Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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dimanche 28 mai 2006

After Cannes.

A une paire de Converse négligemment introduite dans une garde-robe, on opposera la nécessité de ces images.
Les habitants - Artavazd Pelechian (10mn).

Mille remerciements au brocanteur.

mardi 23 mai 2006

Détails.


On lit quelques lignes. Et soudain, on sait que l'on se trouve en présence d'un écrivain. Pourquoi?

Une fois, comme je voulais inviter mes cousins à goûter, je décidai de baptiser le chat (...).
Quant tout le monde fut présent, on baptisa le chat. Quelques gouttes d'eau froide sur le nez le firent éternuer : Pfi, Pfi, mais il se laissait dandiner par moi avec grande confiance.
Elise - Marcel Jouhandeau

Pour trois fois rien, juste une voyelle. Un i à la place d'un u.
On laisse alors le livre entre-ouvert, l'index en guise de marque-page, et l'on se met à rêver.

Hier soir.
X men 2
Séquence d'ouverture. La créature se volatilise, ne subsiste que la trace d'une fumée bleuâtre. Et soudain elle réapparaît là où on ne l'attend pas - frappe les gardes dont les corps viennent s'abattre lourdement dans la pièce - pour disparaître à nouveau. Tous le registre des vitesses se donne à voir (accélération, ralenti, arrêt...)

In The Mood for Love
Maggie Cheung et Tony Leung montent et descendent les escaliers. Les corps filmés au ralenti semblent venir s'être déposés sur la pellicule; le temps est arrêté.

Dans les deux cas, le même phénomène d'évaporation et de condensation; le cinéma vu comme un processus chimique destiné à recueillir la trace du mouvement, à garder en dépot la part des anges.
J'appuie sur le bouton off de la télécommande, et essaye de m'endormir.

Ne m'intéressent plus que les détails et les moments.

samedi 20 mai 2006

Sphinx(ge)

La chose est pour la chose ici-bas un problème.
L'être pour l'être est sphinx.
Victor Hugo - Les Contemplations

Elle m'avait écrit :
- Est ce que vous accepteriez de me parler du sphinx? Il y aura, en boucle, la voix de personnes qui parlent du sphinx, ou tout au moins de "leur" sphinx". Il ne s'agit pas d'une thèse mais de sensations et d'évocations.... Enfin de ce que l'on veut. J'aimerais bien.
Je fus sensible au "J'aimerai bien".



L'égnime.
Un voyage extraordinaire.
Arthur Gordon Pym. 22 mars 1828. Il dérive au bord d'un canoë vers le pôle Sud. Autour de lui la blancheur du monde, une barrière de vapeur, une foule d'oiseaux blancs et leur cri Tekeli-li, Tekeli-li

And now we rushed into the embraces of the cataract, where a chasm threw itself open to receive us. But there arose in our pathway a shrouded human figure, very far larger in its proportions than any dweller among men. And the hue of the skin of the figure was of the perfect whiteness of the snow.
Poe - The narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket

Et alors nous nous précipitâmes dans les étreintes de la cataracte, où un gouffre s'entrouvit comme pour nous recevoir. Mais voilà qu'en travers de notre route se dressa une figure humaine voilée, de proportions beaucoup plus vastes que celle d'aucun habitant de la terre. Et la couleur de la peau de l'homme était la blancheur parfaite de la neige.....
Trad : Baudelaire.

On n'en saura pas plus. Le récit s'arrête là. Mystère.
Quel est le sexe du sphinx ? Comment est-on passé de la sphinge au sphinx ? De la fille de...au fils de...? Pourquoi Baudelaire a-t-il traduit figure (une silhouette - sans sexe) par un homme? Enigme. Attention, un(e) sphinx(ge) se cache dans cette image, sauras-tu le (la) retrouver ?

...un gouffre s'entrouvit comme pour nous recevoir.... Mother, manman...Oedipe, nous colle aux basques celui-là, jamais bien loin.

Intermède.
Desnos - 1927.

