Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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vendredi 25 novembre 2016

Enracinement/Déracinement



Après avoir accueilli favorablement le renouvellement que constitue Les Déracinés dans l'oeuvre de Barrès, René Doumic critique la conception que se fait l'auteur de l'éducation.

Donc M. Barrès imagine de nous présenter une équipe de sept jeunes Lorrains. Élèves du lycée de Nancy, ils y reçoivent cet enseignement uniforme que l'Université donne à tous les Français, sans tenir compte de la différence des régions plus que de la diversité des conditions et des aptitudes. Le professeur de philosophie, un certain Bouteiller, en leur enseignant la morale de Kant et les invitant à se référera une formule abstraite et absolue du devoir, complète, couronne et parfait l'œuvre de l'éducation universitaire. Quels en sont pour ces jeunes gens les résultats? « Si cette éducation leur a supprimé la conscience nationale, c'est-à-dire le sentiment qu'il y a un passé de leur canton natal, et le goût de se rattacher à ce passé le plus proche, elle a développé en eux l'énergie. Elle l'a poussée toute en cérébralité et sans leur donner le sens des réalités, mais enfin elle l'a multipliée. De toute cette énergie multipliée, ces provinciaux crient : À Paris ». Ils viennent en effet à Paris pour y faire, qui des études de médecine et qui des études de droit. Ils y traînent au Quartier Latin, sont les héros de menues aventures, et se retrouvent enfin tous les sept dans la rédaction d'un journal, car, suivant la spirituelle boutade de M. Barrés, l'enseignement qu'on donne aux jeunes gens dans les lycées a pour aboutissement naturel d'en faire des journalistes parisiens. Inutile de dire que le journal, entre ces mains novices, a tôt fait de sombrer. Afin de le renflouer, le directeur, Racadot, ne trouve qu'un moyen qui est l'assassinat ayant le vol pour mobile. Aidé de son ami Mouchefrin, il entraîne une jeune femme sur la berge de Billancourt et la tue.

Ces faits servent à illustrer une thèse qui est curieuse et mérite de fixer l'attention, car elle est significative du mouvement de réaction qui se fait aujourd'hui dans beaucoup d'esprits désintéressés et libres contre quelques-unes des idées dont la Révolution a amené le triomphe. En dehors de tout parti pris de politique ou de religion, on dresse le bilan de certaines « conquêtes », et on s'aperçoit qu'elles ont entraîné des conséquences désastreuses. Le courant d'idées qui, venu du parti philosophique et de l'Encyclopédie, traverse la Révolution et trouve sa complète expression d'abord dans le programme jacobin, puis dans l'administration napoléonienne, c'est celui que dénonce M. Barrès. Au nom du progrès, on a voulu rompre tout d'un coup avec le passé. On n'a pas compris qu'une nation est faite à mesure par toute son histoire, et que les éléments nouveaux qu'elle s'agrège ne doivent pas contrarier les énergies qui se sont peu à peu accumulées en elle. On a méconnu la vertu de la tradition. On a cru à la toute-puissance des théories. On s'est imaginé qu'on pouvait, d'après un idéal abstrait, improviser des règles de conduite également bonnes pour tous. On eu la superstition de l'égalité conçue de la façon la plus grossière. On s'est appliqué à supprimer les différences. On a ruiné la vie de province. On a fait affluer toute l'activité vers la capitale où siège l’État souverain . On « déraciné » les jeunes Français. Pour accomplir cette œuvre néfaste, il semble à M. Barrés que l'Université a été l'instrument le mieux approprié. Il fait retomber sur elle toute la responsabilité. M. Barrès reprend ici à son compte les idées fortement exprimées par Taine dans le livre du Régime moderne consacré à L’École. Seulement, tandis que les vues qu'il emprunte étaient déjà étroitement systématiques, M. Barrès les présente sous une forme plus âpre encore. C'est dire qu'il les fausse. Je me contenterai d'indiquer deux remarques, mais qui sont essentielles, et diminuent d'autant, la portée de cette argumentation sans nuances.

