Ma petite approche de la sprezzatura m'entraîne sur des chemins de traverse.

(...) il semble que dans une société égalitaire la politesse disparaîtrait, non, comme on croit, par le défaut de l’éducation, mais parce que, chez les uns disparaîtrait la déférence due au prestige qui doit être imaginaire pour être efficace, et surtout chez les autres l’amabilité qu’on prodigue et qu’on affine quand on sent qu’elle a pour celui qui la reçoit un prix infini, lequel dans un monde fondé sur l’égalité tomberait subitement à rien, comme tout ce qui n’avait qu’une valeur fiduciaire.
M.Proust - Le côté des Guermantes.

Ce qui disparaît donc dans les sociétés égalitaires ou ultra-démocratiques, qui sont les nôtres, c'est la convention en tant qu'elle est une forme, une manière. Ou plutôt faudrait-il mieux parler de la « phagocytation » d'un imaginaire par un autre. Celui du prestige imaginaire, du prix infini par celui de l'égalité imaginaire puisque du prestige il ne peut plus en être question et que tout doit avoir un prix afin de pouvoir être échangé.

En vain la richesse et la pauvreté, le commandement et l'obéissance mettent accidentellement de grandes distances entre deux hommes, l'opinion publique, qui se fonde sur l'ordre ordinaire des choses, les rapproche du commun niveau et crée entre eux une sorte d'égalité imaginaire, en dépit de l'inégalité réelle de leurs conditions.
A.de Tocqueville.

Si la convention n'est que le masque des inégalités, alors au nom de cette égalité imaginaire elle devra s'effacer. Mais c'est oublier la tyrannie du désir.
Deuxième nécessité, celle de lever le voile, le souci de la transparence, de la révélation. L'apologie du vrai. Il s'agira de tout montrer et de tout voir. Mais il n'en reste pas moins que dire toujours la vérité, toute la dire, on n’y arrive pas, c’est impossible, ce sont les mots qui y manquent.
Double contradiction que le système se doit de surmonter en ouvrant, pour le refermer aussitôt, le monde de l'imaginaire à toutes les transgressions (pornographie...), à tous les témoignages (autofiction, littérature du déballage...)
Dès lors la boucle est bouclée : le mensonge qui nous lie est justifié par ce qui se donne comme la vérité même.