Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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samedi 30 septembre 2006

Où l'auteur fait montre, à quelques années de distance, de son étonnement et de son inquiétude.

La question me tracasse depuis quelques heures.
Qu'a voulu dire Ségolène Royale lorsqu'elle déclare dans le discours où elle annonce officiellement sa candidature à l'investiture du PS pour les présidentielles de 2007 :

Avec simplicité, avec gravité aussi, consciente du poids des mots et de l'impact de l'acte, oui, j'accepte d'assumer cette mission de reconquête pour la France et les épreuves qui vont avec, et dont je veux protéger ma famille. Oui, j'accepte d'assumer cette mission...

...Pour la France et les épreuves...
Il y a quelques années, alors que j'habitais la commune de Janzé (35) célèbre pour ses chapons, j'avais été fort surpris d'y voir organisée une manifestation sportive pour le cancer. Non pas contre mais pour ! La ville était pavoisée d'affiches et de banderoles allant dans ce sens et toute la population était conviée aux réjouissances. Fallait-il y voir en sous-main une conspiration de la gente volatile, volatile certes mais castrée, contre l'humanité ? Que nenni. Interrogeant l'un des organisateurs, celui-ci d'abord étonné par mes remarques, me fit comprendre qu'il s'agissait de courir pour la lutte contre le cancer. Je fus rassuré, mais j'avoue avoir eu peur.
Ségolène elle aussi se présente pour les épreuves. Non pas malgré, n'oublions pas qu'elle est consciente du poids des mots. Doit-on alors y déceler une nette trace de masochisme ? Encore qu'il en faille un peu pour briguer une si haute fonction, mais de là à le claironner au journal de 20h!

...et dont je veux protéger ma famille.
Je me dois de dire qu'ici on aborde des domaines qui dépassent mes compétences et que la lecture conjointe de René Girard et de ce bon vieux Sigmund va s'avérer nécessaire. De quelle famille s'agit-il ? La sienne ? Mais que vient-elle faire dans cette affaire ? Ségolène mère courage ? Sa famille politique ? Ou par une sorte de glissement métonymique faut-il comprendre : ...pour la France et les épreuves qui vont avec, et dont je veux la protéger. La France devenant alors la famille, sa famille. Ségolène victime expiatoire ? Ségolène notre maman à tous ?
Pas en chapon, pas en chapon, pas en....

jeudi 28 septembre 2006

Histoire littéraire.

J'aime bien Léon Bloy. J'aime bien aussi Félix Fénéon.
Difficile de savoir si Fénéon aimait Bloy [1], du moins lui trouvait-il un certain talent : mineur selon lui mais néanmoins réel.

Certes l'éloquence ne s'accomode ni d'analyse, ni de nuances : elle se constitue de l'énonciation d'idées immédiatement perceptibles, présentées sous un seul aspect, harnachées de mots tonnants et rythmées comme une batterie de tambour. Mais dans ce genre inférieur, Léon Bloy est incomparable : il y a l'organisation d'un harangueur de multitudes. (...) Les seuls prophètes juifs ont parfois vomi des injures d'un si impérieux jet.Toutefois Leon Bloy reste inférieur à Ezéchiel : celui-ci ne se contentait pas de mettre des déjections dans ses invectives, - il en étendait sur son pain.
F.Fénéon - Un pamphlétaire catholique - mars 1887.

Mais j'ai toutefois l'impression, qu'à la longue il finit par être quelque peu agacé par les imprécations du vieux de la montagne. Ainsi, à propos de Sueur de sang, on peut lire, sous la plume de Fénéon, dans La Revue Anarchiste du 15 novembre 1893 (je cite in extenso, Fénéon avait l'art de la critique ramassée):

