Le 24 juin, le planteur de tabac assiste aux feux de la Saint Jean, le 26 il célèbre la naissance (en 1794) de l'aviation d'observation, lorsque "l'Entreprenant", monté par Coutelle suivit à la bataille de Fleurus les mouvements de l'ennemi.
Alors il procède au binage, au sarclage, au buttage, à l'arrosage, à la lutte contre le mildiou, à l'épamprement qui est l'élagage des feuilles basses. Il n'omet pas l'écimage ainsi que l'inhibition des bourgeons. Il photographie sa femme pratiquant cette opération.
En septembre, rien n'empêche le vrai planteur de terminer la récolte du tabac, que d'ailleurs les compagnies d'assurances ne garantissent plus après la fin du mois.
Il coupe les "tiges" à leur base, à moins qu'il ne détache son bien feuille à feuille en commençant par les plus basses qui mûrissent les premières.
Il transporte sa récolte dans des séchoirs où il met "à la pente" ses tiges ou ses feuilles, qu'il a pris soin d'enfiler en guirlandes.

L'automne commence le 23 septembre, le planteur surveille la dessication de son tabac. Il règle l'humidité de son séchoir, en manoeuvrant avec dextérité les volets d'aération. Le 28 octobre, il se rappelle l'incendie de l'Opéra (en 1873) qu'on représente encore à Marseille dans certains théatres de puces. Il n'oublie pas que le 31, sont morts Max Linder, la bête du Gévaudan et Pline l'Ancien, ni que le 1er novembre fut créée l'Ecole normale supérieure, d'ou sont sortis tant de gens sérieux.
Puis, il dépend ses feuilles, il les trie grâce à son coup d'oeil averti et son sens du toucher exercé, ou bien il donne l'ordre à sa famille d'effectuer cette opération. Celle ci obéit.
Le mois de décembre lui rappelle, surtout s'il s'appelle Leboeuf, la naissance du maréchal Leboeuf (4 décembre 1804).
Il remarque que les événements qui se déroulent en automne sont nombreux et évoluent généralement selon le principe de Murphy énoncé ainsi : "Tout ce qui est de nature à tourner mal, tournera mal."

Janvier, d'abord doux et pluvieux, devient neigeux à partir du 16, avec des pluies et des tempêtes. Février reste froid, s'ensoleille sur la fin, et mars est trempé par la pluie.
Cependant, ces rigueurs météorologiques ne gênent pas le planteur de tabac. Il confectionne, seul ou aidé de sa famille, ou par du personnel rétribué, des balles de 25 kilogrammes ou, s'il est Alsacien de 15 seulement. Il livre au magasin de fermentation les résultats de son labeur.
Entre-temps, dans sa prévoyance de père de famille inquiet de l'avenir, il a prodigué au champ consacré au tabac la plus grande partie du fumier de sa ferme, et bien entendu il a effectué les labours d'hiver, mais le 5 février, il a méprisé le dicton : "A la sainte Agathe, il faut semer lou tabac."
Il s'est borné à offrir, aux Agathe de sa famille et de sa connaissance, des îles désertes, des chèques en blanc où même des crayons à bille.

Extraits des textes donnés par Alexandre Vialatte pour les quatres numéros de l'année 1962 de Flammes et Fumées, le journal d'entreprise du Service d'exploitation industrielles des tabacs et allumettes (SEITA) in Chroniques de Flammes et de Fumées édité Au Signe de la Licorne (2001)