Les cinéastes font les films que les gens ont envie qu'ils fassent. Donc si les films sont mauvais, c'est que les cinéphiles sont mauvais. Je le crois profondément : les films sont mauvais si les spectateurs sont mauvais.
Louis Skorecki (in Les Inrockuptibles - mars 2007).

Dimanche 18 mars.
Relevé dans le classique Shakespeare, dramaturge élisabéthain d'Henri Fluchère (acquis ce dimanche pour 1 euro à la brocante de Garches dans l'édition des Cahiers du Sud -1948, état médiocre, la couverture est maculée dans le coin supérieur droit par ce ce qui semble être une tâche de graisse) :
Shakespeare écrit pour la populace comme pour le courtisan (...). Non, il n'y a pas de solution de continuité, pas de rupture entre le public cultivé et la populace.
Point de rupture donc, car populace et public cultivé ont, dans ces temps élisabéthains, en commun une qualité de langage. Et à cette qualité de langage correspond, non pas comme un reflet mais dans une sorte de continuité, il ne faut pas confondre la carte et le territoire, correspond donc une qualité des auteurs. Nécessité donc d'une langue commune, d'un monde commun, au-delà des mémoires identitaires, particulières et larmoyantes, sur lequel on peut espèrer voir fleurir toute la promesse de nos fleurs en boutons (...all our buds from growing).
Mais le vent qui souffle alentour, si on en croit un historien, Pierre Nora dans le journal Le Monde du même jour, est plutôt du genre mauvais (the tyrannous breathing of the north) :
Mais pour moi la nation selon Renan est morte. Cette vision correspond à l'ancienne identité nationale, celle qui associait le passé et l'avenir dans un sentiment de continuité, de filiation et de projet. Or ce lien s'est rompu, nous faisant vivre dans un présent permanent.
Un présent qui ne représente plus que lui même.
Un monde commun, comment ne pas songer alors à ce que Proust nommait la grande démocratie silencieuse et aussi à ce que Bloy appelle parenté surnaturelle et spirituelle.

Selon la parenté spirituelle qui m'est inexorablement cachée, il y a peut-être, en quelque désert, un sauvage horrible de qui l'âme est soeur jumelle de la mienne, et il se peut que nos deux âmes soient, en même temps, cousines-germaines de celle de l'odieux Guillaume de Hohenzollern ou de tout autre impardonnable profanateur de la Face du Dieu Vivant qui le fit à sa Ressemblance.
Tout cela est certainement possible, et j'ose dire, du fond de mes ténèbres, que plus ces rapprochements font peur, plus ils sont probables.
Léon Bloy - Méditations d'un solitaire en 1916.

Parenté dont il (Bloy) n'hésite à tirer toutes les conséquences, même si elles confinent au fantastique.

Rappel d'une de mes idées les plus anciennes. Le Tsar est le chef et le père spirituelle de cent cinquante millions d'hommes. Responsabilité effroyable qui n'est qu'apparente. Peut-être n'a-t-il réellement à sa charge, devant Dieu, que deux ou trois êtres humains, et si les pauvres de son empire sont opprimés durant son règne, si des catastrophes immenses doivent résulter de ce règne, qui sait si le domestique chargé de cirer ses bottes, n'en est pas le vrai, le seul comptable ? Dans les mystérieux arrangements de la Profondeur, qui donc est Tsar, qui donc est roi, et qui pourrait se flatter de n'être pas un domestique.
Léon Bloy - Le Mendiant ingrat (novembre 1894).

Mardi 20 mars.
Pour son dernier cours qui fut d'ailleurs fort beau (...et son plus grand chagrin, c'est qu'il faut te quitter ici), Antoine Compagnon fait feu de tout bois. Sont convoqués (de mémoire) Proust, Michelet, Montaigne, Barrès, Voltaire, Pascal, Sévigné, Gide, Goethe, Borges, Dostoïevski, Thibaudet...La littérature vue comme une dimension où temps et espace sont réversibles à la manière de ces architectures imaginées par Borges ou Cortazar dans sa fameuse nouvelle Continuité des parcs. La littérature comme un vaste continuum.

Tout finissait par se tenir.