Relu les premières pages des Anneaux de Saturne de Sebald : Dans un grain de sable pris dans l'ourlet d'un costume d'hiver d'Emma Bovary, dit Janine, Flaubert a vu le Sahara tout entier, et la moindre poussière pesait autant à ses yeux que la chaine de l'Atlas.
Au cours d'une précédente lecture le passage a été souligné et on peut lire dans la marge, mise entre parenthèses, la mention "à rechercher".
Je n'ai jamais effectué cette recherche aussi décidai-je d'y consacrer un moment. De fait je n'ai retrouvé ni dans Madame Bovary ni dans la correspondance (il s'agissait de rechercher les occurrences de "sable", "grain", "ourlet", "Sahara", "poussière" dans les textes disponibles sur la toile) l'image décrite par l'amie de Sebald. Mais qu'importe, les grands livres se nourrissent des lectures qui en ont été faites.
Mais il est vrai que le sable joue un rôle important dans Madame Bovary.
Emma a rencontré Rodolphe, le regardant elle est prise de mollesse, elle songe à son premier bal, à son aventure avec Léon, à l'épisode de l'Hirondelle...et cependant elle sentait toujours la tête de Rodolphe à côté d’elle. La douceur de cette sensation pénétrait ainsi ses désirs d’autrefois, et comme des grains de sable sous un coup de vent, ils tourbillonnaient dans la bouffée subtile du parfum qui se répandait sur son âme.
Présence et évanescence des souvenirs, du désir.
Fort subtilement le sable se trouve alors associé à Rodophe dont on sait qu'il s'avérera un salaud : Pendant tout l’hiver, trois ou quatre fois la semaine, à la nuit noire, il arrivait dans le jardin. Emma, tout exprès, avait retiré la clef de la barrière, que Charles crut perdue. Pour l’avertir, Rodolphe jetait contre les persiennes une poignée de sable. Elle se levait en sursaut.
On note encore la trace du sable dans la dernière partie du roman. Emma a revu Léon et les amants ont rendez-vous à Rouen : Elle s’engouffrait dans les ruelles sombres, et elle arrivait tout en sueur vers le bas de la rue Nationale, près de la fontaine qui est là. C’est le quartier du théâtre, des estaminets et des filles. Souvent une charrette passait près d’elle, portant quelque décor qui tremblait. Des garçons en tablier versaient du sable sur les dalles, entre des arbustes verts.
Ce seront là les dernières amours d'Emma.
En 1851, six ans avant Madame Bovary, Flaubert écrit à sa mère : Tel est le commun des âmes. La banalité de la vie est à faire vomir de tristesse, quand on la considère de près. Les serments, les larmes, les désespoirs, tout cela coule comme une poignée de sable dans la main. Attendez, serrez un peu, il n’y aura tout à l’heure plus rien du tout.
Et c'est ainsi Flaubert et Sebald sont grands.