Il assomme d'un même gourdin et d'une furie égale une mouche ou un mammouth ; il entasse les mots volumineux sur des idées qui auraient bien besoin d'air et de soins ; et quand il prophétise sur grosse caisse on éprouve quelque malaise à voir un homme corpulent s'agiter si fort. Comme une marque de sa richesse de pensée, ceci, - extrait du préambule de son nouveau livre :« La France est tellement le premier des peuples que tous les autres, quels qu'ils soient, doivent s'estimer honorablement partagés lorsqu'ils sont admis à manger le pain de ses chiens. Quand elle est heureuse, le reste du monde est suffisamment heureux, dût-il payer ce bonheur de la servitude et de l'extermination. Mais quand elle souffre, c'est Dieu qui souffre, c'est le Dieu terrible qui agonise pour toute la terre en suant le sang. Ceci est absolu et incommutable, comme le mystère de la Prédestination.» - Ceci ne serait-il pas, plutôt, un peu niais ?

Au fait, toute ressemblance avec des personnes existantes...etc etc

[1] En juin 1903, voulant proposer un article à La Revue Blanche dont Fénéon est le directeur, Bloy écrit à ce dernier :
...Je ne sais pas vos sentiments à mon égard. Consentiriez-vous à publier une étude critique de moi sur Huysmans ?

mardi 26 septembre 2006

Trente ans après.


The Conversation (1974) / The Nine (2006)

La démocratie ramène l'homme sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre coeur.
Tocqueville

Revoyant The Long Goodbye (1973) de Robert Altman, les premiers mots qui me vinrent à l'esprit furent ceux de nonchalance mélancolique. Il me faut dire que la perception de cet état, qui me semblait commun à une bonne partie de la production cinématographique américaine des années 70, se trouva renforcée par une expérience a-contrario : la vision de quelques séries TV made in USA parmi les plus récentes (Lost, The Nine, Six Degrees).
D'un côté (le cinéma des années 70) une structure lacunaire, un étirement du tissu narratif (la nonchalance) occasionnant des déchirures dans lesquelles venait s'engouffrer la mélancolie, de l'autre l’idée toujours plus prégnante qu’un récit, ça se fabrique et que la fabrique s’est peu à peu confondue avec le récit lui-même, la maîtrise pour ne pas dire la fermeture (peut-il exister un au-delà du méta ?).
Mais cette mélancolie il me fallait me l'expliquer.



Un détour chez deux auteurs français du XIXème siècle, observateurs critiques de l'ordre démocratique, était nécessaire.
Pour l'un Benjamin Constant:

L'individu, perdu dans la multitude, n'aperçoit presque jamais l'influence qu'il exerce. Jamais sa volonté ne s'empreint sur l'ensemble, rien ne constate à ses propres yeux sa coopération.




Pour l'autre Alexis de Tocqueville :

Chez les peuples démocratiques, les hommes obtiennent aisément une certaine égalité; ils ne sauraient atteindre celle qu'ils désirent. Celle-ci recule chaque jour devant eux, mais sans jamais se dérober à leurs regards, et, en se retirant, elle les attire à sa poursuite. Sans cesse ils croient qu'ils vont la saisir, et elle échappe sans cesse à leurs étreintes. Ils voient d'assez près pour connaître ses charmes, ils ne l'approchent pas assez pour en jouir, et ils meurent avant d'avoir savouré pleinement ses douceurs.
C'est à ces causes qu'il faut attribuer la mélancolie singulière que les habitants des contrées démocratiques font souvent voir au sein de leur abondance, et ces dégoûts de la vie qui viennent quelquefois les saisir au milieu d'une existence aisée et tranquille.

