Traduction.

Le «gang des barbares» avait une prédilection pour les proies juives, parce que, selon ses membres, les Juifs «ont de l'argent». Vieille affaire, ancestral cliché. Mais cette conjonction, dans l'antisémitisme traditionnel, repose sur la haine de l'«équivalent général» . L'argent est accusé de dissoudre les liens communautaires dans l'abstraction de l'échange, de sacrifier l'héroïsme et toute forme de transcendance aux valeurs purement matérielles et de réduire l'esprit à l'esprit pratique. Le judaïsme, religion terrestre, et les Juifs, race du désert, sont accusés d'incarner la trivialité, la bassesse, la laideur d'une civilisation sans âme.Nulle trace de ce spiritualisme dévoyé dans la bande de Bagneux : ces jeunes aiment la «thune», ils n'aiment même que cela. Ils n'en veulent pas aux Juifs parce qu'ils en veulent à l'argent ; ils s'en prennent aux Juifs parce qu'ils veulent de l'argent. Le rappeur Fifty Cent est leur modèle, et ils ont pour devise «Get rich or die trying», c'est-à-dire – traduction atténuée – «réussir ou mourir». Non pas spiritualisme dévoyé, donc, mais matérialisme d'autant plus déchaîné qu'aucune mémoire historique ne peut avoir barre sur lui.
Alain Finkielkraut - Entretien donné au Figaro du 02/03/06

De fait, tout le problème est de savoir si cette traduction est atténuée ou pas. Si elle l'est, le simple fait qu'elle le soit est porteur d'espoir. Dans le cas contraire si get rich est l'équivalent de réussir et si mourir est l'équivalent de die trying (quitte à crever pour y parvenir) alors ma vie et par conséquence celle d'un autre n'a plus de prix. Puisque plus rien ne vaut, tout vaut.




Kafka (suite).
Qui se souvient de Viviane Forrester ? Philaminte qui s'était un jour piquée d'économie.

Viviane Forrester, charmant bas-bleu, qui sévit dans les gazettes littéraires, va voir Kundera, réfugié à Rennes. D'un air extatique, elle lui dit :«J'aimerais tellement apprendre le tchèque.» Surprise de Kundera : «C'est une langue difficile que j'ai eu beaucoup de mal à apprendre moi-même. Et puis ça ne peut servir à rien - quelle drôle d'idée !
- Oh, c'est que je voudrais tellement lire Kafka dans le texte!»
Matthieu Galey - Journal (17 Janvier 1978).

Mèches et crayons.
Il y a quelques années, on ne pouvait rencontrer une jeune fille sans que, toutes les cinq minutes, à l'aide de l'une de ses mains devenue une sorte de petit rateau ou un gros peigne, elle ne fit passer ses cheveux, il fallait mieux les avoir longs, de la gauche vers la droite et vice versa. La chose semble avoir complètement disparue.
Samedi dernier, j'observais quelques lycéens faisant leurs devoirs à la bibliothèque. Mon attention fut attirée par un étrange phénomène que j'avais déjà eu l'occasion de remarquer à plusieurs reprises : une facon de faire tourner son stylo ou son crayon non pas entre le pouce et l'index mais sur le pouce ; après une légère impulsion le crayon se trouve libéré, plus rien ne le retient, il repose sur le coté extérieur du pouce (la main est légèrement fermée) effectue une rotation, à la manière d'une hélice, puis il est récupéré et ainsi de suite. Le tout ne manque pas de grâce. J'avoue avoir essayé et bien entendu ne pas y être arrivé.
Trop vieux pour ça.