Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

lundi 31 octobre 2016

Rien ne s'est passé.



Sur la baie, nouvelle d'une cinquantaine de pages de Katherine Mansfield extraite du recueil La Garden Party. Chef d'oeuvre absolu.

L'art de K. Mansfield fait penser à la description faite par Elie Metchnikoff de la fécondation des vanilliers : « A un moment donné, on introduit une petite pointe en bambou ou simplement une dent de peigne dans l'intérieur des fleurs du vanillier et on féconde en peu de temps une quantité de fleurs qui acquièrent la faculté de produire des gousses parfaites ». Il ne s'agit pas pour l'auteur de produire une histoire - car la vie refuse de se laisser enfermer – mais de courtes séquences (des gousses parfaites) où la vie justement éclot et meurt. Et l'on sent qu'écrire sur l'art de K. Mansfield, c'est déjà vouloir le figer.
Comment décrire le monde alors que nous sommes nous mêmes soumis au temps ? : « Si seulement on avait le loisir de regarder assez longtemps ces fleurs, le temps de laisser passer le sentiment de leur nouveauté, de leur étrangeté, le temps de les connaître ! Mais dès qu’on s’arrêtait à séparer les pétales, à découvrir le revers de la feuille, la Vie s’en venait et vous emportait ». A cette question Mansfield répond par l'attention portée aux êtres et aux choses, répond par ce qu'il faut appeler la générosité : « Alors, pourquoi donc fleurir ? Qui prend la peine – ou le plaisir – de faire toutes ces choses qui se perdent, se perdent ?... C’est de la prodigalité ». L'art de K. Mansfield est fait à la fois de retenue et de prodigalité. Ce qui n'exclut pas non plus des pointes de cruauté : « Et elle plongea la théière dans le baquet et la maintint sous l’eau, même après que les bulles eurent cessé de s’échapper, comme si elle était, elle aussi, un homme et que la noyade fût un sort trop doux ».
Point d'histoire donc, une simple journée d'une famille dont la maison est située sur une baie. Et le temps qui passe. Que faire ? Se laisser couler dans les flots ? : «À cet instant une vague immense souleva Jonathan, le dépassa au galop et vint se briser le long de la plage avec un bruit joyeux. Qu’elle était belle ! Puis une autre arriva.Voilà comment il fallait vivre! avec insouciance, avec témérité, en se donnant tout entier (...) Prendre facilement les choses, ne pas batailler contre le flot et le jusant de la vie, mais s’abandonner à eux, voilà ce dont on avait besoin. Vivre, vivre ! »Pourquoi pas ? Mais au sortir de l'eau, « Jonathan devenait bleu de froid. Tout son corps lui faisait mal, c’était comme si quelqu’un l’avait tordu pour en exprimer le sang. Et remontant la grève à longues enjambées frissonnant, tous ses muscles tendus, il sentit, lui aussi, que le plaisir de son bain était gâté. Il y était resté trop longtemps ». Dans l'une des séquences la plus émouvante de la nouvelle – elle en compte 12 – la jeune Kézia prend conscience du caractère mortel de sa grand-mère. Elle la supplie de ne pas mourir. S'ensuit un long dialogue : ''« – Dis jamais, dis jamais, dis jamais, gazouillait Kézia, tandis qu’elles reposaient là, riant dans les bras l’une de l’autre. –Allons, c’est assez, mon écureuil ! C’est assez, mon petit cheval sauvage ! dit la vieille madame Fairfield, redressant son bonnet. Ramasse mon tricot. Elles avaient oublié toutes deux à quoi se rapportait ce jamais »''. Nous baignons dans le temps et par là-même oublions. Garder la trace de ce qui disparaît, de ce que nous oublions, tel est l'art de K. Mansfield. D'elle V. Woolf écrivit qu'elle avait la vibration.
La nouvelle se termine par une description de quelques lignes : « Un petit nuage serein flottait devant la lune. En cet instant de ténèbres, le bruit de la mer résonna, profond et troublé. Puis le nuage s’en fut voguer au loin et le bruit de la mer devint un vague murmure, comme si elle se réveillait d’un sombre rêve. Tout fut tranquille ». Rien ne s'est passé. Ou si peu. Mais ce si peu qui fait toute la grandeur de K. Mansfield puisqu'il est la vie même.
Katherine Mansfield est morte à l'âge de 34 ans de la tuberculose.

samedi 29 octobre 2016

En Tunisie : El Alfa-Houin

Le 21 Mars 1895, le quotidien Gil Blas informe ses lecteurs que son collaborateur Maurice Beaubourg part le soir même pour la Tunisie et l'Algérie. Beaubourg s'est fait un nom dès 1890 avec les Les Contes pour les assassins préfacé par Maurice Barrès. La publication des Nouvelles Passionnées (1893) et la représentation de L'image en 1894 l'ont installé dans les milieux symbolistes. Maurice Beaubourg avait donné en 1893 au même quotidien sous forme de feuilleton son exquise nouvelle Une saison au bois de Boulogne où à la manière des Liaisons dangeureuses, l'auteur narre les aventures d'une bande de souteneurs et de leurs filles partis se mettre au vert dans le bois parisien.
La maison se propose de donner les articles écrits par Maurice Beaubourg et publiés par Gil Blas dans le cadre de son séjour en Afrique du Nord (à notre connaissance, cette série n'a jamais été publiée en volume).