Un sphinx de glace surgit et complète le paysage. De la brûlante Egypte au pôle irrésistible un courant miraculeux s'établit. Le sphinx des glaces parle au sphinx des sables (...).
Sphinx des sables: - Maux pour le corps, mots pour la pensée ! L'égnime polaire que je propose aux aventuriers n'est pas un remède. Chaque égnime a vingt solutions. Les mots disent indifféremment le pour et le contre. Là n'est pas encore la possibilité d'entrevoir l'absolu.(...)
Jeanne d'Arc-en-ciel en marche depuis des années, arrive devant le sphinx des glaces, avec, sous le bras, "Le Voyage au centre de la Terre".
Enigme
Qu'est-ce qui monte plus haut que le soleil et descent plus bas que le feu, qui est plus liquide que le vent et plus dur que le granit ?
Sans réfléchir, Jeanne d'Arc-en-Ciel répond:
- Une bouteille
- Et pourquoi? demande le sphinx
- Parce que je le veux.
- C'est bien, tu peux passer, Oedipe idée et peau.
Elle passe. Un trappeur vient à ellle, chargé de peaux de loutres. Il lui demande si elle connait Mathilde, mais elle ne la connaît pas. Il lui donne un pigeon voyageur et tous deux poursuivent des chemins contradictoires.
Robert Desnos - La Liberté ou l'amour.

La liberté ou l'amour ? Les deux mon général !

Réponse.
Un sphinx de glace surgit...

Antarctique:
Lattitude : 75° 17' sud
Longitude : 118° 3' est
Et alors se dessina, à un quart de mille, une masse qui dominait la plaine d'une cinquantaine de toises sur une circonférence de deux à trois cents. Dans sa forme étrange, ce massif ressemblait volontiers à un énorme sphinx, le torse redressé, les pattes étendues, accroupi dans l'attitude du monstre ailé que la mythologie grecque a placé sur la route de Thébes.(...)
Etait-ce un animal vivant, un monstre gigantesque, un mastodonte....
Ah! ce sphinx...un souvenir me revint...j'avais rêvé d'un animal fabuleux de cette espèce, assis au pôle du monde...
Jules Verne - Le sphinx de glace.

Mais qu'est-ce-que c'est?
Un aimant...doué d'une force d'attraction prodigieuse!...Ce massif n'était qu'un aimant colossal. Tout ça pour ça !
Mystère et nécessité.
Tous les chemins mènent au sphinx. Pas moyen d'y échapper. L'être pour l'être est sphinx. Peu importe la réponse, seule compte la question.
Nous sommes tous des sphinx.

vendredi 19 mai 2006

Sale temps.


Man Ray

Ce matin, j'ai rencontré successivement trois jeunes femmes qui pleuraient. A la première, j'ai offert un biscuit. Aux deux autres, rien.

mercredi 17 mai 2006

Contre.

A propos de Rannoch Moor - Journal 2003 de Renaud Camus, Michel Crépu écrit (1):
Ce perpétuel bas de fer de l'incorrect avec le correct, il m'ennuie, il ne m'intéresse pas : pour moi le correct et l'incorrect sont complices, ils se tiennent par la barbichette, l'un procure à l'autre les munitions nécessaires pour tenir, prolonger, savourer ce faux duel (...). Dans le domaine du politiquement incorrect, je ne vois qu'une seule définition possible : la liberté de l'esprit (...). Quant on est dans la liberté de l'esprit (...) on se moque bien d'observer le baromètre du correct-incorrect. On est au dessus-ça.
Je ne suis pas loin de partager cette attitude - du moins essayer de -, et ai repensé au parler de loin de La Fontaine. Attitude difficile à tenir, interstice dans lequel il est mal-aisé de se nicher car à force d'être contre, il arrive que l'on se retrouve tout contre. Au risque de s'asphyxier (2).

Comment qualifier l'exposition Godard à Beaubourg autrement que comme une escroquerie : Action malhonnête (en matière d'argent). Il s'agit d'une non-exposition - un projet auquel il n'a pas été donné suite entre Godard et le centre Pompidou - pour laquelle le visiteur est amené à payer 10 euros (soient 65 francs et cinquante cinq centimes; il convient quelquefois de faire la conversion). Mon point de vue peut paraître quelque peu trivial; mais il me semble, dans un souci de cohérence, qu'à une non-exposition devrait logiquement correspondre un non-paiement, d'autant que le visiteur simplet que je suis n'a été prévenu qu'après l'achat du billet.

