Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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jeudi 26 novembre 2009

A postmodern murder mystery.




I would like to have been a homicide detective, much more than being a writer.
Roberto Bolaño.

Très étrange et très curieux petit livre que ce Un crime parfait de David Grann.
Originellement publié dans le New-Yorker, le texte se situe de prime abord dans la tradition journalistique de l'enquête à l'américaine caractérisée par la prééminence donnée aux faits et une certaine sécheresse de style. Mais cette objectivité est mise ici au service d'un récit dont le flou est le ressort premier, d'où pour le lecteur le sentiment d'être pris dans un piège, sorte de sable mouvant dont il ne pourra s'échapper.
Décembre 2000, la police polonaise découvre le corps d'un homme dans l'Oder. L'homme est nu, il est ligoté, porte des traces de tortures et a été jeté vivant dans le fleuve. Il est rapidement identifié. Il s'agit de Dariusz Janiszewski, petit patron d'une agence de publicité dont la disparition avait été signalée quelques jours auparavant. On ne lui connait pas d'ennemis, ses cartes de crédit n'ont pas été utilisées depuis le meurtre, et faute d'indices probants l'enquête est rapidement close.
Trois ans plus tard un policier, Jacek Wroblewski, décide de rouvrir l'enquête. Partant du principe que dans les affaires classées, la clé pour résoudre le crime est souvent un indice négligé, il décide de s'intéresser au portable de Janiszewski dont on n'a pas retrouvé la trace. Il découvre avec stupéfaction, grâce au numéro de série, que le portable a été mis en vente sur un site d'enchères quatre jours après la disparition de la victime. Le vendeur est un certain Krystian Bala.
Bala est un intellectuel polonais de trente ans, auteur d'un roman intitulé Amok, publié en 2003, dont le personnage principal et narrateur, est également un intellectuel qui s'ennuie, boit et multiplie les aventures sexuelles. Dès sa première lecture, Wroblewski constate des éléments troublants : le narrateur avoue un meurtre, celui d'une jeune femme, pour lequel il ne sera jamais incriminé ; la jeune femme est ligotée à la façon de Janiszewski ; le prénom du narrateur est Chris, la forme anglo-saxonne de Krystian, qui se trouve être le pseudonyme utilisé parle vendeur du portable sur le site d'enchères. Wroblewski décide de relire le livre plus attentivement - un flic endurci transformé en détective littéraire.
Commence alors une vertigineuse partie de poker menteur avec d'un coté Wroblewski pour qui les faits étaient aussi indissolubles que les balles, pour qui la fiction contenait les traces qu'il fallait savoir déchiffrer afin de prouver la culpabilité de Bala et pour qui le criminel, l'auteur et le narrateur partageaient la même identité. De l'autre Bala, jeune philosophe à l'existence chaotique (entrepreneur il fait faillite, son mariage est un échec, il est contraint à l'exil, son roman ne marche pas) pour qui, sous l'influence de Wittgenstein et des philosophes français de la post-modernité, le langage est trop instable pour établir une vérité absolue et qui fait sienne la formule de R. Rorty : l'art de duper ses pairs est le visage même de la vérité. Toute la force de Grann est de ne jamais choisir entre les deux camps, laissant le lecteur à ses interrogations qui finissent par contaminer le texte même.
Toute fiction est-elle porteuse de réalité ? Toute réalité n'est-elle que fiction ? Où se situe la frontière entre les deux ? Ce qui complique singulièrement l'affaire c'est qu'au fond les protagonistes sont à front renversé. L'empiriste veut faire accèder au statut de réel ce qui se présente comme une fiction : le roman est vrai malgré sa fausseté. Alors que Bala veut ramener à un statut purement fictionnel les correspondances établies entre lui et son héros : le roman est faux malgré sa vérité.
Bala sera arrêté. L'enquête établira qu'il était en possession d'une carte téléphonique ayant servi à appeler Janiszewski et que ce dernier connaissait son ex-femme. Le mobile du crime serait la jalousie.
En 2007, Bala est condamné à 25 ans de prison. Il fait appel. Quelques mois après, la cour annule le verdict initial au motif que bien qu'il existât un lien indubitable entre Bala et les meurtres, il y avait encore des failles dans l'enchaînement logique des preuves. Le récit établi par Wroblewski n'était pas suffisamment parfait.
L'affaire reste en suspens.

lundi 9 novembre 2009

Journal.

Le remplacement d'une orthodoxie par une autre n'est pas nécessairement un progrès. Le véritable ennemi, c'est l'esprit réduit à l'état de gramophone, et cela reste vrai que l'on soit d'accord ou non avec le disque qui passe à un certain moment.
G. Orwell.

Ce qui marque l'échec de Loin, le dernier roman de Renaud Camus, c'est que l'auteur ne trouve jamais la bonne distance d'avec le monde qui l'entoure. On pourrait même dire que de distance, il n'y en a quasiment jamais.
Or il me semble que le propre du bon roman n'est pas tant de dire le monde, ce que fait Camus, mais plutôt de se situer en deçà ou au delà de la réalité. Trop en dire ou pas assez, ce qui revient au fond au même, afin d'éveiller la perplexité du lecteur, laissant ce dernier avec le sentiment frustrant de l'imminence d'une révélation qui jamais ne viendra.


Un commentaire midrashique à propos du psaume 50, verset 7 ne cesse de me surprendre.

Ecoute mon peuple, je vais parler...
(traduction de la Bible de Jérusalem)

Entends mon peuple, je parle...
(traduction A.Chouraqui)

J'apprends par la même occasion que l'hébreu ancien ne connaissait pas le futur à proprement parler, mais plutôt l'indication d'une action inaccomplie. Bref revenons à notre commentaire :

R. Yohanan dit : écoute mon peuple signifie : écoute les choses dites dans le passé; et je vais parler (je parle) renvoie à ce qui sera dit dans le futur.
Le Midrash Rabba sur Ruth (trad : F. Gandus)

Ainsi la parole divine, au moment même ou elle s'énonce, englobe tous les temps.

Un romancier ne parle jamais au présent.