A Tunis, pendant les dernières nuits du Ramadan, au quartier arabe de Bab-Souika, toute l'étroite rue d'Alfa-Houin flamboie. Le soir, trois coups de canon ont résonné, délivrant les fidèles du jeûne sévère du jour. Et les voilà tous maintenant qui vont vers les petites boutiques illuminées, parmi les lanternes multicolores des marchands d'oranges, de dattes, de piments, de nougats, de sucreries, de fritures, tandis qu'au-dessus d'eux les minarets étincelants des mosquées de Sidi Mah'rez et de Sahab et Tabadji fleurissent leurs girandoles dans les étoiles.
Durant les sept derniers soirs de ce jeûne de Ramadan, c'est ainsi fête à l'étroit faubourg d'Alfa-Houin. A travers les portes ouvertes, derrière les rideaux flottants qui dissimulent les spectacles, nasillent et crient les flûtes monotones, scandées du bruit des tam-tams, des tambourins et des karakols ou crécelles en fer des nègres. Un charivari monte et descend cette rue de flammes vives, dégénère en vertige, se tord en ondulations spasmatiques, délirantes. Les costumes bariolés moutonnent, les voix s'appellent en cris gutturaux, sauvages. Des yeux vifs et hardis regardent, des bouches gaies montrent des dents blanches. Les peuples du désert et des villes s'y coudoient, noirs d'ébène et blond pâle, en cette tour de Babel nouvelle : Soudan, Tripolitaine, Berbérie, Kabylie, Maroc, Algérie, Abyssinie, Égypte, Turcs et Espagnols, Maltais et Siciliens, touristes anglais à baedeckers et officiers de zouaves. Et voici que, dans cet étourdissant bariolage d'hommes de toutes couleurs et dialectes, deux ou trois ombres de femmes , des Mauresques couvertes du haïck et du voile, se glissent furtives le long des maisons, où elles s'évanouissent comme des fantômes vagues.
On va d'une boutique à l'autre. De petits Arabes aux mines curieuses, éveillées, aux regards jolis, tout de jais noir, s'écrasent chez un montreur de marionnettes. Ils battent des mains, poussent des cris, trépignent quand l'une d'elles se disloque successivement en ses parties : bras, jambes, tête, corps, devenues autant de nonnes frêles, tournant la ronde.
De jeunes Orientaux, aux gerbes de fleurs passées aux oreilles ou sous leurs chechias, sont accroupis près de belles fatmas juives, roses, bleues, vert tendre, saumon, qui dansent deux par deux d'un mouvement harmonieux, lascif, se tenant, se quittant, s'enlaçant, se fuyant, se rappelant, faisant sauter avec des rires de tout leur corps les singulières breloques à glands et a franges pailletées qui leur bossellent le ventre.
Dans la rue, des mains vous tirent les vêtements, des voix crient : « Karaguouz ! Karaguouz ! Entrez ! »
On entre. Un long couloir aux banquettes couvertes de tresses. Au fond, un verre dépoli formant scène, éclairé derrière d'une seule bougie en plein milieu. Près de cette scène, des enfants, plus jolis encore, plus fins que ceux des marionnettes, attentifs à ce qui va se passer. Soudain, une ombre chinoise descend du haut du verre, et le phénoménal Karaguouz apparaît.
— « Hi !.. Hi !... » font les purs petits Arabes,tordus d'un rire fou devant l'obscène bonhomme.
Mais voici Karaguouz, lui-même, qui parle :
« Je me marie. Je vais envoyer ma femme au bain... Ah ! patron du bain, tu causes a l'oreille de ma femme ? Qu'êtes-vous donc l'un a l'autre ?... Ah ! Ça !... vous seriez-vous... moqués de moi avant la noce ?... Attends, que je me venge furieusement sur toi, patron du bain !... quel est ce soldat maintenant ?... Janissaire !... janissaire. Un Juif encore par dessus le marché!... C'est le comble !... Chien de Juif, tu paieras pour les autres, et avec quelle batte tu vas l'apprendre !...»
Corps-à-corps inouï entre Karaguouz et le Juif, mouvement frénétique, saccadé, coup de crachat final intraduisible. Les assistants exhilarent ; les purs petits Arabes, maintenant tout près, tout près, caressent de leurs regards d'innocence immaculée, de candeur les deux immondes pantins pâmés, tombés au bord du verre.
Et c'est de nouvelles danses, danses d'identiques idoles, parées comme des châsses, aux vestes et aux seraouels flambants de soies et d'ors. Danses enragées d'Aïssaouas a longs burnous, a capuchons dressés sur la tête, en bonnet d’évêque, se tortillant ridiculement, désespérément des hanches, se renversant, cataleptiques, en arrière. Danses mystérieuses, perverses et comme sacrées de jeunes garçons du Fezzan. Ils bougent a peine. Leurs yeux vivent. On dirait qu'ils dansent avec leurs yeux. Et des chameaux, des chevaux dansent a leur tour, faux chameaux prodigieux, faux chevaux de fantasias, ruant, mordant, galopant, caracolant, a la plus grande joie des spectateurs, en des cavaliers seuls éperdus.
On sert d'âpres citronnades, limonades, orangeades, cafés aux épaisseurs de sirop, drogs ou purées de gingembre et de graisse, sucrés de sucre en poudre, emporteurs de bouche.
De temps a autre, une voiture aux rideaux rouges, baissés et flottants, fend lentement la foule. On aperçoit des formes rondes, trop grasses, de Juives, bonnets pointus, yeux luisants, voiles qui s'envolent.
Peu à peu, la nuit s'avance. Le tapage infernal des boutiques persiste ; la foule décroît, les promeneurs deviennent plus rares. Au bas de Bab-Souika, près de la rue de la Tolérance (!), des négresses, à travers les fentes lumineuses de portes, font des signes. Des Arabes drapés parlementent avec elles. Ils se disputent. Cris stridents, furieux, insultes, batailles. Les négresses referment les portes, brutalement, telles des gifles sur des désirs.
C'est la dernière nuit de Ramadan que se clôt la fête nocturne, particulièrement bizarre, exaspérée et obscène d'Alfa-Houin. Le lendemain, c'est l'Aïd, la Pâques, fête de jour, de tranquillité, de douceur.
Dès le lever du soleil, de tous les coins de Tunis et des environs, de gaies salves de coups de canon partent. Une vraie débauche de coups de canon dans le soleil. Les Arabes, en souliers neufs, s'embrassent de même que l'on s'embrasse au jour de l'an chez nous. D'autres se serrent la main, ramènent leurs doigts à leurs bouches, faisant le simulacre de les baiser. C'est surtout la fête des enfants. Les voilà seuls, sans parents, abandonnés à eux-mêmes dans leurs superbes vêtements, burnous éclatants, gandouras de couleurs tendres, chechias a longs glands, vestes brodées d'or, culottes bouffantes, les voila qui courent la ville en liberté, fous de joie, fiers de commander, de payer, ivres de vivre. Ils montent deux, trois ensemble, sans selle, sans étriers, sur un cheval qu'ils lancent au triple galop, fouettent a tour de bras les petits ânes tunisiens qui les portent, s'entassent en des charrettes où ils chantent en chœur, balancent leurs tètes jolies, sourient du sourire des bienheureux. De vraies charrettes de fleurs vivantes, ces charrettes d'enfants arabes que l'on rencontre le jour de l'Aïd. « Barra ! — Fissa ! — Baiek ! » Roulez, charrettes d'enfants fleurs ; trottez, bourricots, mules et chevaux ! En route encore pour la fête d'Alfa-Houin !
Dans ce jour de douceur, où les enfants crient au ciel leur joie, j'ai vu un autre enfant, plus grand, dans une rue solitaire, tenir entre ses bras une frêle, très frêle jeune fille qu'il embrassait. Et, comme je m'approchais sans que ni l'un ni l'autre m'eussent entendu venir, je me suis aperçu que c'était à un masque sombre, à un masque impénétrable que l'enfant disait son amour, au terrible masque de la Mort Noire, sous lequel filles et femmes de Tunis ensevelissent leurs yeux d'ardeur, leur secrète et captivante beauté.

Maurice Beaubourg in Gil Blas, 7 Avril 1895.

mercredi 26 octobre 2016

Jean de Tinan


Le 18 novembre 1898 meurt Jean de Tinan, il a 24 ans.
Un court hommage lui est rendu dans le numéro de décembre du Mercure de France, revue dont il fut le collaborateur : Jean de Tinan était un ironiste et un sentimental. Dans ce qu'il nous laisse, il y a des pages exquises, et d'un mélancolique qui semble se railler soi-même.
De novembre 1897 à novembre 1898, Tinan donnera au Mercure des chronique consacrées à la vie nocturne parisienne sous le titre « Cirques, cabarets, concerts ». Il y fait preuve d'humour et de désinvolture. Ainsi dans le numéro de juillet 1898 commence-t-il son texte ainsi : Il fait tant d'orage cet après-midi que je n'ai aucune "personnalité"... c'est pas la peine que j'essaye - et puis je suis à la Taverne du Panthéon où "l'école de Toulouse fait un bruit !" ("Ils n'ont pas besoin de faire des Manifestations ceux-là !") - Il n'y a pas moyen d'avoir de la personnalité, vraiment pas moyen - et puis nous nous sommes perdus à Passy cette nuit... nous avons pris la rue Cortambert dans le mauvais sens... alors nous ne nous sommes pas couchés, et ça n'est plus de mon âge...
Donc en cette fin d'année 1898, Jean de Tinan est une fois de plus malade. Il a entamé une liaison avec Marie de Régnier, l'épouse d'Henri de Régnier et la maitresse de Pierre Louÿs qui vient de la délaisser. Marie apprend qu'elle attend un enfant de Louÿs, elle quitte alors Tinan. Il ne s'en remettra pas.
En novembre 1898, peu avant sa mort, parait sa dernière chronique dans le Mercure de France. Elle se conclut sur ces mots : Mademoiselle Aimée Aymard est charmante...(Eldorado). Elle a raison.

lundi 24 octobre 2016

Marcel Schwob.


