Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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dimanche 25 mai 2008

Remerciements.

La direction du lolo tient à remercier le festival de Cannes, Sean Penn et les membres du jury pour avoir contribué à une augmentation significative de la fréquentation de ce blog.

jeudi 22 mai 2008

Marge.

Samedi.
Avant de jouer le guide touristique pour un couple d'américains rencontré par hasard, déniché d'occasion pour quelques euros Messe basse (carnets 1990-1992) d'André Blanchard. Blanchard qui publie, avec une bonne fortune critique, ses carnets intimes depuis 1989 peut-être considéré comme une sorte de contrebandier ou comme ce que les américains appellent un maverick : animal à l'écart du troupeau et non marqué. Messe basse tourne pour beaucoup (trop peut-être) autour des tergiversations de l'auteur quant à la publication du recueil De littérature et d’eau fraîche (1988-1989) : le goût de la clandestinité contrarié par la nécessité pour un écrivain d'être publié - Cette façon de ne pas savoir ce que je veux, m'éreinte - et ne parlons pas de savoir ce que je vaux... Je ne suis jamais d'accord avec le parti auquel je me range après d'épiques séances de danse d'un pied sur l'autre.
Mais arrivons en aux faits. Page 237, après que l'auteur a précisé que sa mère considérait la littérature comme une façon de péter plus haut que ses fesses, un précédent lecteur a pris la peine d'annoter dans la marge le livre dans les termes suivants : Que son cul ! C'est tout lui le cul entre deux chaises, deux styles, deux projets et même plus de deux. Ca a son charme mais ça fait aussi une oeuvre décevante. C'est ici que mon imagination s'est mise à voguer. Ce lecteur, était-ce faute places ou par besoin d'argent, avait, malgré son charme, finalement revendu le livre à Gibert jaune. Je me le représentais parcourant sa bibliothèque, passant en revue les ouvrages qui la composaient, feuilletant le Blanchard et au bout du compte se décidant : et dire que j'ai passé trois heures de ma vie avec un type qui n'était pas mon genre. Rien que pour cela je garderai cet exemplaire.
Blanchard voue une grande admiration à Léautaud et le propre des bons livres étant de vous inciter à en lire d'autres (j'ai ainsi une grande envie d'aller voir du coté de Christian Guillet auteur qui m'est totalement inconnu et dont il est dit le plus grand bien dans Messe basse) je me suis replongé dans le Journal Littéraire dont j'extrais, à la façon d'un chercheur d'or, ce magnifique poème-liste (encore que je ne sois pas certain qu'il corresponde aux canons du genre).

Mort de Fanny, soeur de ma mère.
Mort de Firmin Léautaud.
Mort de Marcel Schwob.
Mort de Charles-Louis Philippe.
Mort de Coppée.
Mort de Van Bever.
Mort du Bailli.
Mort de Valette.
Mort du Fléau.
Puissé-je en écrire pas mal d'autres.
Il y manque la mienne à mon grand regret.
Léautaud, Journal Littéraire, 27 octobre 1950.

vendredi 16 mai 2008

Journalisme de terrain.

De notre envoyé spécial au festival de Cannes.

Lu avec amusement dans le Bréviaire du bon goût du jour que l'un des collaborateurs du quotidien matinal déclare trouvé Lost in Translation un hit surfait, tandis qu'un autre se demande si Virgin Suicides de la même Sofia Coppola ne serait pas devenu toc et stéréotypé. Alors qu'il était évident à la première vision que ces deux films, idem pour Marie Antoinette, étaient effectivement surfaits, tocs, stéréotypés et on ajoutera superfétatoires.

De notre envoyé spécial en zone de résistance.

Un dénommé Jean-Max Collard dans le Bréviaire de la résistance s'étonne avec des précautions de style, son Jiminy Cricket lui sussure qu'il va écrire une connerie mais son surmoi inrockuptibilien lui impose de le faire, ce grand prêtre s'étonne donc que le Centre Pompidou organise en plein mois de la Commémoration une exposition intitulée Traces du Sacré. C'est le mot sacré qui gêne le gardien du temple. Il y voit en cette date anniversaire le signe d'une reprise en main de l'institution et le quasi retour de la bête immonde. Le président Mao se proposait d'envoyer les intellectuels aux champs, pour notre part nous enfermerions volontiers ce monsieur Collard dans le grotte de Lascaux où il pourra méditer sur les notions de traces, de sacré et sur la longue durée. La durée de la peine quant à elle sera fonction de la qualité de l'acte de contrition.

jeudi 15 mai 2008

Passent les jours...

Passent les jours ; subsistent quelques éclats.

(non daté).

Le sacre de Reims fut le triomphe du duc de Bourgogne ; le roi n’y brilla que par l’humilité. Le duc, du haut de son cheval, et dominant la foule de ses pages, de ses archers à pied, « avoit la mine d’un empereur » ; le roi, pauvre figure et pauvrement vêtu, allait devant, comme pour l’annoncer. Il semblait être là pour faire valoir par le contraste cette pompe orgueilleuse. On démêlait à peine les nobles Bourguignons, les gras Flamands, enterrés qu’ils étaient, hommes et chevaux, dans leur épais velours, sous leurs pierreries, sous leur pesante orfèvrerie massive. En tête, à la première entrée, sonnaient des sonnettes d’argent au col des bêtes de somme, habillées elles-mêmes de velours aux armes du duc, ses bannières flottaient sur cent quarante chariots magnifiques qui portaient la vaisselle d’or, d’argenterie, l’argent à jeter au peuple, et jusqu’au vin de Beaune qui devait se boire à la fête. Dans le cortège figurait, marchant et vivant, le banquet du sacre, petits moutons d’Ardennes, gros bœufs de Flandre ; la joyeuse et barbare pompe flamande sentait quelque peu sa kermesse.
J. Michelet, Histoire de France.

