© Musée du Louvre/A. Dequier - M. Bard

Vu - plus qu'entendu - le ministre de l'Intérieur.
Les temps qui viennent s'annoncent difficiles.
Si il est une chose dont manque Nicolas Sarkozy, c'est de sprezzatura.
Le mot réputé intraduisible fut inventé en 1528 par Baldassar Castiglione dans son Il Libro del Cortagianno. En 1580, Gabriel Chappuis le traduit par mépris et nonchalance. En 1987, Alain Pons choisit désinvolture.

Et comme l'abeille dans les prés verdoyants va toujours cueillant les fleurs parmi les herbes, ainsi notre Courtisan doit cueillir et voler cette grâce à ceux qui lui sembleront la posséder (...)
Mais j'ai déjà souvent réfléchi sur l'origine de cette grâce et, si on laisse de côté ceux qui la tiennent de la faveur du ciel, je trouve qu'il y a une règle très universelle, qui me semble valoir plus que tout autre sur ce point pour toutes les choses humaines que l'on fait et que l'on dit, c'est qu'il faut fuir, autant qu'il est possible, comme un écueil très acéré et dangereux, l'affectation, et pour employer peut-être un mot nouveau, faire preuve en toute chose d'une certaine désinvolture (una certa sprezzatura), qui cache l'art et qui montre que ce que l'on a fait et dit est venu sans peine et presque sans y penser.
Baldassar Castiglione - Le Livre du Courtisan (trad Alain Pons) - Editions Gérard Lebovici

On en trouve une occurence dans une nouvelle de Pirandello - La vie toute nue (1912) - où il est traduit par mépris.

Colli était un malheureux en dehors de la vie (...). Dommage, car lorsqu'il était en veine de travailler, il rendait des points aux meilleurs. Et Pogliani en savait quelque chose, puisque tant de fois, dans cette atelier, il l'avait vu, de deux coups de pouce imprimés avec un mépris énergique (con energica sprezzatura), mettre debout en un instant une ébauche sur laquelle il s'échinait inutilement.
Luigi Pirandello - La vie toute nue (trad Georges Piroué) - Gallimard.

Le mot semble d'ailleurs poser quelques problèmes aux italiens eux-mêmes : pour preuve cette lettre de 1997 d'Adriano Sofri, fondateur de Lotta Continua, dans laquelle il constate n'avoir de sprezzatura qu'une définition négative.
Ni nonchalance, ni désinvolture, ni aisance, ni négligence, ni mépris mais un savant mélange de tout cela. Une nonchalance maîtrisée, una bella negligenza, une certaine forme d'élégance alliée à une certaine hauteur. L'absolu contraire de l'ostentation.
Pour Cristina Campo, la sprezzatura est une attitude morale qui, comme le mot participe d'un contexte à peu près disparu dans le monde d'aujourd'hui, et qui risque de connaître une éclipse définitive. C'est un rythme moral, la musique d'une grâce intérieure : c'est le tempo dans lequel s'exprime la liberté parfaite d'un destin, inflexiblement mesurée pourtant par une ascèse cachée. Mais avant toute chose c'est une façon alerte et aimable de de ne pas entrer dans la violence et la bassesse d'autrui.(1)
On peut aussi noter que cette façon alerte et aimable de de ne pas entrer dans la violence et la bassesse d'autrui ce peut-être également une assez bonne définition de ce que La Rochefoucauld entendait par politesse ou civilité : La civilité est un désir d’en recevoir et d’être estimé poli. Seule la politesse peut mettre à distance l'amour-propre (rien n'est si impétueux que ses désirs) de chacun. On ne peut concevoir de sprezzatura sans politesse.
Et si la manifestation la plus visible de la sprezzatura, car on l'aura compris elle est une manière d'être, il fallait aller la chercher dans ce chef-d'oeuvre qu'est le portrait (1515-1516) de Castiglione par Raphaël ? Simplicité de la pose, souci de l'harmonie, goût de l'équilibre, recherche d'une position médiane entre l'excès de naturel et l'excès d'artifice.
Au fond, ce que je reproche à Nicolas Sarkosy c'est sa vulgarité ou plutôt de n'être que le reflet d'un monde où la sprezzatura s'est définitivement retirée.

(1) Cristina Campo - Les Impardonnables - L'Arpenteur.