L'art est à l'opposé des idées générales, ne décrit que l'individuel, ne désire que l'unique. Il ne classe pas ; il déclasse.

Marcel Schwob est né le 25 Août 1867. Il descend d'une lignée de rabbins et de médecins. A 11 ans, il publie dans le périodique dirigé par son père une critique du Capitaine de quinze ans de Jules Verne.
Il avait le visage rond, le crane chauve par détestation des cheveux.
Il savait tout, avait tout lu, avait – comme le précise Edmond de Goncourt – cette curiosité « des coins d'humanité excentriques, mystérieux, criminels ». Il rencontra une jeune prostituée dont il s'éprit, « une petite fille » morte à 25 ans. Il éprouva alors le besoin et la nécessité de la faire revivre.
Il écrivit une Étude sur l'argot français. Quelques années après, il publia Vies imaginaires, le livre sans lequel Borges n'aurait pas été Borges. Il aimait Poe, Shakespeare et Stevenson.
Malade, il partit vers les îles Samoa à la recherche de la tombe de l'auteur du Maître de Ballantrae. Il ne la trouva jamais.
Il ne vécu que pour les livres, que par les livres et semblait disait-on sortir de l'un de ses contes.
Il se maria à la comédienne Marguerite Moréno qu'il aima d'un amour fou, avait pour domestique un chinois - Ting - possédait deux petits chiens - Flossie et Flip - et un singe dont je n'ai pas retrouvé le nom.
Il meurt le 26 Février 1905. Ses amis se souviennent de sa conversation et de sa voix. Colette évoquera « le débit modéré et merveilleusement menaçant » de Marcel Schwob.
Le 27 Février, Paul Léautaud écrit : « J'entre, et là, je vois Schwob étendu, la tête seule découverte, la figure très jaunie, la bouche un peu plissée, un peu de barbe commencée à pousser au menton, les yeux encore ouverts, ternes et figés. Maurice Schwob nous dit qu'il n'y a pas eu moyen de les fermer. »

mercredi 19 octobre 2016

Un drame vécu



...« On a su que, pour interpréter le rôle du criminel dans le prochain drame de l'Adelphi Theater, vous vous étiez fait, à s'y méprendre, la tête et la physionomie de Gurn, le meurtrier de Lord Beltham. On vous attend ainsi ce soir à minuit quarante-cinq, 27, Wavertree Road. Dissimulez-vous, mais venez, on vous aime, on vous veut ! »
C'était, en toutes lettres, signé : Lady Beltham ! Le populaire acteur Robert Roberts, entre les mains duquel se trouvait ce billet, ne pouvait en croire ses yeux.
Certes, il était accoutumé aux déclarations d'amour. Les rendez-vous offerts étaient fréquents. Au demeurant, il en acceptait un bon nombre, s'y rendant d'ailleurs, en profitant et n'y attachant pas autrement d'importance.
- « Ce sont, estimait-il, de petits avantages normaux dans la profession d'acteur. »
Mais l'invitation de Lady Beltham !!

***

Pendant près... de deux ans dans la haute société pudibonde et fermée de Liverpool, on chuchotait les détails d'un scandale qui ne pouvait manquer d'éclater.
L'épouse merveilleusement belle de Lord Beltham entretenait avec un certain Gurn, ancien mécanicien de la marine, exerçant la profession de courtier en navires, des relations dont l'intimité ne faisait de doute pour personne.
Un jour - il y avait de cela six mois à peine - le secret des amants s'étant découvert, une orageuse explication avait éclaté entre le coupable et le mari trompé, à l'issue de laquelle Gurn, d'un coup de revolver avait tué raide Lord Beltham.
Le procès du meurtrier fit sensation aux Assises et, malgré les efforts des avocats qui tentèrent d'invoquer l'excuse du cri-me passionnel, Gurn fut condamné à la pendaison.
Grand tragédien et interprète habituel des rôles de criminels et de malfaiteurs, Robert Roberts, qui assidûment avait suivi les débats de l'affaire, s'était laissé tenter par l'idée de copier, à sa prochaine création, l'allure et la physionomie de l'accusé, au type très caractéristique d'ailleurs.
Eu égard à la notoriété momentanée du personnage, vu son « actualité », ce devait être, estimait Robert Roberts, un élément de plus de succès. L'imitation était d'ailleurs facilitée par une similitude de silhouette entre les deux hommes. Même taille, même corpulence, tous deux environ trente-cinq ans.
Au bout de six semaines, Robert Roberts eut la barbe rousse taillée en pointe, de Gurn, ses moustaches hérissées et, à force de contempler à l'audience le meurtrier de Lord Beltham, Robert Roberts acquit ses gestes, ses intonations, jusqu'à ses tics nerveux. Ce serait, à la scène, stupéfiant ! Oui, comme le disait le billet de Lady Beltham, il ressemblait désormais « à s'y méprendre », à Gurn
Grâce à de très puissantes protections, Lady Beltham ne parut point officiellement au procès, mais Robert Roberts l'avait maintes fois reconnue sous le voile épais d'une dame en noir, dont le visage admirablement beau dans ses contractions angoissées, ne possédait d'yeux que pour l'accusé.
Un corps admirable, une âme bouleversée, l' héroïne d'un drame atrocement vécu, dans un élan de désir malsain prometteur d'ivresses insoupçonnables, appelaient aujourd'hui à leur secours l'image réelle et vivante de celui qui allait mourir...
Car ce ne fut pas sans un certain frémissement qui lui courut par les moelles que Robert Roberts s'aperçut que le rendez-vous coïncidait avec la date fixée par le juge, après lecture de la condamnation à mort, pour l'exécution, conformément à l'horrible usage anglais.
L'émotion on Robert Roberts s'accrut lorsque, après avoir consulté le plan de Liverpool, il vit que Wavertree Road était l'une des rues longeant les murs de la maison de force où Gurn était incarcéré.
Alors ?... A l'aube naissante, par l'entre-bâillement du rideau, elle et lui verraient s'élever lentement, sur le toit de la prison, le sinistre drapeau noir destiné à informer la population que l'assassin n'est plus qu'un mort !
Quelle nuit en perspective ! Quelles sensations ! Jamais Robert Roberts ne retrouverait cela... Son parti fut pris. Il irait au rendez-vous.

