Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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dimanche 27 janvier 2008

Laura.

Via Libération, qui reprend un article de Slate (traduit ici sans les liens) retour sur l'affaire du dernier manuscrit inédit - The Original of Laura -de V. Nabokov. En septembre 1976, Nabokov considère que le livre est pratiquement complet dans sa tête (1), mais sa santé se dégradant il ne pourra en terminer la transcription. A sa mort en 1977 Nabokov laisse donc le roman inachevé sous la forme d'une cinquantaine de fiches manuscrites. Dans son testament il demande à Véra, sa veuve, de détruire les fiches ; elle ne le fera pas. A la mort de Véra c'est au tour du fils, Dmitri, de prendre ses responsabilités : détruire ou ne pas détruire. À ce jour aucune décision n'a été prise.
On ne sait quasiment rien sur le contenu du texte hormis qu'il s'agirait, selon Zoran Kuzmanovich, un spécialiste de Nabokov qui en aurait entendu une lecture, de : a story about aging but holding onto the original love of one's life (la fuite du temps et son arraisonnement par le souvenir d'un amour originel).
J'ai pensé au premier roman de Nabokov, Machenka, publié en 1926 (Nabokov a 26 ans, il a fuit la Russie pour l'Allemagne).
Ganine est un jeune émigré, sans profession définie, qui vit dans le Berlin des années 20. Il loge dans une pension de famille, type pension Vauquer, en compagnie d'autres russes. Il apprend que la femme de l'un de ses compatriotes émigrés, restée en Russie, doit bientôt le rejoindre. Il découvre que cette femme, Machenka, n'est autre que le premier amour de sa vie. Amour de jeunesse qui n'a pas su résister à la fuite du temps mais qui reste, semble-t-il, le plus grand. Pendant quatre jours Ganine revivra, par la puissance de ses souvenirs, exercice de mémoire volontaire, cet amour perdu. Au bout du quatrième jour (le récit s'articule autour de deux niveaux de temporalité : le temps présent dans lequel vient s'enchasser le temps des souvenirs), jour où Machenka doit arriver à Berlin, il décide de l'enlever, donne un somnifère au mari et part pour la gare. Mais au dernier moment, il change d'avis.

En contemplant le toit squelettique qui se détachait sur le ciel impalpable, Ganine comprit avec une incroyable lucidité que son histoire d'amour avec Machenka était terminé. Elle n'avait duré que quatre jours - quatre jours qui avaient été sans doute les plus heureux de sa vie. Mais, à présent, il avait épuisé ses souvenirs, il en était rassasié... (2)

Ganine partira seul en France, l'avenir est ouvert.

...au-delà de la frontière, c'était la France, la Provence et puis...la mer. (3)

Il est communément admis de donner un caractère autobiographique à la partie russe de Machenka et de voir en l'héroïne la transposition de Tamara, le premier amour de Nabokov, qui sera évoquée dans Autres Rivages l'autobiographie de VN écrite 25 ans après le premier roman (un certain nombre d'épisodes se retrouvent d'un livre à l'autre). Nabokov sait qu'il est impossible de faire revivre le passé dans le présent, que nous sommes prisonniers de ce dernier et que seuls la mémoire et la littérature peuvent nous délivrer, nous permettre de sortir de cette gangue. Toute autre tentative est vouée à l'échec. La Machenka d'autrefois ne sera jamais la Machenka d'aujourd'hui.
Juste avant que Ganine ne prenne la décision de renoncer on peut lire la description suivante.

