J'ai cru compendre que l'on me reprochait parfois de vivre entouré de mes livres, dans, pour reprendre une image plus commune, une sorte de tour d'ivoire. Why not ! Encore une fois, il me faut donc dire que les paysages que j'y entrevois, les chemins de traverse qui me font passer de la douceur d'un morne à un autre, sont effectivement parmis les plus beaux.

(...) voici l'ensemble de mes tout premiers souvenirs, ceux qui sont le plus près de la source originelle, vers ce contre-néant. Ainsi, l'état nébuleux du nouveau-né me semble toujours être une lente convalescence après une terrible maladie, et l'éloignement de la non-existence première devient une voie d'accès à cette même non-existence lorsque je fais un effort mnémonique extrême pour goûter cette obscurité et me servir de ses leçons pour me préparer à l'obscurité qui s'approche ; mais, tandis que je tourne ma vie la tête en bas de telle sorte que la naissance devient la mort, je ne parviens pas à apercevoir, à la limite de cette contre-mort, quelque chose qui puisse correspondre à la terreur infinie que même un centenaire est supposé connaître lorsqu'il fait face à la fin certaine (...).
Vladimir Nabokov - Le Don (trad R. Girard).

La nature s'est montrée la plus marâtre de l'homme,car ce qu'elle lui enlève de connaissance lorsqu'il nait, elle lui restitue quand il meurt : là parce qu'il ne perçoit pas les biens qu'il reçoit et ici parce qu'il éprouve les maux qu'il conjure.
Baltasar Gracián - Le Criticon (trad E.Sollé).

Lu dans le journal de Michel Ciry :

Cette main très personnelle et qu'aucune autre ne saurait jamais supplanter, est toujours prête à trahir. Pourquoi cette constante infidélité en puissance alors qu'elle devrait se contenter du beau rôle d'alliée indéfectible ? Peut-être y aurait-il le plus mortel des risques pour l'artiste à trouver dans sa main, cette aide magique et infaillible qui l'assurerait d'une transmission souveraine, limitant en quelque sorte la drame créateur à la pensée ; ce cap intérieur franchi, tout deviendrait jeu, d'où le péril.
Michel Ciry - Le Buisson ardent (Journal 1970).

Je ne partage pas - loin de là - tous les choix esthétiques de Michel Ciry mais je dois avouer qu'en baguenaudant dans "les espaces" dédiés à l'art contemporain être frappé - le plus souvent - par le caractère purement arbitraire de ce que j'y vois. Pourquoi ceci plutôt que cela, ceci à coté de cela, cette forme plutôt que celle là ? Le propre de l'arbitraire - qui n'est pas le hasard, ni la contrainte, de ces derniers peuvent quelque fois jaillir une rencontre - ce n'est pas qu'il offre, comme il veut nous le faire croire, une multiplicité de sens, d'émotions - mais que tout au contraire il n'offre rien.