Il a été écrit un peu partout que Duplicity de Tony Gilroy était un film de scénariste. Ce n'est pas faux encore que le film lorgne avec talent du coté du Charade de Stanley Donen, ce qui n'est pas un mince compliment. On rappellera aussi que Gilroy est également le scénariste de la série des Bourne, tout simplement l'une des meilleures choses qui soit arrivée au cinéma d'action américain de ces dernières années.

2003, un homme et une femme se rencontrent au cours d'une party à l'ambassade des USA à Dubaï. Elle travaille pour la CIA, lui pour les services britanniques et ne connaissent pas leur métier respectif. Il est attiré par elle (c'est Julia Roberts) et la drague, ou plus précisément essaye de la prendre dans les rets de son discours. Il s'agit de savoir qui aura le dernier mot ou plutôt laisser à l'autre le dernier mot en lui laissant croire qu'il en avait le choix. Mais l'autre peut aussi me laisser croire que... etc . La mécanique du film est mise en place : « Si je te dis que je t'aime, cela fera-t-il une différence » lui demandera -t-elle au cours du film. « Si tu me le dis, ou si je te crois » lui répondra-t-il.
Passé la séquence d'ouverture, où Julia Roberts a eu le dernier mot au grand dam de Clive Owen (les deux acteurs sont excellents) nous nous retrouvons en 2008. Chacun travaille dans les services de sécurité et d'espionnage industriel de deux conglomérats en forte concurrence. Le film se joue alors de la chronologie et insère dans le déroulement linéaire, jusqu'à la chute finale ou nous apprendrons qui a effectivement le dernier mot, une série de flash-back du type deux ans avant, 6 mois avant, 10 jours avant, 3 heures avant. Par ce procédé, Gilroy réussit à intriquer de façon très subtile une intrigue relevant de la comédie sentimentale avec une pure histoire d'espionnage et de manipulation, ce qui donne au film tout son charme.

Tout le talent de Gilroy, et c'est me semble-t-il le thème commun à la plupart de ses films, consiste à répondre à la question toute théorique de l'origine d'un récit. Et puisque l'on a évoqué le dernier mot, il s'agit pour Gilroy de savoir ce qu'est le premier mot, celui qui mènera au dernier. « Quand cela-a-t-il commencé ? » diront les protagonistes à la fin de Duplicity, existe-t-il d'ailleurs un premier mot ? Pour Gilroy, toute narration se construit autour d'un manque d'information de sorte que le récit consistera en un brouillage des notions de passé, de présent et de futur. Le récit doit aboutir au dernier mot, il est condamner à se terminer, mais dans le même temps doit contenir des alternatives, des possibles. La marque de Gilroy consiste en cette capacité qu'il a d'exprimer, une sorte pessimisme gai. On ne peut échapper au récit, mais il n'en reste pas moins une part de jeu (à prendre dans tous les sens du terme) que l'on nommera du beau mot d'élégance.

J'ai vu Duplicity il a déjà plusieurs semaines, j'y pense encore. Peut-être est-ce la preuve qu'il s'agit tout simplement d'un très bon film.