M. Barrés déclare que l'Université déracine les jeunes gens. C'est le reproche qu'il lui fait, c'est le crime dont il l'accuse. Il ne paraît pas soupçonner que la question est justement de savoir si ce prétendu crime en est un. Pour sa part, M. Barrès rêve d'un enseignement approprié au caractère provincial. « II n'y a pas d'idées innées, mais des particularités insaisissables de leur structure décident les jeunes Lorrains à élaborer des jugements et des raisonnements d'une qualité particulière. En ménageant ces tendances naturelles, comme on ajouterait à la variété et à la spontanéité de l'énergie nationale !... » Veut-on presser le sens des mots ? Comment s'y prendra-t-on pour modeler un enseignement sur des particularités dont c'est l'essence d'être insaisissables ? Ou peut-être faut-il que les jeunes Lorrains n'aient que des maîtres lorrains ? L'enseignement devient alors chose de province, de cité ou de canton. Ce sont les barrières qui se dressent, c'est l'horizon qui se rétrécit. C'est, pour tout dire, l'éducation qui manque son but, puisqu'elle a précisément pour but de nous « élever » au-dessus de tout ce qui limite notre vue et nous fait les prisonniers d'un endroit dans l'espace et d'un moment dans le temps. La condition où nous sommes nés, le milieu où nous nous sommes formés, nous imposent autant d'idées toutes faites et de préjugés. Il s'agit de nous en affranchir. C'est bien à quoi concourent toutes les parties de l'enseignement. L'histoire, les langues, les littératures nous mettent en rapport, nous autres hommes d'aujourd'hui, avec les hommes d'autrefois. Nous nous initions à des civilisations différentes de la nôtre, et nous retrouvons tout de même, sous l'apparente diversité, des traits communs. Ces idées générales, c'est par elles que tous les hommes communient ensemble, et, à mesure que nous en prenons davantage conscience, nous devenons plus complètement des hommes. Nous dépassons les limites de notre cité pour devenir citoyens de l'humanité. On peut comparer les divers systèmes d'éducation ; on se convaincra que, pas plus dans l'antiquité que dans les temps modernes, et pas plus sous l'ancien régime que dans la France nouvelle, l'éducateur n'a compris autrement sa tâche. Qu'on s'efforce donc de maintenir dans ce qu'elles ont de bienfaisant les influences de famille et les traditions locales, il n'en restera pas moins que le rôle de l'éducateur consiste à nous délivrer des attaches qui nous immobilisent à un point du sol et que son devoir est de faire de nous des « déracinés ». Sans s'en apercevoir, et trompé par le mirage des mots, ce n'est pas seulement l'enseignement universitaire que condamne M. Barrès : il s'attaque à la notion elle-même d'éducation.

M. Barrès en veut surtout à l'enseignement de la philosophie. Il l'incarne dans le personnage de Bouteiller. Ce personnage est, de tous ceux du roman, le mieux venu. Ou, plutôt, il est le seul qui ait quelque consistance. C'est un type de sectaire hanté par le rêve de la vie politique et pour qui les succès de la chaire professorale ne sont qu'un moyen afin d'arriver quelque jour à la tribune de la Chambre. M. Barrès trace ce portrait d'un crayon irrité, et c'est à peine si on peut lui reprocher de l'avoir poussé à la caricature. Il y a fort habilement présenté le mélange d'une austérité véritable, d'une ambition forcenée et d'une certaine hypocrisie. Mais il n'a pas fait attention que plus l'image devenait précise, et plus le type perdait de valeur générale. Le politicien est, par bonheur, dans l'Université une exception : le professeur qui cherche non pas à occuper dans l’État une situation en rapport avec sa compétence , mais a sortir de sa carrière pour mener la vie parlementaire, est, au sens strict du mot, un déclassé. D'autre part, M. Barrès semble croire que l'Université enseigne une philosophie uniforme, dogmatique, qu'il y a une doctrine officielle et une philosophie d’État. Quelle erreur ! L'année où Bouteiller enseignait aux élèves du lycée de Nancy la morale kantienne est à peu près celle où je recevais moi-même sur les bancs du collège l'enseignement philosophique. L'homme charmant qui nous le distribuait se référait à des notes prises aux cours de .Iules Simon, qui lui-même répétait les leçons de Victor Cousin. Ce n'était pas pour faire de nous des sectaires. Bien loin d'imposer une doctrine et d'apporter des conclusions, la philosophie universitaire - et c'est ce que d'autres lui reprochent -, se contente de plus en plus de poser les questions, remettant à chacun le soin de les trancher au gré de ses préférences et d'après son tour d'esprit, laissant au temps et à l'expérience le soin de dessiner peu à peu les réponses. C'est dire que l'enseignement philosophique universitaire est assez exactement le contraire de celui que nous présente M. Barrès.

