Je ne regarde plus la série Alias. Je ne la regarde plus, mais je demande à ce que l'on me la raconte, même brièvement. Le point de vue qui sera énoncé est donc celui d'un aveugle.



D'un coté : Méliès et Houdini.
Sydney est enterrée vivante, pieds et poings liés, dans un cimetière, personne ne sait lequel, quelque part dans le monde. Marshall la localisera grâce à la chaleur de son corps détectée par satellite. Elle sera sauvée. On pourrait multiplier les exemples. Pour le spectateur, le plaisir est de faire comme si. Y croit-on ? pas vraiment, mais peu importe.
Je crois que c'est Eugène Sue ou Ponson du Terrail (1) qui avait terminé une de ses livraisons avec le héros enchainé, enfermé dans un malle, ladite malle jetée au milieu de l'océan. Les lecteurs tenus en haleine, se demandant comment le personnage allait pouvoir s'en sortir, se précipitèrent sur l'épisode suivant. Et là, ils purent lire qu'après avoir défait ses liens, ouvert le coffre, le héros remonta à la surface...sans autres explications! Le feuilleton garda ses lecteurs. Les lecteurs d'hier, comme les spectateurs d'aujourd'hui ne sont pas dupes mais font semblant d'y croire. Plaisir du jeu.

De l'autre : un jeu de dupes
Flash-back. Oedipe sur la route de Thèbes; rencontre son père, le tue; se débarasse du sphinx; épouse sa mère; devine la vérité; se crève les yeux. Alias ce pourrait être l'histoire d'Oedipe où, au fil des saisons, on apprendrait qu'Oedipe a tué Laïos en sachant que dernier était son père, que Jocaste sait qu'Oedipe est son fils et que, au bout du compte, révélation de fin de saison, Laïos n'est pas mort. Au cours de la saison cinq, tel personnage s'avérera avoir usurpé son identité depuis le début de la série. La vérité ne lui vient pas de l'extérieur - la petite fille pauvre qui se révèle être fille de roi -; non, il nous l'a cachée depuis le premier épisode ! Le savait-il d'ailleurs lui-même ? Invraisemblable. Et pourtant nous y croyons. Je crois même que nous ne faisons pas semblant, nous y croyons vraiment. Ce qu'Alias nous donne à voir c'est l'expérience quotidienne, portée à son paroxysme, de la coupure onthologique entre l'être et le paraitre (tiens voilà Jean-Jacques qui repointe le bout de son nez), le moment où l'être se dissout dans le puits sans fond du paraitre.



Partout : des effets de surface.
Nous ne sommes plus dans le monde de la tragédie qui présuppose une identité, un monde où en dernier ressort les héros, et les héroines, sont ce qu'il sont. Ici sous le masque trompeur de la pyrotechnie : rien.
Les plus optimistes d'entre nous y verront comme la trace d'une vision tragique de notre condition. Il n'est pas sûr qu'ils aient raison, et que la trace elle-même n'ait pas fini par disparaître; mais il est vrai que ces quelques lignes ont été écrites par un aveugle.

(1) Un lecteur précise en commentaire qu'il s'agit de Ponson du Terrail. Qu'il en soit remercié.