Il s'arrêta dans le petit jardin public proche de la gare et s'assit sur le banc même où, si peu de jours auparavant, il s'était rappelé le typhus, la maison de campagne, et le pressentiment qu'il avait eu de l'existence de Machenka (...).
Derrière le jardin public on construisait une maison (...).
Malgré l'heure matinale, les ouvriers s'activaient déjà sur la charpente - silhouettes bleues contre le ciel pâle du matin. L'un deux marchait le long du faîte, libre et léger comme s'il était prêt de s'envoler. L'armature de bois brillait au soleil comme de l'or. Trois hommes y travaillaient. Ils se passaient des tuiles, couchés sur le dos, l'un au-dessus de l'autre, en droite ligne, comme sur un escalier. L'homme d'en bas levait au-dessous de sa tête la plaque rouge qui ressemblait à un gros livre...(4)

Un gros livre transmis d'un homme à un autre, une charpente en forme de livre ouvert et posé (4), c'est en contemplant ce toit squelettique que Ganine prend sa décision. Il sait que la seule image de Machenka qui pourra subsister sera celle qui lui sera donnée par le livre à venir.
En 1926 un écrivain est en train de naître. En 1977 un écrivain va mourir. Il revient, semble-t-il, au sujet de son premier roman. la boucle est bouclée. Il pressent qu'il ne pourra terminer le livre, mais il l'a dans sa tête. Il le lit alors aux paons, aux pigeons, aux cyprès, à ses parents morts, à de jeunes infirmières et à la famille d'un médecin, une famille si vieille qu'elle en devient presqu'invisible. Peut-être comprend-il alors que justement la boucle ne doit pas être bouclée, que si elle l'était son oeuvre, son premier amour seraient pour toujours rejetés dans le passé. Que détruire les manuscrits reviendrait au-même. L'écrivain n'aime pas la cloture, il lui préfère la mer et la chasse aux papillons. L'exil est sa condition (5). L'écrivain est rusé. Il demande à sa femme détruire les fiches, il la connait, cela fait plus de cinquante ans qu'ils vivent ensemble, le manuscrit sera épargné. Ce que Nabokov souhaite c'est que son oeuvre reste ouverte et, répétons le, s'agissant de ce qu'il sait être son dernier roman, publication ou destruction sont équivalents. The Original of Laura doit rester cet instant suspendu dans le cours du temps, une bulle si fragile que la moindre manipulation la ferait disparaître, un livre à venir qui ne devra jamais être lu. Un instant d'éternité.

On peut également lire ceci dont je ne sais toujours pas s'il s'agit d'un vrai faux canular.

(1)... The Original of Laura, the not quite finished manuscript of a novel which I had begun writing and reworking before my illness and which was completed in my mind: I must have gone through it some fifty times and in my diurnal delirium kept reading it aloud to a small dream audience in a walled garden. My audience consisted of peacocks, pigeons, my long dead parents, two cypresses, several young nurses crouching around, and a family doctor so old as to be almost invisible.
Lettre de VN du 30 octobre 1976.

(2) Machenka, traduit de l'anglais par Marcelle Sibon, Folio Gallimard.

(3) Ibid

(4) Ibid

(4) Une note dans l'édition de la Pléiade nous apprend que les mots charpente et armature (frame en anglais) rendent le mot russe pérepliot qui signifie aussi reliure

(5) Je suis un écrivain américain, né en Russie et formé en Angleterre où j'ai étudié la littérature française avant de passer quinze ans en Allemagne.
Intransigeances, Julliard, 1985.

vendredi 18 janvier 2008

Mort d'un poète.


Robert James Fisher (1943 - 2008).

Dios mueve al jugador, y este, la pieza.
¿ Que dios detrás de Dios la trama empieza
De polvo y tiempo y sueño y agonía ?

Dieu pousse le joueur et le joueur la pièce.
Quel dieu, derrière Dieu, débute cette trame
De poussière et de temps, de rêve et d'agonies ?
Borges - Echecs (trad : Jean Pierre Bernés).

jeudi 17 janvier 2008

Lignes.

Après implique une action antérieure qui exclut l'emploi du subjonctif. Après que gouverne l'indicatif. Avant que gouverne le subjonctif.
Après implique une action antérieure qui exclut l'emploi du subjonctif. Après que gouverne l'indicatif. Avant que gouverne le subjonctif.
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dimanche 13 janvier 2008

Journal.