A ce double constat, j'ajoute les commentaires de Jean Borie dans ce texte remarquable : Il y a une mélancolie du désir moderne - qu'il soit romantique ou vulgaire, « réaliste » - qui vient de ce que, presque tous les désirs étant légitimes, et les satisfactions n'étant jamais complètes, le sujet ne sait plus quoi désirer, sans parvenir pour autant à renoncer au désir. Ce désir sans objet précis et sans loi - que Durkheim plus tard appellera anomique -, on en trouve les manifestations et les traces à toutes les pages de la Démocratie en Amérique.(...) Il (Tocqueville) a perçu, avec autant d'acuité que les poètes, la mélancolie associée au désir moderne. Dans son second volume, il revient avec complaisance sur le nomadisme inquiet des Américains, sur le malaise de l'envie, que les satisfactions n'apaisent qu'un instant. La mélancolie est universelle, elle agit comme une fatalité (...).
On comprend dès lors que le Philip Marlowe d'Altman et le Harry Caul de Coppola n'aient guère eu le choix.
Ce que nous montrait un certain cinéma américain des années 70, de façon radicale, c'est que l'individualisme n'est pas seulement une morale ou une idéologie mais avant tout une situation.
On conçoit, que face à un tel constat critique de la modernité, la machine hollywoodienne (elle loge maintenant - avec talent, il faut en convenir, mais là n'est pas le sujet - au sein des principaux networks TV) se devait de reprendre la main.
A la question comment représenter une société d'individus (les naufragés de Lost, les ex-otages de The Nine, les Newyorkais de Six Degrees...), les séries américaines répondent en affichant le programme : pas de place pour un double-fond, tout doit être visible (passé, présent, futur, la machinerie...), le souci de la transparence porté à son comble. Au Is it over? de La Guerre des mondes de Spielberg, elles (work in progress ayant pour objet la constitution d'une communauté et dont la principale fonction est de nous rassurer, du moins de ne pas nous désespérer) nous apportent une réponse affirmative. Un oui qui se veut franc et massif où le doute, la mélancolie sont à jamais bannis.

dimanche 24 septembre 2006

The first time.



The Long Goodbye (1973) - Robert Altman

Parce que j'ai revu le film. Parce qu'il est beau. Parce qu'il me semble caractéristique de cette nonchalance mélancolique du cinéma américain des années 70. Parce que la photo de Vilmos Zsigmond. Parce que The first time I laid eyes on Terry Lennox he was drunk in Rolls-Royce Silver Wraith outside the terrace of The Dancers.(...) You could tell by his eyes that he was plastered to the hairline, but otherwise he looked like any other nice young guy in a dinner jacket who had been spending too much money in a joint that exists for that purpose and for no other est l'un des plus beaux débuts de roman que je connaisse.
Parce que la trahison.

jeudi 21 septembre 2006

Là-bas.


Insomnie.
Je ne sais pas si la Justice, comme le dit un ministre, a démissionné en Seine-Saint-Denis, mais les journalistes de France-Inter qui, après nous avoir abreuvé durant tout l'été de teufeur et autre raveur, nous éclaboussaient de neuf-trois, alors que le sommeil s'en était allé, semblaient avoir, pour le moins, abdiqué.
Un peu plus tard, un ancien premier ministre, interrogé sur la même radio, déclarait à propos d'une note préfectorale (je retranscris) : Cette note traduit la réalité de la banlieue en Ile de France. Je me suis entretenu avec mes amis qui sont élus, maires, ou députés là-bas, ils me disent que c'est la stricte réalité, et ça signe ce qui est un échec du gouvernement et plus particulièrement de... etc etc
Etait-ce la fatigue, le sommeil n'était pas revenu, mais j'entendis dans ce là-bas comme l'écho d'un ailleurs, d'un lointain et il me parut dégager comme un singulier parfum d'exotisme : celui des territoires perdus.

mercredi 20 septembre 2006

Trente ans avant.

Le sept septembre 2006 paraissait dans Le Figaro un article de René Viénet intitulé Mao : arrêts sur image. Le même article faisait l'objet d'une diffusion webmatique sur lefigaro.fr . Ayant sauvegardé ce texte sur la plateforme U-Blog, René Viénet me fit parvenir un mail dans lequel il m'expliquait que dans la version électronique du Figaro plusieurs mots avaient sauté à cause d’un usage malencontreux (de sa part, pas du Figaro) de certains signes typographiques. Il me transmettait également, qu'il en soit vivement remercié, la version complète de ce texte. C'est donc cette version que l'on pourra lire .

