Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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dimanche 31 mai 2009

D'un coup de téléphone et de ses conséquences.


Les intervalles entre les activités rituelles, répétitives, deviennent comme des nuits qu'interrompt la lumière intermittente des instants où le raccord avec le monde archétypal se rétablit dans la délivrance du sens retrouvé.
Jean-François Lyotard.

A Claire Z. (bien entendu).

- Oui.
- Ton père a acheté des piments, tu peux passer en prendre ce soir.
- Non, c'est pas la peine. J'en prendrai demain matin sur le marché, ça m'évite de faire des aller-retour.
- Tu devrais écouter l'émission sur la philosophie de ce matin. Vraiment très intéressante. Une conférence de Leotard sur la philosophie de l'histoire.
- Leotard ?
- Oui, celui qui a été professeur à Nanterre.
- Ah ! Lyotard, Jean-François Lyotard.
- (rires), Lyotard bien entendu...c'est l'age... mais c'est vraiment très intéressant.
- Je vais l'enregistrer et je l'écouterai en préparant le poisson.

Au cours de cette conférence de 1958 consacrée à la philosophie de l'histoire, Jean-François Lyotard définit la pensée archaïque, celle qui continue à nous irriguer, comme étant une pensée de la répétition. L'homme archaïque est un homme qui répète, qui re-produit une origine, un archétype. Ainsi la Jérusalem céleste est-elle, par ex, l'archétype, le type primitif de toutes les cités futurs. Par le rituel, qui est acte de reproduction, les hommes transforment le chaos en ordre, en cosmos, rendent réel ce qui n'était pas. Être c'est être comme. Conséquence, pour l'homme archaïque, un acte n'a pas de sens pour un futur, mais par un passé qu'il re-présente. Le présent n'existe qu'autant qu'il coïncide avec un passé premier. Lyotard souligne alors finement le double mouvement dans lequel se trouve pris la conscience archaïque. En présupposant une origine, elle manifeste de facto le souci du temps qu'elle s'efforce cependant et dans le même temps à nier dans le raidissement mécanique par lequel elle se retourne vers le passé pour qu'il sauve le présent du néant. La conscience archaïque est toute entière commémoration.

J'ai pensé que trouvaient là les mots que je n'avais pas su trouver à propos de ce film, Taking Chance, et compris deux choses. La première c'est que chaque instant du rituel ne pouvait être filmé que comme un temps mort, la deuxième c'est que Taking Chance était littéralement un film réactionnaire.

dimanche 24 mai 2009

Griffonnages.

La bêtise voit partout des objectifs ; l'intelligence, des prétextes (Cioran).

Le narcissisme, se mirer dans l'eautre.

Belle définition du culturel par M. Deguy : l'abolition de la différence entre nature et culture.
Faut-il y voir le stade ultime de l'arraisonnement du monde par l'homme ?

Le christianisme comme tentative de résoudre l'aporie inhérente à tous les monothéismes, celle de la présence du mal.

Ce qui ne va pas dans Taking Chance, c'est que le film ne se détache jamais du rituel, ou plutôt qu'il considère chaque étape du rituel comme autant de temps mort.

Fourvoiement des intellectuels au cours de l'histoire, comme si l'esprit se faisait payer au prix fort sa singularité.

La poésie est faite de beaux détails (Valéry).

mardi 19 mai 2009

A propos d'un film passé quelque peu inaperçu.


Il a été écrit un peu partout que Duplicity de Tony Gilroy était un film de scénariste. Ce n'est pas faux encore que le film lorgne avec talent du coté du Charade de Stanley Donen, ce qui n'est pas un mince compliment. On rappellera aussi que Gilroy est également le scénariste de la série des Bourne, tout simplement l'une des meilleures choses qui soit arrivée au cinéma d'action américain de ces dernières années.

2003, un homme et une femme se rencontrent au cours d'une party à l'ambassade des USA à Dubaï. Elle travaille pour la CIA, lui pour les services britanniques et ne connaissent pas leur métier respectif. Il est attiré par elle (c'est Julia Roberts) et la drague, ou plus précisément essaye de la prendre dans les rets de son discours. Il s'agit de savoir qui aura le dernier mot ou plutôt laisser à l'autre le dernier mot en lui laissant croire qu'il en avait le choix. Mais l'autre peut aussi me laisser croire que... etc . La mécanique du film est mise en place : « Si je te dis que je t'aime, cela fera-t-il une différence » lui demandera -t-elle au cours du film. « Si tu me le dis, ou si je te crois » lui répondra-t-il.
Passé la séquence d'ouverture, où Julia Roberts a eu le dernier mot au grand dam de Clive Owen (les deux acteurs sont excellents) nous nous retrouvons en 2008. Chacun travaille dans les services de sécurité et d'espionnage industriel de deux conglomérats en forte concurrence. Le film se joue alors de la chronologie et insère dans le déroulement linéaire, jusqu'à la chute finale ou nous apprendrons qui a effectivement le dernier mot, une série de flash-back du type deux ans avant, 6 mois avant, 10 jours avant, 3 heures avant. Par ce procédé, Gilroy réussit à intriquer de façon très subtile une intrigue relevant de la comédie sentimentale avec une pure histoire d'espionnage et de manipulation, ce qui donne au film tout son charme.