Remerciements à Jack Z.

Politique de civilisation (1).
Une récente dispute à propos de la monarchie élective m'entraine vers Chateaubriand. Les deux protagonistes ont tort : une monarchie peut-être élective (cf la Pologne) et, d'autre part, le pouvoir du Roi, en tant que celui-ci incarne un ordre moral et politique transcendant, ne peut-être soumis à des limites temporelles.
Au-delà des positions des deux protagonistes, et en raison même de cette erreur commune, j'ai la nette impression d'assister à un jeu de dupes, mais l'espace démocratique permet-il de faire autrement, un jeu de dupes donc où chacune des parties légitime l'existence de l'autre.
Ma flanerie m'amène à rencontrer ceci :

...nous dirions encore qu'une des plus dangereuses erreurs serait de vouloir tout ramener au positif : résoudre les problèmes de l'ordre social par des chiffres, c'est se proposer un autre problème insoluble ; les chiffres ne produisent que des chiffres. Avec des nombres vous n'élèveriez aucun monument ; vous banniriez les arts et les lettres comme des superfluités dispendieuses ; vous ne demanderiez jamais si une entreprise est juste et honorable, mais si elle rapportera quelque chose ou si elle ne coûtera pas trop cher (...). La liberté acoquinée à la gloire ou enthousiasme du pot au feu se corrompt de deux manières différentes : par la guerre elle prend le génie d'un tyran, par la paix le coeur d'un esclave.
François-René de Chateaubriand - Le Congrès de Vérone.

Pour les plus jeunes, il suffit de remplacer pot au feu par Star Academy.

Beauvoir.
Je n'ai rien lu de Simone de Beauvoir, à peine quelques lignes du Deuxième sexe. L'ouvrage figurait dans la bibliothèque familiale. Mon jeune âge et le titre me firent espérer un livre aimablement pornographique. On comprendra aisément ma déception. Si j'essaye de me souvenir de ce que j'ai réellement lu, l'exercice n'est pas si facile puiqu'il faut ôter toute la glose, le chiendent qui s'est accumulé autour du texte, ne me restent que des considérations autour d'un tuyau d'arrosage comme substitut phallique pour une jeune fille.

Politique de civilisation (2).
Un nègre gréco-latin (sans qui je ne serais pas), l'un des derniers, il entre dans sa soixante-dix-neuvième années, me fait part du texte suivant. Il commença sa vie avec Cicéron, la poursuivit avec Marx et la finira (le plus tard possible) avec Plutarque et Périclès. On connait des plus mauvais parcours.

En effet, la gravité ne saurait se soutenir au milieu des jeux et des divertissements ; la gaieté familière qui y règne s’accorde mal avec la dignité, et nuit à la considération. Il est vrai que c’est au dehors de l’homme réellement vertueux que la multitude s’attache, c’est l’apparence qui a le plus de prix à ses yeux, et les hommes de bien ne sont jamais aussi admirables pour les étrangers que pour les témoins habituels de leurs actions. Mais Périclès, de peur qu’une trop fréquente communication avec le peuple ne finît par inspirer du dégoût pour sa personne, paraissait rarement et par intervalles dans les assemblées : il s’abstenait de parler sur les affaires d’un médiocre intérêt, et se réservait pour les grandes occasions, comme on faisait, suivant Critolaos, du vaisseau de Salamine. Dans les circonstances moins importantes, il se servait de ses amis et de quelques orateurs qui lui étaient dévoués.
Plutarque - Vie de Périclés .