"Mao, 30 ans après sa mort –– en Chine et en France" est un sujet de dissertation que les enseignants d'histoire en terminale opportunément proposeront à leurs lycéens le mois prochain : la récente parution du "Mao, une histoire méconnue" de Jung Chang & Jon Halliday, et la programmation cette semaine sur Arte du récent documentaire de Philipp Short, alimenté par des sources chinoises officielles, faciliteront des travaux dirigés scolaires.
De plus, ces deux nouveautés "trente ans après" permettront de parler aux lycéens de méthodologie : comment "plus de trente ans avant", dans l'instant, il était possible de comprendre l'essentiel et de le faire connaître : En 1971, Simon Leys pour avoir écrit "Les habits neufs du Président Mao" fut condamné par les sinologues français à ne jamais enseigner en France.

La suite ici

mardi 19 septembre 2006

Contribution à une petite anthologie portative de littérature fantastique.

L’éditeur Théodore Khoury cite une étude du célèbre islamologue français R. Arnaldez, affirmant qu'Ibn Hazm ira jusqu'à soutenir que Dieu n'est pas tenu par sa propre parole, et que rien ne l'oblige à nous révéler la vérité. S'Il le voulait, l'homme devrait être idolâtre.
Discours de Benoit XVI à l'université de Ratisbonne, le 12 septembre 2006.

dimanche 17 septembre 2006

Apostille à la note précédente.



Partie de campagne (1936) - Jean Renoir.

C'est dimanche !
Bien entendu que cet extrait est trop court, bien entendu que l'on pourrait gloser sur la mise en scène, sur la théatralité de la profondeur de champ, mais on préfèrera dire que J.Renoir fut aussi l'un de ceux qui surent donner à un paysage, à une silhouette cette vibration qui permet de constater que la vie la plus quotidienne n'est pas exempte de lyrisme, et qui révèle les nuances mystérieuses qui bouleversent un paysage sentimental.

samedi 16 septembre 2006

Quelqu'un se dévoue ?

Puisque l'on m'invite à écrire quelques mots sur Albert Vidalie...

Aucune mention d'Albert Vidalie dans le Laffont/Bompiani ou dans le Beaumarchais/Couty/Rey, pas la moindre photo sur Google, c'est dire s'il est oublié, s'il s'est détourné du sens de la marche.
Faut-il alors croire Pierre Mac Orlan qui fut son ami lorsqu'il déclare :
La première fois que j'ai rencontré Albert Vidalie, ce fut dans la forêt de Compiègne, aux environs de l'année 1855; c'est dire que nous étions très jeunes, lui et moi.(...) Cet hercule était coiffé d'un gibus déformé en accordéon. Son oeil était protégé par un bandeau de soie noire. Le reste de son accoutrement appartenait à cette indigence vestimentaire qui, à cette époque, désignait les hors-la-loi à la vindicte publique.
Peut-être pas.
De sa biographie seuls surnagent quelques faits.
Une carrière de journaliste à France-Dimanche - Je l'avais connu dans une salle de rédaction de la rue Réaumur, en un temps confus où l'expression n'avait guère plus de sens que salle d'eau ou salle de séjour -, de scénariste, de parolier, un Goncourt raté en 1959 malgré l'appui de Mac Orlan.
Quelques faits donc et, c'est le plus important, l'alcool et l'amitié. L'un et l'autre.
L'alcool parce que les dents ne nous étaient pas poussées, qui nous auraient donné le goût de mordre dans la vie et, cependant, nous souffrions de ne pas pouvoir formuler le bonheur, ou son absence.
L'amitié, celle de Nimier, de K.Haedens, de P. Guimard, de Blondin bien sûr. Une amitié qui, en cette fin des années 50, allait au-delà des clivages politiques. En pleine crise du 13 mai 1958, le journal Arts (le même où débuta F.Truffaut) proposait la création d'une Chambre littéraire imaginaire où se retrouvaient : B.Frank (progressiste), Vidalie chantant la carmagnole, P.Guimard (SFIO), Nourissier (mendésiste), Pauwels (disciple de Bidault), Dutourd (gaulliste), K.Haedens (indépendant), Jacques Perret (monarchiste).
L'alcool et l'amitié donc, mais aussi la violence parce que l'alcool aidant...
Retourner alors aux écrits, puisqu'ils ne restent plus qu'eux, à ce qui semble être un autoportrait.