***

L'obscurité était profonde lorsque Robert Roberts régla le cab que, par prudence, il avait fait arrêter à un demi-mille environ de Wavertree Road.
Le véhicule rebroussa chemin à toute allure et l'acteur se trouva seul dans le pauvre quartier de misère et de vice où l'amenait son rendez-vous. Malgré le brouillard épais, il remarqua confusément que le trottoir boueux longeait de mystérieux terrains vagues dans lesquels miaulaient des chats en mal d'amour. Les rares lueurs des becs de gaz éloignés se cernaient de halos, telles de minuscules lunes embrumées. D'énormes rats d'eau surgissaient parfois des bouches d'égout, ou s'y précipitaient dans l'affolement d'une fuite où l'ardeur d'une chasse...
Wavertree Road...., 27...
C'était là. La porte entre-bâillée.
Le cœur battant comme un soir de première, Robert Roberts entra.
Au long couloir étroit qu'éclairait une veilleuse et au bout duquel s'amorçaient les premières marches de l'escalier, l'acteur reconnut qu'il était dans une de ces maisons ouvrières comme il en existe cent, et mille en Angleterre, toutes identiquement bâties sur le même modèle.
Personne.
Roberts monta lentement au premier étage. A la vérité, l'aventure commençait à l'impressionner. Ce quartier, ce mystère, ce voisinage de la prison, cette « date »...
Brusquement, comme il achevait de gravir l'escalier, dans la pénombre, une forme humaine se dressant, lui jeta à la face l'éclat éblouissant, tel un feu de rampe, d'une lanterne à réflecteur.
Une voix étouffée balbutia; tremblante :
- « Lui!.. c'est lui ! »
Ce devait être vrai ; plus vrai que d'ordinaire. Robert Roberts, surpris, troublé, le regard dur, le visage contracté, sentit qu'il devait, à ce moment précis, être tout à fait l'autre, notamment pendant la lecture de la sentence qui le rayait du monde.
- « Venez », reprit la voix.
Robert Roberts obéit.
Ils étaient désormais tous deux face à face: Lady Beltham, étrangement belle, moulée dans une robe noire au col montant jusque sous le lourd chignon dont le sommet auréolait d'or son visage admirable.
Lady Beltham était en proie à une émotion violente. Ses regards, tour à tour, traduisaient l'épouvante et un attendrissement infini. Ses mains diaphanes allaient, agitées, vers l'acteur comme dans un élan de tendresse, puis reculaient, crispées, raidies d'effroi.
- « Madame. », murmura Robert Roberts, en se penchant vers Lady Beltham.
Il s'enhardissait, encouragé par un silence.
- « Oh! non, non! supplia-t-elle, pas cela!. » Puis, dans un délire fou :
- « Fuyez.. , fuyez ! C'est trop horrible. Fuyez., mais fuyez donc aussi ! finit-elle par crier.
Comme elle s'approchait, haletante, à le toucher, Robert Roberts l'étreignit, mais Lady Beltham eut un recul brutal.
On entendait des bruits... Tandis que Robert Roberts prêtait l'oreille, la jeune femme, défaillante, tomba à genoux.
Des pas lourds gravissaient avec précaution l'escalier. Quelqu'un appela, à voix basse :
- « Allons, il est temps ! »
L'acteur, angoissé, se retourna. Dans l'ombre, deux silhouettes d'hommes se dissimulaient. Il revint vers Lady Beltham et, l'arrachant du sol par le poignet :
- « Que se passe-t-il, Madame ; quelle est cette plaisanterie ? »
Lady Beltham, anéantie, se laissait aller :
- « Grâce, murmura-t-elle, pardon... trop tard ! » %% Les hommes intervinrent, autoritairement cette fois : - « Allons, Gurn, il est temps ! »
Et l'un d'eux, à l'oreille de Roberts, ajouta :
- « Jurez encore de ne pas dire que nous vous avons conduit ici ce soir, et le bourreau, qui me l'a promis, fera vite, très, très vite ! »
- « Mais., mais, nom de Dieu! je ne suis pas Gurn !!! », hurla, dans un soubresaut d'épouvante, Robert Roberts, car l'atroce machination venait de se révéler soudain à son esprit.
- « Ce n'est pas moi, c'est l'autre..., l'autre est en prison... ou alors elle l'a fait évader ; regardez-moi, reconnaissez. »
Par hasard, il se vit dans une glace, pâli, défait, les yeux fous, la lèvre tordue. Si, il était bien Gurn, plus que jamais, comme jamais il ne lui avait ressemblé.
Alors Robert Roberts perdit toute volonté, toute force. Hypnotisé, abasourdi, il s'effondra entre les hommes qui le soutinrent. Et, comme il chancelait en descendant l'escalier, les voix apeurées des gardes-chiourmes bourdonnaient à ses oreilles :
- « Surtout, ne dites rien de ce que nous avons fait..., même au pasteur..., cela ne vous servirait pas et on ne le croirait aucunement. »
- « Le bourreau l'a promis, vous ne souffrirez point. Courage !.. Il est déjà deux heures et demie... Tout est prêt... A trois heures un quart, ce sera fini!.. »

Pierre SOUVESTRE in Comoedia, 8 Octobre 1907.

Une enquête littéraire


Au cours de l'été 34, Comœdia publie, sous la direction de Pierre Lagarde, une enquête littéraire intitulée : Des faux chefs-d'œuvre célèbres aux vrais chefs-d'œuvre méconnus.
Un questionnaire fut envoyé à diverses personnalités du monde des lettres (la plupart étant elles-même tombées dans les gouffres de l'oubli)

Un des signes de notre temps - et une des causes de notre inquiétude - est sans doute le bouleversement des valeurs. On place très haut des œuvres et des hommes qui ne méritent pas cet honneur. En revanche, on méconnaît souvent tel livre ou tel individu qui mériterait d'être célèbre. Ceci, aussi bien pour le passé que pour le présent. Aussi avons-nous posé à un certain nombre d'écrivains les deux questions suivantes :
Donnez-nous le titre d'un faux chef-d'œuvre (livre ou pièce de théâtre) d'hier ou d'aujourd'hui. Dites pourquoi vous estimez que c'est là un faux chef-d'œuvre.
Donnez-nous le titre d'un livre ou d'une pièce de théâtre qui, selon vous, mériterait d'être appelé chef-d’œuvre, et qui n'en a pas la réputation.

Nous avons selectionné quelques unes des réponses.

A tout seigneur tout honneur : Paul Valery.



La réponse d'un occitan : Joseph Delteil.



Deux femmes de lettres : Marguerite Yourcenar et Rachilde.



Et pour finir, la réponse la plus drôle et la plus honnête : Paul Reboux.

vendredi 14 octobre 2016

Univers privé.