(Jeudi).

Ainsi, d'un pas ferme, le voyageur fit-il allée et venue sur allée et venue, en trouvant ce qu'il cherchait, puisqu'il ne cherchait rien.
C. Dickens, L'Embranchement de Mugby (trad S. Monod).

(Samedi).

Une auberge. L'hiver. Un jeune garçon (on ne connaîtra jamais son âge). Un mystérieux capitaine à la joue balafrée.
Et plus haut, près de l'épaule, on voyait une potence avec son pendu, dessinés, ma foi, avec beaucoup de caractères.
« Prophétique ! » fit le docteur, en touchant du doigt le tatouage. « A présent, maître Billy Bones, si tel est bien votre nom, vous allez nous montrer la couleur de votre sang. Tu n'as pas peur du sang Jim ?
- Non, monsieur, répondis-je.
- Bien, tu vas tenir la cuvette. »
Sur ce, il prit sa lancette et ouvrit la veine.
Stevenson, L'Ile au trésor (trad M. Porée)

(Dimanche).

Madame la duchesse de Chaulnes est un être qui n'a rien de commun avec les autres êtres que la forme extérieure : elle a l'usage et l'apparence de tout, et elle n'a la propriété ni la réalité de rien.
Madame du Deffand, Portraits.

(Matin)

Un essayiste, Alain Roger, voit dans le principe d'identité une des sources de la bêtise. La bêtise s'exprimerait donc principalement sous la forme de la tautologie (un sou est un sou etc...). Je n'ai pas lu cet auteur mais au petit matin, après l'avoir écouté à la radio, je fus réveillé (pour des raisons familiales, je devais me lever fort tôt) par l'idée que la bêtise c'était aussi cette impossibilité de s'extirper de la gangue de sa propre glaise. A n'importe quelle proposition la bêtise répond par " mais moi je..." Force centripète qui ramène tout à soi. Me vint à l'esprit cette réplique tirée de Labiche que l'on pouvait considérer comme le paradigme de cet étrange objet : Ce n'est pas pour me vanter, mais il fait drôlement chaud aujourd'hui. La journée commençait bien.

vendredi 2 mai 2008

Premier mai, dans l'après-midi.

Revu pour la énième fois Hibernatus de E. Molinaro. Le film est loin d'être bon, les scènes d'extérieurs sont particulièrement ineptes, et ne tient que par la présence de Louis de Funès. Il n'empêche que par son propos même, il produit un curieux effet.
Comme chacun le sait, l'histoire, sorte de variation autour de L'homme à l'oreille cassée d'Edmond About, est celle de Paul Fournier disparu en 1904 dans les glaces du Groenland, retrouvé congelé en 1969 (date de sortie du film) et ramené à la vie par la science triomphante. Afin de lui éviter un choc psychologique, on reconnaît là le thème qui sera exploité dans Good Bye, Lenin !, tout devra être fait afin qu'il croie vivre au début du siècle dernier.
Le film est construit en deux parties. La première est la description des descendants de l'Hiberné, leur habitat, leur mode de vie etc... ; la seconde narre l'arrivée de Paul Fournier et les modifications rendues nécessaires par sa présence. Or afin de bien marquer le hiatus entre les deux époques (1969/1905), le scénario se doit de donner à la première tous les signes de la modernité, voire de l'hyper-modernité. Ainsi trouvent-on des toiles pop-art chez de Funès, et le générique nous apprend que les meubles modernes ont été choisis chez DESIGN. Cet aspect qui a terriblement vieilli (une remarque similaire peut me semble-t-il être faite à propos de Playtime de Tati), l'environnement fin des années 60 (les DS noires avec changement de vitesse au volant !) auxquels s'ajoute l'image d'une bourgeoisie perdue (le voussoiement entre les époux, la soubrette qu'on lutine, la légion d'honneur, le mariage arrangé) font que le téléspectateur de 2008 adjoint une nouvelle couche temporelle à celle prévue par le scénario. Paradoxalement, l'époque la plus proche nous apparaît comme la plus lointaine car non reconstituée.
Alors que l'Hiberné va vers le futur, le téléspectateur se déplace dans le sens contraire éprouvant, du fait du dispositif, toute l'épaisseur et l'étrangeté du temps passé. Paul Fournier finira par découvrir la vérité grâce à un poste de télévision, en cet après-midi du premier mai nos chemins se sont peut-être croisés.

Continué, à petit pas, en revenant sur mes pas, la lecture d'Anna Karenina dans la traduction anglaise de R. Pevear et L. Volokhonsky. Je ne sais rien de plus beau que les tous premiers chapitres d'Anna Karenine. Je ne connais pas le russe mais cette traduction (elle date de 2001) me semble rendre compte de cette palpitation qui est au coeur du style de Tosltoï. Non pas des morceaux de vie mais la vie elle même.

'Matvei, my sister Anna Arkadyevna is coming tomorrow', he said, stopping for a moment the glossy, plump little hand of the barber, who was clearing a pink path between his long, curly side-whiskers.

On ne peut que rêver sur ce pink path alors que la traduction française d'Henri Mongault (1952) donne le prosaïque : ...en train de tracer à l'aide du peigne une raie rose entre ses longs favoris bouclés, frisés.
En cet après-midi du premier mai, la littérature se résumait à ses deux mots pink path (1).

(1) Il ressort d'une recherche rapide que Constance Garnett, traductrice "historique" de Tolstoï en anglais, donne également pink path; Rosemary Edmonds (1954) opte pour rosy parting (une raie rose). Un ami russophone pourrait-il nous éclairer ?

(Il s'agit bien d'un chemin rose: rozovaya doroga - merci à Stéphane)