René Doumic in Revue des deux mondes, 15 Novembre 1897.

dimanche 20 novembre 2016

Bombes moscovites



UN VOYAGE AU PAYS DES SOVIETS
BOMBES MOSCOVITES

Faire la noce à Moscou, est-ce donc permis ? C'est défendu sans l'être. Enfin c'est défendu. Mais on ouvre les bars tous les soirs, sauf le lundi. Encore sont-ils clos, ce soir-là, parce que le lundi est le repos du soviet des jazz.

Il s'agit de ces bombes dont les éclats se réduisent au bruit des bouchons : Pienistye, schaumwein... ou Champagne. Cet article pouvait aussi s'appeler : Montmartre-Moscou.
La noce ?
Oui, ma foi, une triste noce, et sournoise, anxieuse, une noce de viveurs aux abois, qui cherchent leur passé dans un pays où le souvenir est un délit. Dirai-je qu'on s'amuse ? J'ai promis de ne pas broder. Disons, sans plus, que l'on cherche à ne pas mourir de l'Ennui rouge, qui surpasse l'ennui huguenot, autant que la steppe dépasse le prêche du pasteur.
Mais faire la noce à Moscou, est-ce donc permis ? C'est défendu sans l'être. Enfin, c'est défendu. Mais on ouvre les bars tous les soirs, sauf le lundi. Encore sont-ils clos, ce soir-là, parce que le lundi est le repos du soviet des jazz.
On tolère donc les « boîtes », qui, dans leurs caveaux fumeux et calfeutrés, ont conservé un air vieux de neuf ans, un air à mettre en bouteilles, un air à étiqueter, à étamper, à cacheter : l'air tsariste.
Quoi ! le régime soviétique tolère cela ? Il a bien fallu. Moscou compte un million d'habitants; on peut tout faire à un million de gens soucieux de trouver le repas du lendemain -tout, sauf détruire l'illusion du plaisir- Sous la Terreur même, les bolcheviks tinrent les théâtres ouverts : avec cela et du pain noir ils purent durer. A présent, qu'arrivent les temps moins disciplinés, il faut blanchir le pain et multiplier les jeux. Alors, une à une, les boîtes se sont ouvertes. Et, comme le peuple grommelait, on lui a donné ce, prétexte que, sous tous les régimes, l'exploitation de la débauche fournit aux moralistes :
« Cela fait vivre tant de gens... »
Rien de plus vrai, quant à Moscou. Il faut voir ces nuits de la Tverskaïa, laquelle est, passé minuit. une espèce de rue Pigalle, moins les publicilés lumineuses. Tout se passe dans l'ombre, une ombre houleuse où les êtres noirs se poursuivent en silence, au milieu des appels de cochers invisibles et sans nombre, tandis que tous les chevaux de Walpurgis semblent de leurs pieds sonores battre l'enclume sur le pavé.
Mais un démon morose conduit le bal. Ici, comme dans tout le pays soviétique, le rire est mort ; on dirait que les vieux l'ont emporté dans leur tombe, entre leurs bras roidis par la rage et la famine. Ainsi, l'on voit cette chose inexprimable : des gens qui se soûlent avec des visages de pierres. La crapule y acquiert une sorte de grandeur. Mais c'est un spectacle sombre et bientôt décevant.
Nul, sans doute, ne s'étonnera qu'un Parisien ait hanté toutes ces boîtes. On en a, d'ailleurs, vite fait la tournée. Il y a « le Bar » (qui se trouve non loin de là, mais dans un autre quartier), seul lieu de plaisir où l'on rencontre des politiciens, fonctionnaires en vue ou membres du Parti. Il y a le Nedved (l'Ours), fort à la mode, où l'on voit les plus troublantes courtisanes moscovites ; Praga, aux lumières bizarres ; Kroujok (le Cercle), où il faut « être présenté » ; Philipov, une sorte d'usine à soulerie, vaste, nue et venteuse comme un buffet de grande gare ; un orchestre barbare y pousse des plaintes de cuivre, les camarades serveurs renversent la bière sur les pantalons et la clientèle est formée d'ouvriers en goguette, d'étrangers inquiets, de policiers immobiles. Au Sad Ermitage, on se croit un peu dans les Champs-Elysées.