Le Salon de musique de Satyajit Ray

J'aime le brusque plongeon dans une vie inconnue qu'est la phrase entendue au vol. Ce matin sur un trottoir de Neuilly, devant le lycée Pasteur, (les feuilles sèches, autour de moi, brunes et craquantes, glissaient sur l'asphalte comme des patineurs), j'ai dépassé un vieux couple. La femme courbée, maigre et jaune ; le mari, très droit, barbe blanche, tenait sa canne derrière son dos. « Tu critiques tout, disait-il avec tristesse, tu critiques tout, tu n'aimes personne et tout cela parce que tu es vieille et laide. » Quel thème de roman pour Flaubert, pensai-je, ou peut-être de digression pour Proust. Vision du monde de la femme vieillissante, vision qui se transforme non parce que les êtres et les choses ont changé, mais parce que le visage se ride, parce que le corps se recroqueville comme ces feuilles mortes.
« Il est vain de discuter avec Carlyle, pensais-je en m'éloignant de ces vieillards, il est vain de discuter avec Carlyle parce que ce serait discuter avec la digestion de Carlyle. » Où avais-je lu cela la veille ? Ah ! oui ! Dans un essai sur Pascal, d'Aldous Huxley. Il y pariait de ces visions du monde individuelles, impénétrables les unes aux autres, que les hommes prennent pour les vérités et qui ne sont que des projections de leurs propres états. « Parlez pour vous », disait Huxley à Pascal. Comme Valéry lui disait jadis : « Le silence éternel de ces espaces infinis ne m'effraie pas. » Philosophie de malade. disait Huxley L'ascète fiévreux ne pouvait comprendre la sensualité et le bonheur. Faisant de nécessité vertu, il ornait sa faiblesse de pieuses épithètes. « Une douleur de tête comme insupportable, une chaleur d'entrailles et beaucoup d'autres maux » rendaient pour lui extrêmement difficile, sinon impossible, d'être un païen. Le corps malade de Pascal, disait Huxley, était « naturaliter christianum ». Et non seulement (continuait Huxley) il acceptait la maladie pour lui-même, mais il essayait de l'imposer aux autres. Il voulait faire accepter par les hommes une métaphysique, une psychologie qui supposaient la dyspepsie, le marque de sommeil, la chaleur d'entrailles et la chaleur de tête. Mais ceux d'entre nous qui ont le bonheur d'être affranchis de tels maux, disait Huxley, refusent de croire à la métaphysique neurasthénique de Pascal, comme ils refusent d'adopter la philosophie asthmatique d'un autre malade de génie, Marcel Proust.
Huxley n'a pas tort, pensais-je, (les enfants sortaient du lycée ; chaque mère retrouvait les siens. La force du vent augmentait. Les feuilles ne glissaient plus mais s' élevaient en masse en tournant comme un vol de corbeaux). Huxley n'a pas tort, mais on voit assez ce que répondrait un moderne Pascal, on voit assez ce que répondrait Charles Du Bos. « Parlez pour vous, dirait à son tour Charles Du Bos à Huxley, (et de sa fenêtre on verrait les bassins de Versailles et les dieux de bronze et au mur ce beau portrait de Keats), parlez pour vous. Rien ne me satisfait moins que cette philosophie d'humaniste bien portant et sensuel, cet univers de physicien hédoniste, de dionysiaque scientifique. - Mais je parle pour moi, dirait Huxley, pour moi et tous ceux qui me ressemblent. C'est toute ma thèse. Je suis relativiste en morale, comme en métaphysique, comme en physique. » (Et Charles Du Bos allumerait sa pipe avec un peu de mépris).
Oui, pensais-je, ce serait une discussion intéressante, mais vaine, comme toute discussion, car le cosmos de Huxley et celui de Charlie sont impénétrables. Leibniz avait raison. Chacun de nous est une monade, éternellement fermée. Quelle était donc cette phrase qui m'avait tant frappé ?... « Et le cerveau de l'être le mieux aimé. » Je suivais un cours sur les premiers philosophes grecs. Sur les gradins les bancs étaient durs et étroits. J'étais étudiant. J'avais à côté de moi une jeune fille blonde qui remplissait alors mon univers. « Nous sommes seuls, disait l'homme dans sa chaire. Nous sommes seuls, éternellement seuls, nous ne savons rien, nous ne saurons jamais rien et le cerveau de l'être le mieux aimé nous demeure irrémédiablement fermé. » Je regardais ma voisine et imaginais sous ses cheveux cette petite paroi osseuse, dure et fragile, irrémédiablement fermée.
Univers privée disait Huxley (De petits morceaux de bois noir tombaient des arbres, restaient debout dans l'avenue, tremblaient ). Univers privés et sans moyen de communication entre eux Par exemple, ces rapports entre Tolstoï et Tourguénief. Tolstoï blâme, Tolstoï est un homme qui juge. Le soir où Tourguénief à lasnaïa Poliana, pour amuser les enfants, leur a montré comment on danse le cancan à Paris, Tolstoï note gravement dans son journal : « Tourguénief, cancan, triste. » Mais pour moi, spectateur, Tourguénief n'est ni moins grand, ni moins profond que Tolstoï. C'est un homme faible. Il montre lui-même ses pouces en disant : « Que peut vouloir un homme qui a de tels pouces ? » Comment son univers n'eût-il pas été différent de celui de Tolstoï, être fort, brutal, passionné? Ou de celui de Dostoiewski ? Ou de celui de Zola ?
Dans presque tous les cas on peut reconstituer la formation du cosmos individuel. II y a l'éducation. Je lis que Ramakrishna, dans ses extases, voyait la déesse Kâlî. C'est un monde où je sais que je ne puis entrer Quoi qu'il m'arrive, et même si je deviens fou, je sais que je ne verrai pas la déesse Kâlî. Mais faites-moi naître dans un autre pays et remplissez mon cerveau d'enfant d'autres images, qui sait ce que fût devenue ma vision du monde ? Byron trouve dans l'Univers les signes de l'action volontaire d'un destin cruel, hostile à l'homme. Je vois, moi, un univers puissant, impitoyable mais indifférent aux individus. Qui à raison ? Byron avait été élevé par des calvinistes Une infirmité, une suite d'événements malheureux, des voyages en Orient avaient formé son fatalisme. La philosophie optimiste de Meredith est celle d'un bon marcheur. Le sentimentalisme d'Amiel était physiologique. L'équilibre de George Sand...
Il commençait à pleuvoir. Un groupe me dépassa. C'étaient trois jeunes filles, ouvrières sans doute, peut-être blanchisseuses. L'une d'elles portait un grand panier de paille blanche et parlait avec une évidente passion qui la rendait éloquente. « Eh bien, disait-elle, puisque vous me poussez à bout, tant pis, je vais vous dire toute la vérité : j'avais envie d'une robe de velours ». Plongeon dans un nouvel univers privé. « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie » disait l'ascète malade. « Je vais vous dire toute la vérité : j'avais envie d' une robe de velours », disait cette blanchisseuse. Quand elle sera vieille et laide, elle trouvera le monde mauvais et un vieillard lui dira : « Tu n'aimes personne. » Non seulement le cosmos est individuel, mais il se transforme avec l'âge. Qui pensa jamais comme MarcAurèle à vingt ans ? Quand les passions s'apaisent par l'usure du corps, la philosophie devient plus sereine. Le même homme, malade ou mourant, rejette sa vérité d'homme bien portant. En une seule journée l'homme normal change dix fois de philosophie. L'athée a ses minutes de mysticisme. « Le plus religieux des hommes, disais-je à M.. qui est un catholique fervent, doute au moins une fois par jour. Une fois par jour ! dit-il. Cent fois par jour... Moi, dit-il, j'estime que l'homme qui croit pleinement à sa religion cinq minutes par jour est un grand croyant. » Mais la plupart des hommes n'avouent pas ces choses. Ils ont un patriotisme spirituel. Ils exercent une censure mentale sur eux mêmes. Ils ont, disait Huxley, le chauvinisme du mysticisme, le chauvinisme de l'agnosticisme. Et pourtant, pensais je, n'y a-t-il pas un univers commun qui contiendrait tous ces univers, une patrie des monades, une vérité communicable ? Car, pensais-je (j'arrivais devant chez moi) si je puis comprendre l'univers de Pascal et celui de Huxley, j'atteins à un univers synthétique qui paraît être d'une autre classe. Que la vérité soit relative, c'est une vérité absolue. Mais à ce moment ma clé fut dans la serrure et mon univers transformé.