Le journal du jour nous apprend que 13 personnes élus et militants socialistes ont fait l'objet, lundi soir à la mairie de Saint-Denis, d'un braquage. Que ledit braquage effectué par deux hommes encagoulés et armés avait pour motif le vol de places pour le match Arsenal-Barça. Places qui étaient destinées aux bénévoles, clubs sportifs et autres militants associatifs. Rien de bien rigolo, sauf que je cite et souligne :
Hier matin, plusieurs élus épaulés dans la nuit par une cellule psychologique faisaient part de leur émotion.

Ce qu'il y a de certain, c'est que l'époque demande beaucoup de talent.

(1) Revue des Deux Mondes - Mai 2006.
(2) Je rassure le fan club de R.Camus, l'article de Crépu est assez élogieux.

samedi 13 mai 2006

Nul n'est parfait.


Luna Parker - Tes états d'âme...Eric.

Depuis quelques jours, je ne sais pourquoi, je pense à cette chanson.
A sa sortie (décembre 1986), j'avais acheté le 45t (19 francs et 50 centimes; j'ai devant les yeux le disque et sa pochette avec l'étiquette Fnac encore collée dessus). Je crois n'avoir jamais écouté la face B.
Commercialement ce fut un échec (à l'époque j'aurai parié mon dernier centime sur le contraire), la vidéo n'est pas bonne; mais la chanson, elle, me semble toujours parfaite.

vendredi 12 mai 2006

Robert Debord

Le dadaïste Guy Debord vous attend au tournant. Métro Porte des Lilas.
C'est une lettre de G.Debord. Il a vingt ans.
Deux pages in-folio.
Elle sera mise aux enchères ce vendredi 12 mai 2006.
Estimation 1200 euros.

Où se cache la correspondance de Robert Herbin ?
Il a pris sa retraite.
Un rien bourru, il écoute de la musique classique dans sa maison de l'Etrat (Loire) avec ses deux gros chiens.

Toutes ces informations sont extraites du journal Libération du jour.

mardi 9 mai 2006

Notes.


Vendredi.
Je poursuis la lecture de la correspondance de Voltaire entrecroisée avec celle des biographies de Pomeau et Desnoiresterres (cette dernière est disponible sur le site Gallica). A ce rythme j'en ai au moins pour cinq ans.
A propos de Linant, jeune abbé mollasson, que Voltaire a pris sous sa protection et auquel il prête quelques talents : Personne n'est plus persuadé que moi que tous les hommes sont égaux, mais avec cette maxime on court le risque de mourrir de faim si on ne travaille pas.
Pense à la note de Sk† dans laquelle, pour ma part, je ne vois pas l'ombre d'une provocation.

Je découvre à la radio la fable de La Fontaine : L'homme et la Couleuvre.
Ce parler de loin est absolument magnifique en ce qu'il contient d'ironie, de ruse; de ce que Léo Strauss nomme aussi Art d'écrire.
La littérature, ce pourrait-être ce parler de loin qui soustrait l'homme à l'obligation absolu de se taire.

Samedi.
Rencontré la boulangère. J'ai eu la faiblesse de lui écrire, il y a déja quelque temps, deux feuillets sur Le médecin de campagne de Kafka. Lui demande quelle note elle a eue. Elle me répond qu'elle le saura à la fin de l'année universitaire. On attendra.

Trouvé à la brocante et lu en deux heures, suite à quelques mots favorables de Michel Crépu, Bleu de chauffe de Nan Aurousseau (Stock-2005). Ce qu'il y a de mieux c'est la première page.
Mon patron s'appelle Dolto. C'est un petit homme suave d'une quarantaine d'années assez rond à l'extérieur mais géométriquement pourri et sans pitié à l'intérieur.(...) Avec ses lunettes à double foyer Dolto vous regarde toujours par en dessous et quand il vous parle on dirait qu'il vous suce. Mais il s'agit juste d'une impression parce qu'en réalité il est en train de vous enculer et ça, vous ne le sentez pas. Vous avez mal après. Mais après il est trop tard...
Certes, ce n'est pas du Saint-Simon mais je trouve ça amusant. Pour le reste, ça ne casse pas trois pattes à un canard; comme un manque de souffle. Autant la quotidienneté me passionne lors de la lecture d'un Journal, ou d'une Correspondance, autant cette quotidienneté là finit par m'ennuyer.