Presque partout, il faut descendre une vingtaine de marches, gagner le sous-sol. Au rez-de-chaussée, on trouve un buffet, avec l'Ambigu traditionnel, qui est, à toute heure de jour et de nuit, le hors-d'oeuvre du Russe. En bas, c'est la musique, ce sont les tziganes. On les connaît. Ceux qui ont pu s'évader de Moscou sont à Constantinople, à Berlin, à Rome -et rue de Douai. Ils vous promènent leurs archets sur les nerfs, directement ; on dirait que des larmes tombent de leurs violons. Ce qu'ils font est à la musique ce que l'ascension d'un fakir est à l'aviation. Ils sont les voix langoureuses et diaboliques de l'absurde. On sent ce que cela peut donner, en Russie, mêlé au « goût du malheùr » après huit ans de Soviétisme.
D'une boîte à l'autre, cela ne change pas. Ce ne sont que couples hagards ou si émus qu'ils en paraissent révoltés. La musique gémit et ronde. A chaque table, on boit, d'un trait, la vodka d'Etat. Les yeux chavirent. Des ménages à trois, à quatre, à cinq sont là, dont les hommes commencent à s'entre-regarder avec des regards de bourreaux doucereux.
- Encore la vodka, camarade ?
- Papirosses, mes chéris ? propose une vieille, qu'on jurerait avoir rencontrée, l'autre nuit, place Blanche.
Les filles se tiennent à leurs tables. On ne danse pas. Dans le regard de l'homme, elles plantent le regard hardi et naïf de leurs yeux couleur de cendre où luit une goutte d'azur brillant. Puis, voici les marchands de cochon en baudruche, de ludions, de poissons articulés. Et nul ne rit. Un soir, au Nedved, un Allemand, ivre, se mit à battre la mesure d'un fox-trot avec une cuiller. Tout le monde s'est levé. L' Allemand a cessé et les buveurs ont pu se livrer encore à leur voluptueuse désolation.
Vers deux heures et demie, l'on remonte au jour (car le jour se lève). Un beau jour couleur de pervenche. C'est ce qu'il y a de beau, d'unique, dans la noce à Moscou, ce mélange de fards nocturnes et d'aube fraîche, cela bien avant nos heures d'Occident, où les visages des belles de nuit ne sont plus que traits amers, yeux sans regard peinture qui s'écaille. Le plaisir, là-bas, ne fait que commencer et, déjà, c'est le matin. La place Blanche, à huit heures, toute peuplée de noceurs frais !...
Les istvostchiks, que l'on devinait tout a l'heure à leur bruit de fers, apparaissent dans la gaie clarté, innombrables. Les couples s'y serrent en fumant, les chevaux partent, s'entre-croisent ; tous les cochers crient. Les gardiens de nuit s'éveillent sur les marches des boutiques.
Quelques travailleurs passent, renfrognés et méditatifs. Sans doute cherchent-ils une explication à ces scandales dans les dernières harangues des commissaires du peuple. Ils ne la trouvent pas et se contentent de regarder haineusement ces débauchés et leurs compagnes aux robes roses.
Mais voici les mendiants. Quels mendiants ! Le réservoir aux monstres a crevé ; la cour des miracles coule en torrent par la Tverskaïa. Ils sont dolents, pressants, injurieux. On en a jusque dans ses poches.
- Un petit kôpek, bon étranger, quelque chose, petit-frère, pour manger...
La foule s'épaissit, puis semble s'évanouir, tandis que les noctambules s'engagent à droite dans les allées de Petrovsky. On parviens à la place Troubnaïa, où sont deux Pivnye hantées de la pègre, sombres assommoirs, où l'on parle l'argot rouge, où trônent ceux qui en tous lieux, depuis toujours, échappent aux guerres et aux émeutes.
Là, se reforme la colonne des mendiants. Ils s'enhardissent. Les soupeuses prennent peur, elles leur jettent des pièces de bronze, Ils veulent de l'argent. Les terreurs se montrent au seuil des débits contre leurs compagnes aux cheveux en bouchons de paille. Le grand jour est venu. On arrose déjà le pavé. Des agents font les cent pas. Mais les gueux, montrant le poing aux clients des bars gouvernementaux, crient de toutes leurs forces :
- Nous, les mendiants, nous ferons la vraie Révolution, nous la ferons, petits frères, la vraie ! la vraie!...
Henri Béraud, Le Journal, 17 Septembre 1925.

jeudi 17 novembre 2016

Trakl - Martinet.