André Maurois in Les Nouvelles littéraires, 14 Décembre 1929.

mardi 11 octobre 2016

Confiance en l'esprit français.


Un nationaliste est celui qui n'a pas présentement confiance en sa nation. Je n'entends parler ici que de nationalisme littéraire, mais la définition vaut peut-être aussi en politique. Oui, la différence fondamentale entre un nationaliste littéraire français et un antinationaliste, c'est que le premier tient l'esprit français pour le plus fragile, le plus-débile, le plus aisé à détruire ou à falsifier de tous les esprits nationaux, alors que l'autre le tient pour l'un des plus souples, des plus solides et des plus vastes qui soient. Il est rare que le problème soit mis ainsi en équation. Le nationaliste reproche à celui qui ne l'est point de vouloir remplacer l'esprit français par un esprit international, de vouloir attenter à la culture gréco-latine et chrétienne qui a donné les chefs-d'œuvre du XVIIe siècle, de vouloir enfin détruire la notion élastique de l'homme. Il l'accuse encore d'humanitarisme et déploie devant lui comme une bannière le beau mot d'humanisme. Ce ne sont depuis trente ans, et surtout depuis la fin de la guerre, que défenses de l'humanisme, défenses de l'Occident, défenses de l'esprit latin.
Et quels moyens de défense propose-t-on ? Les mêmes qu'en matière de douanes. Au libre-échange intellectuel qui fut l'honneur et la raison d'être des deux derniers siècles, on nous conseille de substituer le régime de la porte close et de ne plus laisser entrer en France que des produits étrangers fabriqués avec des matières spirituelles d'origine franco-gréco-latino-chrétienne, selon des méthodes dûment estampillées par l'esprit français. On consent aussi à ouvrir la porte à des ouvrages violemment négateurs, à condition qu'on puisse leur faire jouer le rôle des ilotes ivres devant la jeunesse Spartiate et qu'ils détournèrent du coup l'esprit français de toutes les « chimères » qui ne sont pas gréco-latino-chrétiennes.
La riposte habituelle de l'antinationalisme littéraire me paraît, je l'avoue, le plus souvent trop étroitement liée à des vues politiques. et à des vues politiques extrémistes. Cette réponse, on la connaît : c'est que le Français d'aujourd'hui doit se détacher de l'esprit latin, considéré comme expression du conservatisme bourgeois, et des humanités à base de grec et de latin considérées comme un enseignement de classe, comme une sérparation entre les classes. L'esprit français, dans ce qu'il a de traditionnel, serait désormais réduit à défendre les conceptions politiques les plus réactionnaires.
Il me semble qu'il y a là, de la part d'un certain antinationalisme, une erreur et une erreur d'autant plus lourde qu'elle vient de ce que cet antinationalisme accepte de poser le problème dans les termes mêmes où ses adversaires l'ont voulu et de ce qu'il se borne à dire noir lorsque les nationalistes disent blanc. Il n'est pas prouvé le moins du monde, en effet, que l'esprit français traditionnel, modelé par la Grèce et par Rome, soit asservi au nationalisme, au conservatisme le plus étroit et que, pour être « avancé », il faille le répudier.
Reprenons le beau mot d'humanisme, revenons à cette fameuse « notion classique de l'homme », et examinons les choses d'un peu plus près. La grande tâche que l'esprit latin (italien, français, espagnol) a menée à bien à travers le moyen âge, la Renaissance et l'époque classique, quelle a-t-elle été ? De fondre l'apport oriental, asiatique (mais oui, oriental et asiatique), du christianisme et la civilisation gréco-latine en décadence. C'est l'esprit chrétien, venu d'Orient, qui, après des siècles obscurs, a redonné un lustre nouveau, une vie nouvelle à la civilisation gréco-latine morte d'épuisement. L'esprit latin, ou méditerranéen, a digéré le christianisme et en a fait, en le greffant sur la romanité, le catholicisme, c'est-à-dire une création puissamment occidentale. Voilà le moment, ou jamais, de citer le vers éculé de Térence : Je suis homme, rien d'humain ne m'est étranger.
L'humanisme, c'est cela, et non pas des cris et des clameurs parce que huit théâtres de Paris à la fois représentent des pièces étrangères. Comment ? Vous prétendez au monopole de l'humanisme, et vous protestez quand on vous apporte d'au-delà de vos frontières des échantillons d'humanité ? Le vrai, c'est qu'il y a antinomie entre humanisme et nationalisme.
Avoir confiance en l'esprit français, c'est se rappeler son pouvoir toujours intact de tamisage, de filtrage, de mise en forme, ou, pour employer une autre image, se souvenir qu'il fonctionne comme une meule de moulin. Il faut lui fournir du blé venu de partout pour qu'il en fasse la farine dont lui-même et aussi les autres feront leur pain. Ce rôle éminent, ce rôle privilégié de l'esprit français, transformateur, maturateur, guérissant plutôt que créateur, ne peut être joué qu'en accueillant tous les germes épars dans le monde, toutes les nuées flottantes pour les changer en pluie bienfaisante.
Si l'esprit français paraît en ce moment aux étrangers qui nous observent, devenu statique, immobile, stagnant, c'est qu'on a tenté, depuis le début du siècle, et non pas toujours sans succès, de réduire de plus en plus son pouvoir, sa volonté d'accueil. Le moulin ne tourne pas encore à vide, mais si on n'y prend garde, cela ne tardera pas. Pourquoi dissimuler l'ampleur, l'énormité même de la tâche qui se présente en ce moment à lui ? Il s'agit pour l'esprit français, qui a su digérer le christianisme, de digérer le marxisme, venu en apparence d'un Orient moins lointain, en réalité du même Orient que l'évangile. Digérer le marxisme, qu'est-ce à dire ? Bien malin qui le devinerait. C'est peut-être l'adapter, le concilier avec les formes traditionnelles de l'individualisme et du libéralisme, c'est peut-être le dépasser, après en avoir tiré les sucs, les vitamines. Mais, c'est là besogne urgente, besogne digne de l'esprit français, et qui devrait profiter au monde. C'est d'une telle étude que naîtrait un humanisme véritable, qui tiendrait compte des masses et non plus des réactions d'individus plus ou moins privilégiés que se dégagerait une notion classique de l'homme, valable à nouveau pour quelques siècles.
Se boucher les yeux et les oreilles, se murer avec son magot dont la valeur diminue tous les jours au fond de quelque cave barricadée, voilà ce que le nationalisme littéraire nous propose. Encore une fois, je ne fais pas ici de politique : je conçois fort bien, par exemple, cette digestion du marxisme par l'esprit français contemporain d'un anticommunisme politique radical. Mais vouloir, sous prétexte de le préserver, écarter l'esprit français de toutes les bagarres intellectuelles et morales de ce temps, ne pas compter sur lui pour apporter clarté, audace mesurée et universalité dans la crise actuelle, ou encore espérer que les vieilles solutions héritées pourront encore suffire à calmer l'effervescence actuelle, née de conditions de vie sociale et individuelle différentes, c'est avoir véritablement perdu confiance en l'esprit français. Et comment l'étranger garderait-il confiance quand ceux qui, chez nous, crient le plus fort, leur annoncent la démission de la France ?