Il lui dit qu'il était aussi trés sensible à la magie des mots. Il y avait, comme cela, des noms de villes, de rivières, de lieux et de montagnes, qui étaient pour lui les clefs d'un univers poétique. Savannah était l'un de ces noms. Il y avait aussi Sumatra, Clairefontaine, la Barbade, le Kentucky, Chevreuse, le Mozambique, Fleury sur Andelles et Monterey.
Albert Vidalie - Les Hussards de la Sorgue

Entrecroiser les textes de Vidalie et de son compagnon de dérive, s'appuyer sur le deuxième chapitre de Monsieur Jadis qui lui est entièrement consacré, essayer de faire ressortir ce plaisir de l'évocation et ce goût pour une certaine forme de lyrisme.

L'odeur de la forêt s'introduisit sur ses talons. Quand il se mit à écrire, il apparut qu'un oiseau s'était posé sur son épaule, venu du fond des siècles et des plaines, singulièrement celles du Hurepoix, qui trouvent leur ultime rivage sur les bords de la Seine, à hauteur de la rue du Bac. Il écouta ce chant, l'aima, lui répondit.
A.Blondin- Monsieur Jadis

Peut-être lui répondit-il ceci ?

Ceux qui parlèrent d'elle plus tard (...) le firent mal car ils ne pouvaient savoir ce qu'elle avait été ce printemps-là. Il leur aurait fallu trouver des mots de vent, d'absinthe et de raisins pour dire comment elle fut, cette année d'avant les deuils et les défaites, dans le miracle de ses dix-huit ans, la peau tachée de soleil, les yeux brillants de soleil, les hardes dansant au vent quand ses pieds impatients l'emportaient à travers vallons et fourrés et marais et collines à la chasse quotidienne du bonheur, toujours triomphante et jamais rassasiée, sa longue toison rousse déployée dans le vent de la course, semée de fleurs, de graines, de feuilles et de brindilles! Et l'amour que lui portaient les bêtes et les arbres, et l'amour que lui offrait à chaque seconde la forêt toujours recommencée, avec ses sources, ses fontaines claires, ses jeux d'ombre et de lumière et la richesse inépuisable des quatres saisons, à travers les yeux de Lambert ! Et son corps de joie, son beau corps souple et fort nourri des chairs de la forêt, lavé aux eaux de la forêt, son corps libre et dur et saoul d'être lui-même que traversait et retraversait le sang des jours, son corps de dix-huit ans, cloué plus tard comme un grand oiseau blanc en travers de cette porte elle-même clouée qu'on referma sur sa moisson de joies !...Ce qu'elle fut seulement d'un printemps à l'autre printemps.
Elle ne savait pas que les hommes peuvent tout pardonner sauf le bonheur d'autrui et que, déja, ils avaient ouvert une brêche dans le sien.
Albert Vidalie - Les Bijoutiers du clair de lune.

Ou encore.

Il ne souciait pas beaucoup de l'avenir, sinon comme d'un champ promis à la célébration rétrospective de l'instant présent, qu'il s'ingénie à rendre mémorable.
A.Blondin- Monsieur Jadis

La chance c'est de vivre longtemps, assez pour oublier le détail des jours, leur inventaire monotone, et se rappeler seulement le poids et la couleur que l'un deux donne à la masse des mois et des années serrés autour de son noyau. Alors le jugement, le souvenir lui-même, sont tamisés par le drap d'or dont fut vêtu ce jour-là. Avant ce n'était que racontars de vieilles femmes et recettes de cuisine, tout semblait sec et gris. Après, longtemps après, il y a encore son reflet et l'écho de son écho qui n'en finit plus de renaître.
Albert Vidalie - Les Bijoutiers du clair de lune.