Retrouvé un vieux numéro de L'Infini (n°19 de l'été 1987), numéro intitulé Où en est la littérature, conçu et réalisé par Alain Nadaud qui signe le texte introductif : Pour un nouvel imaginaire.
Le sommaire en est éclectique, s'y côtoient en effet les noms de (entre autres) : Michon, Rolin (Jean et Olivier), Nabe, Macé, Millet, Jouet, Bénabou, Abeille, Redonnet...
On y trouve aussi une nouvelle de Jean-Pierre Martinet -Elisabeth où les reines de la nuit- aux tonalités sombres et fantastiques.
En voici un court extrait :

Assise à son bureau, elle contemplait des photos : Georg Trakl en mai 1914, le regard déjà halluciné, le cheveux ras, les mains jointes. Pour quelle prière ? Ou pour quel meurtre ? Crispé sur son fauteuil. Prêt à bondir. Mais sur qui ? Sur quoi ? Etrange pantalon rayé, qui lui faisait peur, elle ne savait trop pourquoi. Peur. Les rayures ressemblaient aux barreaux d'une prison. Un bloc d'abîme ce Trakl : avec lui, on chutait sans fin dans le néant. Et si l'on fermait les yeux, il vous poursuivait quand même sur les terres du sommeil, chasseur solitaire aussi effrayé que le gibier qu'il traque. A force de fixer ces rayures, Elisabeth pensa à des lances sur lesquelles des corps jetés dans le vide, du haut d'une forteresse invisible, n'allaient pas tarder à s'empaler. Elle se sentit transpercée de part en part et se retint pour ne pas crier.

jeudi 3 novembre 2016

Charles de Fieux de Mouhy



Charles de Fieux de Mouhy fut une figure de la bohème littéraire du dix-huitième dont Diderot dessina l'archétype avec son Neveu de Rameau.
Fort laid, les chroniques le donnent comme boiteux et bossu, d'une grande pauvreté, il avait cinq enfants à charge, il ouvre selon Ch. Monselet «la série des romanciers bourbeux». Polygraphe, on lui doit plus de 80 volumes dont certains ne sont que des décalques d'ouvrages plus connus (La Paysanne parvenue !).
Arrivée à la fin de ses aventures, Margot l'héroïne de Fougeret de Monbron nous dit souffrir d'une légère insomnie et confesse lire tous les soirs quelques lambeaux des œuvres narcotiques du chevalier de Mouhy moyennant quoi elle dort comme une marmotte.
De toute sa production seul surnagerait La Mouche, ou les Aventures et espiègleries facétieuses de Bigand publié en 1736. La même année, encore une fois à cours d'argent, il tape Voltaire qui finit par en faire son correspondant littéraire, tache qui consiste essentiellement à rapporter des ragots, et son chef de claque. Au cours d'un épisode peu glorieux de la vie de l'auteur de Candide, le chevalier de Mouhy endossera la paternité du Préservatif,ou critique des Observations sur les écrits modernes moyennant dédommagements. Après avoir tâté de la Bastille, il se fera indicateur de police. En 1758, il entre au service du maréchal duc de Belle-Isle alors ministre de la guerre. Son activité principale consiste à fournir au duc des jeunes filles ; ce qui nous vaut cette anecdote rapportée dans la Correspondance de Grimm.
« Ah ! monsieur le maréchal, l'heureuse découverte que je viens de faire ! Seize ans, belle comme le jour, l'innocence même ; et ce n'est rien que tout cela ; elle possède une qualité bien supérieure encore - Eh ! qu'est ce donc ? - le bonheur le plus rare ; oui, monsieur le maréchal ; elle est sourde et muette ; le secret de l’État est en sureté ».
Le chevalier de Mouhy meurt en 1784, à l'âge de quatre-vingt- trois ans.