Benjamin Crémieux in Marianne, 23 Novembre 1932.

samedi 8 octobre 2016

Nager.


Marianne, 2 Septembre 1936.

Durant l'hiver, il a fallu fréquenter les piscines, nombreuses maintenant, modernes, l'eau en est régulièrement renouvelée. Mais toutes sont sans horizon, étouffantes ; et, dès les beaux jours, je n'y retourne plus.
J'ai fait du vélo, beaucoup, et cet autre sport : la nage, je n'ai jamais cessé de le pratiquer. Je ne saurais donner des leçons comme font les maîtres nageurs, qui regardent s'agiter au bout d'une corde leurs élèves « Un, les bras ! Deux, les jambes ». J'ai appris à nager étant gosse, à la piscine Ledru-Rollin — bien crasseuse, alors — où m'avaient entraîné des camarades. « Tu peux te noyer, m'avait dit ma mère, furieuse, j'irais pas te reconnaître. » Je bus la tasse, vis tout bleu, me démenai, crachai, sombrai.. repris pied en soufflant. Après maintes leçons, je traversai la piscine ; mais, dès que je n'avais plus pied, souvent l'angoisse me paralysait. « Doucement ! » criait un maître nageur. L'assurance me vint, je bus la goutte sans m'affoler, commençai à éprouver quelque joie à sentir fonctionner méthodiquement bras et jambes. Si bien qu'un jour d'été je me lançais dans l'Oise, sous les regards d'un oncle qui, de son temps, prenait, lui aussi, des « pleine-eau ».
J'appris enfin a nager « avec style », comme on dit dans le jargon des piscines. Parce que, franchir 30 mètres, s'arrêter, repartir, agiter les bras, souffler, tout ça s'appelle barboter. Il s'agissait de faire « la brasse coulée » ; plus tard, « le crawl », on verrait ! Que d'efforts, de fatigue, de découragement ! Et, soudain, la récompense : une bonne cadence, un souffle égal, la sensation d'avancer « en souplesse ». Ça venait donc ! Je fis 50 mètres, une distance classique ! puis 100. Bien sûr, je n'aurais osé me faire chronométrer comme ces gaillards qui avançaient en se servant de leurs pieds comme d'une hélice. Je les regardais attentivement, longtemps.
La brasse coulée, c'est une nage simple, rationnelle, harmonieuse, qui permet de franchir sans fatigue de longues distances. Le corps glisse et se coule vraiment, la tête à peine sous l'eau ; les bras sont étendus et joints, les jambes aussi ; puis une profonde aspiration, le coup de ciseaux de la brasse, et, de nouveau, la coulée, vive, sûre, un peu comme un poisson. Assez vite, je possédai un bon style, comme certains nageurs que j'avais enviés.
Bien plus long et difficile, le crawl : Beaucoup s'arrêtent dès les premières tentatives. Ça exige une rude persévérance, cet apprentissage, des séances lassantes de battements de pieds, de mouvements de bras, une savante économie dans l'effort. Insensiblement, on éprouve un plaisir excitant à sentir ses muscles s'allonger, se rétracter, donner chaque fois leur maximum de puissance, chaque organe aider à ce glissement heureux. C'est, véritablement, comme s'il s'agissait d'une machine ; et, sa respiration, on la dose, la renouvelle, on en prend soin comme le bon chauffeur se soucie d'économiser son essence. La fatigue survient-elle ? Un mouvement est mauvais. Il faut surveiller son battement de pieds ou le dégagement du bras ; la main, dont la position est vicieuse ; ou la tête enfonce trop, ou le corps. On doit continuellement s'observer, penser le moindre de ses gestes, afin d'obtenir une cadence régulière, aisée, puissante. Et, si on plie son corps à cette stricte et sévère discipline, ce n'est pas pour battre un jour « des temps », ce n'est pas non plus « par hygiène », mais simplement parce que l'esprit s'exalte à tenter cette conquête.
Moi, je ne connais guère de joie plus profonde et plus enivrante, plus pure, que celle de nager en mer, d'avancer avec souplesse et presque sans effort, de sentir se glisser silencieusement son corps, de tenir les yeux grands ouverts et voir ces fonds glauques ou ces fonds de sable sur lesquels se projette votre ombre, de garder une pensée qui saisit toute la splendeur de l'été, du ciel, des eaux mouvantes et gorgées de vies. Je nage longtemps, calme et confiant, sensible aux courants chauds ou froids, comme à des caresses. Mon corps, je le sens qui existe enfin: pleinement, qui s'animalise, qui s'épanouit, avec ses muscles durs, élastiques, nets. Il me semble que je suis lié aux éléments, à un univers éternel, à sa source, et qu'il est possible de s'y perdre, tout au moins d'y baigner. Instant unique ! Mes yeux regardent au fond de ces eaux bleues où balancent mollement des algues, des plantes informes, où rôdent de solitaires poissons. Mais la fatigue, peu à peu, s'empare de moi ; et, quelquefois, la peur de ces mystérieuses vies sous-marines. Je regagne la rive, à regret. Le soleil cuit mon visage, ma peau qu'imprègne le sel. Les pieds bien posés sur cette terre pesante et morte, je me redresse, respire le vent du large, lève la tête vers le soleil, les membres forts et comblés, l'esprit clair ; et, l'espace d'une seconde, j'ai l'impression qu'il serait aisé peut-être d'entreprendre, la conquête du monde.
Eugène Dabit in Marianne, 15 Août 1934.

vendredi 7 octobre 2016

Le métier de faire rire.



Comme pour tant d'autres choses, j'estime que les moyens de faire rire ont évolué, depuis l'époque de mes débuts, et les gros moyens employés il y a vingt ans par mes parents et moi n'obtiendraient plus aujourd'hui le même succès.

Le public a « grandi » et désire à présent des inventions comiques plus raffinées. On continue évidemment à apprécier les chutes burlesques et les tartes à la crème, car c'est de l'humour en action, mais on désire les voir présenter avec une originalité qui les renouvelle presque.

Je dois dire, d'ailleurs, que la chose est plus malaisée à réussir au cinéma qu'au music-hall, où l'on rattrape maint « effet » manqué avec quelque blague improvisée ; au cinéma, ce qui est manqué reste bel et bien manqué.