En juin 1971, Antoine Blondin écrit aux époux Laundenbach:
...Ici, le printemps et les fleurs peuvent aller se faire foutre : Vidalie est mort, l'autre nuit, dans son sommeil d'un arrêt du coeur.

Fin d'une vie - Rideau.

jeudi 14 septembre 2006

Rentrée (fin) ou Critique expresse.

- Les Bienveillantes - Jonathan Littell (Gallimard-2006).
900 pages écrites très serrées, la confession d'un officier nazi de la fin des années 20 à mai 45, a tour de force (chapeau bas!) but...
On sait que de Waterloo Fabrice n'a rien vu, à l'inverse le héros des Bienveillantes a tout vu. On pourrait même dire qu'il a trop vu : Les camps, Stalingrad, la chute de Berlin, les théoriciens du Volk, Himmler, Eichmann, Rebatet, Celine, Brasillach, Jünger...et en plus il rêve !
Page 461, on peut lire cette citation de M. Blanchot (lorsque le héros est à Paris, il flane le long des quais, fait les bouquinistes et tombe sur Faux-pas) à propos de Moby Dick : Une oeuvre qui garde le caractère ironique d'une égnime et ne se révèle que par l'interrogation qu'elle propose. C'est a contrario la meilleure critique que l'on puisse faire du roman de Littell .

- A l'occasion de la sortie du film A Scanner Darkly de Richard Linklater, la presse mentionne les précédentes adaptations de Philip K.Dick (Spielberg,Verhoeven, Woo...) en oubliant systématiquement Screamers (Planète hurlante) de Christian Duguay (1995), alors que cette dernière est une excellente adaptation de Dick (j'aime aussi beaucoup Minority Report mais pour d'autres raisons) en ce qu'elle respecte "la pauvreté", le coté cheap (bien entendu, je ne parle pas de l'imaginaire dickien mais d'une pauvreté stylistique, des décors, de la psychologie etc..., pauvreté sur laquelle se déploit justement cet imaginaire) des romans et plus particulièrement des nouvelles de Dick.

lundi 11 septembre 2006

Rentrée (2)

Dimanche soir.

J'écoute Le Masque et la plume en mangeant des pâtes et du jambon (c'est un rituel). La discussion porte sur le dernier film de Ken Loach - Le Vent se lève - que je n'ai pas vu. Je crois comprendre qu'il s'agit d'une page particulièrement sanglante de l'histoire irlandaise. Certains trouvent le film manichéen, d'un coté les méchants anglais, de l'autre les bons irlandais. C'est au tour de M.Ciment d'intervenir, il aime le film et ne voit pas sur quoi se fonde ce reproche. Selon lui, il existe des moments historiques où le Bien est confronté au Mal, c'est donc un de ces moments que filme Loach et de donner en exemple Oradour-sur-Glane.
Je suis assez d'accord avec Ciment quant à l'existence de tels moments historiques, mais le fond du problème n'est pas là.
Il s'agit plutôt de savoir si l'évènement Oradour-sur-Glane (par ex), du fait même de la réduction qu'il implique (les gentils vs les très méchants), à la manière de ces équations complexes que l'on est amené à simplifier afin de les résoudre, peut-être un sujet pour un bon film de fiction ?
A cette question, j'aurais tendance à répondre par la négative.

Lundi matin.

La neutralité toute axiologique de la définition du mot colonisation donnée par le Petit Robert (Mise en valeur, exploitation de pays devenus colonies) n'a pas l'air de plaire au Conseil représentatif des associations noires (CRAN).
Que le CRAN appelle au boycott du Robert c'est son droit; j'appelle d'ailleurs ici au boycott de la plupart des dictionnaires puisque je n'y figure pas. Mais que la société éditrice du Robert envoie chier le CRAN sans tambour ni trompette c'est également son droit le plus strict. J'ajouterais, d'aucun me diront simpliste, voire simplet, que c'est même son devoir.

