Les intervalles entre les activités rituelles, répétitives, deviennent comme des nuits qu'interrompt la lumière intermittente des instants où le raccord avec le monde archétypal se rétablit dans la délivrance du sens retrouvé.
Jean-François Lyotard.

A Claire Z. (bien entendu).

- Oui.
- Ton père a acheté des piments, tu peux passer en prendre ce soir.
- Non, c'est pas la peine. J'en prendrai demain matin sur le marché, ça m'évite de faire des aller-retour.
- Tu devrais écouter l'émission sur la philosophie de ce matin. Vraiment très intéressante. Une conférence de Leotard sur la philosophie de l'histoire.
- Leotard ?
- Oui, celui qui a été professeur à Nanterre.
- Ah ! Lyotard, Jean-François Lyotard.
- (rires), Lyotard bien entendu...c'est l'age... mais c'est vraiment très intéressant.
- Je vais l'enregistrer et je l'écouterai en préparant le poisson.

Au cours de cette conférence de 1958 consacrée à la philosophie de l'histoire, Jean-François Lyotard définit la pensée archaïque, celle qui continue à nous irriguer, comme étant une pensée de la répétition. L'homme archaïque est un homme qui répète, qui re-produit une origine, un archétype. Ainsi la Jérusalem céleste est-elle, par ex, l'archétype, le type primitif de toutes les cités futurs. Par le rituel, qui est acte de reproduction, les hommes transforment le chaos en ordre, en cosmos, rendent réel ce qui n'était pas. Être c'est être comme. Conséquence, pour l'homme archaïque, un acte n'a pas de sens pour un futur, mais par un passé qu'il re-présente. Le présent n'existe qu'autant qu'il coïncide avec un passé premier. Lyotard souligne alors finement le double mouvement dans lequel se trouve pris la conscience archaïque. En présupposant une origine, elle manifeste de facto le souci du temps qu'elle s'efforce cependant et dans le même temps à nier dans le raidissement mécanique par lequel elle se retourne vers le passé pour qu'il sauve le présent du néant. La conscience archaïque est toute entière commémoration.

J'ai pensé que trouvaient là les mots que je n'avais pas su trouver à propos de ce film, Taking Chance, et compris deux choses. La première c'est que chaque instant du rituel ne pouvait être filmé que comme un temps mort, la deuxième c'est que Taking Chance était littéralement un film réactionnaire.