La Route - Cormac McCarthy.
Une critique unanime me fait acquérir le dernier roman de Cormac McCarthy. Un monde post apocalyptique couvert de cendres. Un père et son fils fuyant les derniers hommes réduits au cannibalisme. Quand Mad Max rencontre la Bible. D'où vient cependant, le final est tout de même très beau (Elle disait que le souffle de Dieu était encore le souffle de son père bien qu'il passe d'une créature humaine à une autre au fil des temps éternels), que cela ne me convaint pas. Peut-être parce que, malgré les égnimes, tout est dit. Le récit ne secrète aucune discontinuité par lesquelles le lecteur peut s'échapper. On pense aux belles formules de J.Gracq à propos de Proust chez qui il note l'absence d'un tremblement d'avenir, d'une élation de l'éventuel. Le monde décrit par McCarty est par trop lisible. Le hasard fit que j'ai lu, peu de temps avant, Les Mémoires de deux jeunes mariées de Balzac. Il s'agit d'un roman épistolaire entre une blonde passionnée, faisant fi des conventions et une brune lectrice de Bonald, acceptant un mariage de raison et les contraintes imposées par la vie de famille. Balzac fera mourir la blonde. Tout cela serait fort simple sauf que, au détour d'une page, on peut lire ceci (la brune est enceinte, c'est elle qui écrit) :

Si je dois te dire les choses comme elles sont, au risque de te causer quelque déplaisance pour le métier, je t'avoue que je ne conçois pas la fantaisie que j'ai prise pour certaines oranges, goût bizarre et que je trouve naturel. Mon mari va me chercher à Marseille les plus belles oranges du monde ; il en a demandé de Malte, de Portugal, de Corse ; mais ces oranges, je les laisse. Je cours à Marseille, quelquefois à pied, y dévorer de méchantes oranges à un liard, quasi pourries, dans une petite rue qui descend au port, à deux pas de l'Hôtel-de-Ville ; et leurs moisissures bleuâtres ou verdâtres brillent à mes yeux comme des diamants : j'y vois des fleurs, je n'ai nul souvenir de leur odeur cadavéreuse et leur trouve une saveur irritante, une chaleur vineuse, un goût délicieux. Eh ! bien, mon ange, voilà les premières sensations amoureuses de ma vie. Ces affreuses oranges sont mes amours. Tu ne désires pas Felipe autant que je souhaite un de ces fruits en décomposition. Enfin je sors quelque fois furtivement, je galope à Marseille d'un pied agile, et il me prend des tressaillements voluptueux quand j'approche de la rue : j'ai peur que la marchande n'ait plus d'oranges pourries, je me jette dessus, je les mange, je les dévore en plein air.

Ou après la naissance de l'enfant :

On est à soi seul le monde pour cet enfant, comme l'enfant est le monde pour vous ! On est si sûre que notre vie est partagée, on est si amplement récompensée des peines qu'on se donne et des souffrances qu'on endure, car il y a des souffrances, Dieu te garde d'avoir une crevasse au sein ! Cette plaie qui se rouvre sous des lèvres de rose, qui se guérit si difficilement et qui cause des tortures à rendre folle, si l'on n'avait pas la joie de voir la bouche de l'enfant barbouillée de lait, est une des plus affreuses punitions de la beauté.

Ces oranges bleuâtres et verdâtres transformées en fleurs, cette plaie qui se rouvre sous des lèvres de rose barbouillées de lait pour lesquelles il ne sera donné aucune explication ou justification font bifurquer le récit vers des territoires opaques où l'esprit du lecteur viendra s'abimer.
Ce qui fait la beauté des grands romans c'est justement cette possibilité offerte de quitter la route.

mardi 1 janvier 2008

???


La nouvelle année commencera par une interrogation.
Où ai-je lu l'histoire de ce sultan qui demanda, au cours d'un repas, à l'une de ses favorites de danser et qui, comme pour Salomé, exigeait, par un signe de la main, qu'elle otât ses voiles ? Le septième et dernier voile enlevé, ivre il refit son geste. Les gardes s'emparèrent de la femme nue, et obéissants lui retirèrent la peau en l'écorchant vive.
Où ?
Dans un un conte d'Alphonse Allais : Un rajah qui s'embête (voir les commentaires - remerciements à Alph).