Entendu un jeune homme déclarer, au cours d'une conservation cellulo-téléphonique, qu'il s'ennuyait en société, qu'il préférait la solitude...tu comprends me retrouver avec des gens avec qui je n'ai pas de lieux communs...
J'ai trouvé l'expression assez belle, même s'il me semble que l'une des raisons pour renoncer à toute vie mondaine est justement le fait que l'on y partage essentiellement des lieux communs.

dimanche 10 septembre 2006

Rentrée littéraire



(A VS, pensées amicales).

On parle toujours, à juste titre, de l'influence de Sterne sur Diderot ; on pourrait tout aussi bien s'interroger (et peut-être l'a-t-on beaucoup fait, je ne sais pas) sur l'influence de Sterne sur Flaubert (dont j'ignore s'il l'avait lu) ...
Renaud Camus - Rannoch Moor (p 531)

Consultons la correspondance de Flaubert:

A Georges Charpentier
Paris - Mercredi 2 heures (septembre 1879 ?)

Eh bien ? et mon livre, ou plutôt mes livres (le Tristram et le Machiavel) ? Quand les aurai-je ? Vous m'oubliez complètement, cher ami ! Je n'attends que ces deux volumes pour fermer ma boîte et m'en retourner chez moi travailler.
Au revoir, homme léger !
Et tout à vous.

C'est à ma connaissance, si l'on en croit l'index de l'édition L.Conard (1933), la seule mention du roman de Sterne dans la correspondance de Flaubert. Or en cette année 1879, celui-ci est en plein travail sur Bouvard et Pécuchet, roman dans lequel justement Renaud Camus voit l'influence du Tristram Shandy.
Mais l'éditeur Charpentier a-t-il retourné le livre ?
La réponse à cette question se trouve dans l'inventaire des biens se trouvant à Croisset (le chez moi de la lettre), inventaire dressé par Maitre Bidault le jeudi 20 mai 1880 suite au décès de Flaubert le 8.
On y trouve en effet mentionnés (Oh joie!) - à coté, entre autres, d'un appareil pour cuire les œufs, d'une peinture représentant une vue du Caire, du manuscrit inachevé de l’ouvrage intitulé Bouvard et Pécuchet - Le voyage sentimental de Sterne ainsi que les Oeuvres du même en quatre volumes.

C'est bien beau de jouer à "l'érudit", de vouloir impressionner les filles, mais il faut savoir raison garder.
Comme certains le savent, je fus éliminé de Question pour un champion diffusé sur FR3 pour avoir confondu l'Amazone et l'Amazonie, la faute à l'émotion, aux sunlights, bref pour avoir confondu le fleuve et la forêt (Oh honte ! Et Julien Lepers était dans la tombe et regardait P.Z). Il faut croire que je n'ai guère de chance avec la géographie. En effet, convoqué il y a peu aux épreuves de sélection d'un jeu tévé ou je fus inscrit à mon insu, à la question posée par écrit: Quelle est la spécialité de la ville d'Agen ? j'ai répondu le couscous !
A ma décharge, dans la précipitation en lieu et place d'Agen, j'avais lu Alger.
Je reste dans l'attente de la confirmation de ma sélection.

lundi 4 septembre 2006

Pause.



Ballade (1950)

Coleman Hawkins, tenor . Charlie Parker, alto . Hank Jones, piano . Ray Brown, bass . Buddy Rich, drums .

- Si seulement je pouvais vivre toujours comme dans ces moments-là ou comme lorsque je joue et que le temps change aussi. Tu te rends compte de tout ce qui pourrait se passer en une minute et demie...On pourrait, pas seulement moi mais elle aussi, et toi, et tous les copains, on pourrait vivre des centaines d'années ; si on trouvait le joint on pourrait vivre mille fois plus que ce qu'on vit avec votre foutue manie des montres, des minutes et des après-demain.
Julio Cortazar - L'homme à l'affut (Trad. Laure Guille-Bataillon).