Tout le talent de Gilroy, et c'est me semble-t-il le thème commun à la plupart de ses films, consiste à répondre à la question toute théorique de l'origine d'un récit. Et puisque l'on a évoqué le dernier mot, il s'agit pour Gilroy de savoir ce qu'est le premier mot, celui qui mènera au dernier. « Quand cela-a-t-il commencé ? » diront les protagonistes à la fin de Duplicity, existe-t-il d'ailleurs un premier mot ? Pour Gilroy, toute narration se construit autour d'un manque d'information de sorte que le récit consistera en un brouillage des notions de passé, de présent et de futur. Le récit doit aboutir au dernier mot, il est condamner à se terminer, mais dans le même temps doit contenir des alternatives, des possibles. La marque de Gilroy consiste en cette capacité qu'il a d'exprimer, une sorte pessimisme gai. On ne peut échapper au récit, mais il n'en reste pas moins une part de jeu (à prendre dans tous les sens du terme) que l'on nommera du beau mot d'élégance.

J'ai vu Duplicity il a déjà plusieurs semaines, j'y pense encore. Peut-être est-ce la preuve qu'il s'agit tout simplement d'un très bon film.

mercredi 13 mai 2009

Notes éparses.

Lu au bord de la mer Béatrix puisque selon Gracq c'est le seul grand livre de Balzac que battent d'un bout à l'autre à l'autre les vagues.
Relevé cette définition du sublime, à propos des mouvements de l'océan sur les récifs de granit. Le sublime est ce qui donne le regret des choses inconnues, entrevues par l'âme à des hauteurs désespérantes. Un peu comme si l'être se trouvait alourdi par un trop plein d'être, comme si la chute était consubstantielle à l'élévation. Cependant cette chute n'est pas simple chute dans le vulgaire car elle garde en elle la marque de que ce que Michelet nomme mélancolie héroïque.
Mais pour dire le vrai, je n'avais relevé que la première partie de la phrase, le sublime n'était plus alors que ce qui donnait le regret des choses inconnues. L'oxymore me semblait mieux traduire le sentiment d'évidement que procure le spectacle de la mer, et j'avoue encore préférer ma lecture au texte même de Balzac.

Je ne sais s'il faut craindre une épidémie de grippe porcine ou mexicaine (selon antipathie) mais le n'importe-quoi semble toucher les esprits les mieux aguerris.
Sur France Culture, Phillipe Levillain nous informe que le Pape souhaite instaurer un trialogue entre le Christianisme, l'Islam et le Judaïsme. On n'aura pas l'outrecuidance de rappeler à l'éminent professeur que le dia de dialogue ne veut pas dire deux. Aussi, nous dirons au lecteur de passage que ce préfixe tire son origine de dia, préposition et adverbe grecques qui impliquent l'idée de séparation et d'une relation possible entre les choses séparées. Dialoguer, et peu importe le nombre de locuteurs, même s'il est plus facile de dialoguer à deux qu'à mille, c'est instaurer un espace entre les discours, c'est donner à ces discours la possibilité de traverser cet espace, la possibilité de se rencontrer.
Si l'on devait suivre le raisonnement induit par trialogue pourquoi ne pas parler d'octologue par ex. Hier nous étions huit à table et nous avons eu un octologue animé. Au delà du ridicule, le comble est que le mot va à l'encontre de l'idée qu'il veut promouvoir. En oblitérant l'idée d'un espace commun, il pose un parallélisme entre les discours, chacun allant son chemin sans jamais se rencontrer ou alors à la fin des temps.
Au fond ce qui semble le plus proche du trialogue, c'est la cacophonie.

Béatrix encore.
Le jeune Calyste part à la rencontre de Béatrix de Rochefide qu'il croit aimer.
Le jeune homme ralentit alors le pas de son cheval, et se mit à regarder complaisamment les doubles raies tracées par les roues de la calèche sur les parties sablonneuses de la route. Il était d'une gaieté folle à cette seule pensée : elle a passé par là, elle reviendra par là...
Immédiatement pensé à la scène de La Folie Amayer où Almayer efface sur la plage les traces de pas de sa fille Nina qui vient de le quitter.
Il amassa le sable en petit tas, laissant derrière lui jusqu'au bord de l'eau une ligne de tombes en miniature.
Le roman de Conrad annonçait le désastre de Béatrix, Conrad dialoguait avec Balzac.