Il est, en outre, beaucoup plus ardu de mettre sur pied un film comique de deux parties qu'un drame en cinq. Au contraire de ces derniers, nous n'utilisons aucun manuscrit préparatoire d'aucune sorte ; nous combinons simplement une petite histoire suffisamment définie pour que des décors puissent être édifiés ; ensuite, nous cherchons tous les « gags » (idées et jeux de scène comiques) qui peuvent convenir à la situation et au cadre de l'action. Quand nous sentons que nous avons « tourné » la matière de cinq ou six films, nous nous arrêtons et nous assemblons le tout ; par des coupures successives, nous arrivons au métrage voulu, qui ne renferme que le meilleur de ce qui a été tourné. Vous pouvez vous faire une idée du travail...

Un comique de cinéma ne peut pas « durer » des années, et surtout produire toujours un nombre égal de films. Quatre ans, c'est à peu près toute la durée de sa progression, et de son inspiration sans cesse renouvelée.

Rien d'étonnant à ce que, tôt ou tard, les comiques de cinéma en arrivent à produire des films de plus long métrage où les complications d'une intrigue viennent remplacer une bonne partie des « trucs » comiques qu'on ne peut trouver indéfiniment.

On m'a demandé souvent pourquoi je garde uniformément, tout au long de mes films, cette mine particulièrement désolée.

C'est ma foi bien simple ; j'ai remarqué, dès le temps de mes débuts au music-hall que, lorsqu'on finit un tour plus ou moins drôle, on provoque dans l'assistance un éclat de rire d'autant plus grand qu'on demeure indifférent, puis étonné de l'hilarité du public. Il y a, au contraire, des comiques qui semblent toujours prendre à partie le public et le mettre dans la confidence. C'est ainsi que procédait Fatty ; de la sorte, le public riait avec lui, tandis qu'en ce qui me concerne, le public rit de moi.

Dès que, sur l'écran, un comique se met à rire, c'est comme s'il disait au public qu'il ne doit pas le prendre au sérieux, que tout ça « c'est de la blague ». En fait, on ne le prendra plus au sérieux, et il aura beau se. trouver dans les situations les plus cocasses, il ne fera plus rire. Après tout, le film comique consiste, pour le comédien, à « faire l'idiot » et plus sérieusement il le fera, plus désopilant il sera.

L'un des plus amusants comiques de variétés que j'ai jamais vus est Patsy Doyle, qui se dénomnait lui-même « le gros homme triste ». Je le revois toujours planté au milieu de la scène, contenance lugubre, et contant d'une voix chargée de douleur ses ennuis au public. C'était à se tordre, et l'on se tordait en vérité ; mais si, par hasard, Patsy s'était pris à sourire, ses effets auraient été complètement ratés.

Mais il n'y a pas que l'interprétation des rôles comiques qui soit une sérieuse affaire, il y a aussi la création de l’œuvre et sa mise en scène. La comédie est fugace ; il faut produire son premier effet au moment précis, donner ensuite au public le temps de se reprendre, puis pousser à fond ou continuer la progression suivant le cas. Dans ce rythme, il y a quelque chose de mathématiquement précis, car il est de toute importance que le public sente toute la force de l'incident comique et qu'il puisse attendre le prochain éclat de rire sans la moindre impression de lassitude. Ce rythme est une science, dont l'importance apparaît toute entière au metteur en scène.

Un film comique s'assemble, pour ainsi dire, avec la même précision que les rouages d'une montre. La chose la plus simple, exécutée trop vite ou trop lentement, peut avoir les effets les plus désastreux. Nombre de scènes du plus haut comique furent entièrement perdues pour le public pour avoir été jouées trop précipitamment.

Il entre donc dans l'interprétation de toute comédie burlesque un grand sens psychologique et une science du rythme qu'on ne saurait assez souligner.

Le public est encore habitué aux méthodes des films comiques silencieux et il nous faut lui donner des inventions mimées, combinées avec la nouvelle technique du film parlant pour le satisfaire. Les acteurs comiques ont spécialement à faire face à la nécessité de donner une grande place aux jeux de scène sans paroles et le devront longtemps encore. Il y a de très bonnes raisons à cela. Le rire exige beaucoup moins de mots que l'art de débiter une tirade romantique à l'écran parlant. Les acteurs comiques, lorsqu'ils font connaissance avec le film parlant, deviennent de plus en plus laconiques, à mesure qu'ils s'aperçoivent qu'un mot ou deux bien placés dans une action muette produisent une impression plus drôle qu'un long discours, alors que les rôles des acteurs tragiques deviennent de p us en plus longs. Et aussi comment pourraient-ils faire rire aux éclats puis continuer à parler ? Comment se combineraient le tumulte venu de la salle et les mots partis de l'écran, même amplifiés par la voix puissante du haut-parleur ?

Il y a de nombreux et bons exemples du fait. William Haines, dans sa dernière comédie, The Girl said no, n'a jamais employé plus de dix mots dans une conversation, tandis que d'un autre côté Greta Garbo, dans son rôle puissamment dramatique d'Anna Christie, avait des répliques qui lui prenaient plus d'une minute à prononcer. Laurel et Hardy sont connus pour ne jamais dire plus d'un mot ou deux dans leurs répliques, et pour en venir à mon rôle dans Free and Easy, tourné sous la direction d'Edward Sedgwick, où j'ai fait ma première apparition dans un film parlant, il m'a fa lu travailler deux jours à une scène ou je n'avais que trois mots à dire. « aïe », « patron » et « oh ! ».

Il y a des raisons physiologiques à ce fait. Dans une situation dramatique sérieuse, l'acteur doit parler assez longuement pour transmettre une idée définie que le public veut connaître tout au long. Le film comique, d'un autre côté, dépend d'un événement inattendu qui arrive soudain, de telle façon qu'on n'a pas le temps de discourir à son sujet. Par exemple, l'acteur s'assied... sur un clou, saute en l'air et hurle « aïe ! ». Voilà tout ce qu'il a le temps de dire, n'est-ce pas ? Le drame sérieux est accepté comme authentique : de là une sollicitation de l'intelligence. Mais personne n'est supposé croire à la réalité d'un film comique, aussi n'y a-t-il de place pour aucun texte d'application. Il en résulte que ce dernier restera toujours pour une proportion d'environ 40 p. 100 silencieux - et que la musique fera le fond du spectacle.

Pas plus qu'il ne méprise la parole, le film comique ne doit négliger l'élément sentimental de la musique. Une comédie musicale, comme nos films, fait surgir l'humour impondérable du mot. Mais considérez n'importe lequel des spectacles chantés que vous avez pu voir au théâtre. La plus grande partie des paroles était perdue pour le public à cause des conditions scéniques de l'interprétation. Certains spectateurs étaient placés trop loin ou bien l'acoustique n'était pas bonne partout. Dans un film parlant, le microphone, qui est vraiment l'oreille du public, est dispose de telle façon que tout le monde entend. Chaque fauteuil, à quelque endroit qu'il se trouve, est un fauteuil de face. On m'entendra chanter des morceaux avec Trixie Friganza et dans le reste du film, dans les parties qui se passent hors de la scène, je puis employer tous les trucs des films silencieux et marquer l'accentuation par quelques mots.

Dans les films silencieux, - nous ne pouvions employer l'humour de la parole que dans de brefs sous-titres. Mais maintenant, il nous est possible d'utiliser la technique de la pantomime qui est, après tout, ce que le public attend d'un film comique, puis avoir recours au dialogue lorsque c'est nécessaire, en guise de variation.

Buster Keaton in Cinéa, n°10, décembre 1930.