'est un constat d'échec inimaginable. mais ce que je peux dire c'est qu'on ne peut pas laisser les gens comme ça. A un moment donné, il faut savoir si il y a un état dans ce pays."
Journal de 8h - France Culture 7-11-2005

Combien de temps ?
"This is just the beginning," said Moussa Diallo, 22, a tall, unemployed French-African man in Clichy-sous-Bois, the working-class Parisian suburb where the violence started Oct. 27. "It's not going to end until there are two policemen dead."
The New York Times 7-11-2005.

En attendant
"Nous espérons que le gouvernement français respectera les droits de son peuple et répondra à ses demandes pacifiquement, et que nous n'assisterons pas à la violation des droits de l'Homme dans ce pays", a déclaré le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Hamid Reza Assefi, devant la presse.
Nouvel Obs.com 6-11-2005

(1) Retranscrite in extenso

vendredi 4 novembre 2005

Musset, Michka and co


La rhétorique est à nouveau à la mode aujourd'hui, mais elle l'est curieusement, pour la raison même qui poussait nos prédécesseurs à s'en détourner. Son mépris apparent de la vérité flatte notre suffisance nihiliste. Nous aspirons à un divorce total entre langage et réalité, et nous sommes si certain de le rencontrer dans la rhétorique que notre idéologie s'en trouve confortée
René Girard - Shakespeare - Les feux de l'envie - Grasset

Dans Les Amants Réguliers, le héros après avoir passé des nuits de mai, à la lueur des flammes, à se confronter à la police rencontre celle qu'il aimera. Les premiers mots qu'il lui dit sont de Musset:
«Il me manque le repos, la douce insouciance qui fait de la vie un miroir où tous les objets se peignent un instant et sur lequel tout glisse»
Force donc est de constater que ce jeune homme révolté et avec lui de nombreux autres croyaient et respectaient la puissance des mots appris et lus. Des mots capables de vous faire aimer d'une femme.
Alors que dire lorsqu'on apprend que les écoles maternelles de Clichy, de Sevran ont fait l'objet de saccages et d'incendie ? Que dans ces nuits de novembre des mots destinés à des enfants avaient brulés. Que dire ?
Que la révolte n'est pas la barbarie.
Que justifier la barbarie au nom de la révolte est une faute, une infamie - des mots il ne faut pas avoir peur - dont l'histoire ne s'est jamais privée de nous montrer les conséquences.
Et c'est ainsi que Michka est grand

Toi visiteur qui vient à cause de ceci, saches que la réponse est
On peut également lire ceci

mercredi 2 novembre 2005

Fin d'inventaire ou à propos d'évènements récents.


Aux quelques mots rapportés ci-dessous je n'ai rien à ajouter (Or as the heresies that men do leave / Are hated most of those they did deceive*):

Des intellectuels se montrent amicaux envers l'étranger, non pas pour lui-même, mais parce qu'ils sont furieux contre ce qui est nôtre, et saluent tout ce qui le détruit (...)
Il va de soi qu'il doit être permis d'être furieux contre le type de l'allemand, représentant de la majorité de la population. La dignité de la gitane qui mendie, je la vois au pemier coup d'oeil. La dignité - le mot, hélas, n'est qu'un emprunt à la cour des princes ! - de mon compatriote déformé, tout bruyant de satisfaction, avec la somme de ses prétentions étalées sans vergogne, je peux bien la chercher longtemps, si même je la trouve. Je pense souvent : de quoi aurait l'air mon prochain tellement gonflé de lui-même si une brusque douleur, un chagrin soudain le frappait ? Peut-être alors sa dignité apparaîtrait-elle ? Il faut en tout cas l'avoir vue au moins une fois avant de l'intégrer dans un credo légal. La plupart des porteurs de convictions qui se font entendre aujourd'hui ne semblent en général connaître leurs prochains que comme ces voisins de plateau, éclairés d'une lumière crue, que l'on rencontre dans les débats télévisés. Ils ont manifestement perdu le sens de l'approche sensible face à l'étrangeté de tout autre, et aussi de leurs propres compatriotes.
Il est étrange qu'on puisse se dire "de gauche" quand de tout temps "gauche" est synonyme de ce qui va de travers. On s'attache donc un signe qui est la marque du maléfice et du contourné parce que tout à la morgue de ses raisonnements, on fonde sa politique sur l'impuissance des représentations et des idées d'ordre magique.
Botho Strauss - Le Soulèvement contre le monde secondaire - Un manifeste - L'Arche (1996).

Les paysages bourguignons que traverse l'autoroute A6 sont parmi - avec, entre autre, ceux des Grands Fonds aux alentours de Ste Anne (Guadeloupe) - les plus beaux que je connaisse. Y règne ce que je ne peux appeler autrement que l'esprit des profondeurs.

(*) De même que les hérésies que les hommes rejettent
Sont le plus détestées par ceux qu'elles ont abusées
Shakespeare - Le Songe d'une nuit d'été.