Un assassinat est toujours un problème de chambre close. Et la chambre close, c'est le cerveau du criminel.

Shutter Island est peut-être un film en partie raté mais il n'en reste pas moins remarquable.
En premier lieu parce qu'il est porté par le meilleur acteur de sa génération (Di Caprio) et aussi parce qu'il contient en son début et sa fin des éclats que nous ne sommes pas près d'oublier.
Entre ce début et cette fin, Scorsese aura tenté de répondre à la fameuse question Hitchcockienne, celle du point de vue. Ce sont ces diverses réponses, la tension qu'il organise entre elles qui font l'intérêt du film.
D'abord le maniérisme (littéralement à la manière de - le classicisme des cadrages, le découpage années 40, le film se donne d'emblée comme "mise en scène") pose le regard du metteur en scène, mais un regard "joué". Il y a là une intelligence du cinéma - à mille lieues du fun de certains films de Tarantino - dont on trouve l'expression dans la précision de la photographie alliée, dans le même temps, au sentiment qu'elle possède en elle le pouvoir de se dissoudre. Tel un fantôme venu du brouillard, un fantôme incarné, le personnage principal (Teddy Daniels) surgit du blanc de l'écran.
Puis vient le temps du regard de Teddy Daniels, (toute la partie centrale du film, la plus faible), celui de sa mémoire blessée par la connaissance qu'il a du mal, celui du baroque qui par retournement essaye rendre tangible les "visions" (la mise en scène s'organise autour de ce regard).
Le troisième temps sera celui de la résolution dialectique, celui d'un regard qui transcende celui du metteur en scène et celui du personnage, le temps de l'apaisement (la dernière séquence est admirable).
Les films étant de plus en plus mal vus, on n'a peut-être pas assez remarqué qu'au twist scénaristique (présent dans le roman), Scorsese ajoute un twist final (absent du roman de Lehane) qui fait de Teddy Daniels l'acteur conscient de sa propre fiction (Caprio est là à son meilleur) et c'est dans ce jeu qu'il pourra trouver sa liberté, celle qui lui permettra de quitter l'ile, de bloquer ainsi la réitération du cycle, celle d'un corps devenu maître de sa propre dissolution. Enfin libre.