Si Voltaire ne manque pas de lucidité envers ses amis, il est également empli de mansuétude. Peut-être la seule politique qui vaille.

Dimanche.
Mission Impossible III. J'en sors la tête pleine comme un melon et prête à exploser. C'est d'autant plus étonnant que le film est d'un vide abyssal. A force de supprimer toute fureur, il ne reste plus que le bruit.
Retour à Voltaire.

Lundi.
Dans La salle des meurtres de P.D James, une des protagonistes n'a pas, et ne veut pas avoir de téléphone portable. Leur sonnerie lui rappelle le dring-dring aigrelet qui se déclenchait dès qu'un client ouvrait la porte de l'épicerie de ses parents, obligeant ces derniers à le servir.
C'est avec ce genre de détail que l'on finit par s'attacher à un personnage.

Mardi.
Insomnie. Ecouté entre 2h50 et 5h du matin (!!!) Ordet de Kaj Munk. Il s'agit de la pièce à l'origine du film de Dreyer.
Réveil difficile.

mercredi 3 mai 2006

Chiche ! (épilogue)



Je ne regarde plus la série Alias. Je ne la regarde plus, mais je demande à ce que l'on me la raconte, même brièvement. Le point de vue qui sera énoncé est donc celui d'un aveugle.



D'un coté : Méliès et Houdini.
Sydney est enterrée vivante, pieds et poings liés, dans un cimetière, personne ne sait lequel, quelque part dans le monde. Marshall la localisera grâce à la chaleur de son corps détectée par satellite. Elle sera sauvée. On pourrait multiplier les exemples. Pour le spectateur, le plaisir est de faire comme si. Y croit-on ? pas vraiment, mais peu importe.
Je crois que c'est Eugène Sue ou Ponson du Terrail (1) qui avait terminé une de ses livraisons avec le héros enchainé, enfermé dans un malle, ladite malle jetée au milieu de l'océan. Les lecteurs tenus en haleine, se demandant comment le personnage allait pouvoir s'en sortir, se précipitèrent sur l'épisode suivant. Et là, ils purent lire qu'après avoir défait ses liens, ouvert le coffre, le héros remonta à la surface...sans autres explications! Le feuilleton garda ses lecteurs. Les lecteurs d'hier, comme les spectateurs d'aujourd'hui ne sont pas dupes mais font semblant d'y croire. Plaisir du jeu.

De l'autre : un jeu de dupes
Flash-back. Oedipe sur la route de Thèbes; rencontre son père, le tue; se débarasse du sphinx; épouse sa mère; devine la vérité; se crève les yeux. Alias ce pourrait être l'histoire d'Oedipe où, au fil des saisons, on apprendrait qu'Oedipe a tué Laïos en sachant que dernier était son père, que Jocaste sait qu'Oedipe est son fils et que, au bout du compte, révélation de fin de saison, Laïos n'est pas mort. Au cours de la saison cinq, tel personnage s'avérera avoir usurpé son identité depuis le début de la série. La vérité ne lui vient pas de l'extérieur - la petite fille pauvre qui se révèle être fille de roi -; non, il nous l'a cachée depuis le premier épisode ! Le savait-il d'ailleurs lui-même ? Invraisemblable. Et pourtant nous y croyons. Je crois même que nous ne faisons pas semblant, nous y croyons vraiment. Ce qu'Alias nous donne à voir c'est l'expérience quotidienne, portée à son paroxysme, de la coupure onthologique entre l'être et le paraitre (tiens voilà Jean-Jacques qui repointe le bout de son nez), le moment où l'être se dissout dans le puits sans fond du paraitre.



Partout : des effets de surface.
Nous ne sommes plus dans le monde de la tragédie qui présuppose une identité, un monde où en dernier ressort les héros, et les héroines, sont ce qu'il sont. Ici sous le masque trompeur de la pyrotechnie : rien.
Les plus optimistes d'entre nous y verront comme la trace d'une vision tragique de notre condition. Il n'est pas sûr qu'ils aient raison, et que la trace elle-même n'ait pas fini par disparaître; mais il est vrai que ces quelques lignes ont été écrites par un aveugle.

(1) Un lecteur précise en commentaire qu'il s'agit de Ponson du Terrail. Qu'il en soit remercié.