© Henri Martinie / Roger-Viollet

A Patrick Chartrain.

Guillaume Gaulène nait à Toulon en 1887 d'une famille protestante. Son père est militaire. De sa mère je ne sais rien. Est-ce elle qu'il décrira beaucoup plus tard: Son sourire m'irritait, ce sourire un peu triste, doux, si maternel , caressant et humble. Maintenant il me donne envie de pleurer (...) tant elle était fatiguée de cette fatigue que rien ne peut apaiser parce qu'elle se renouvelle sans cesse et qui ne prendra fin qu'à la mort.
On ne connaît pas la date de la mort de Gaulène. Sur le site de la BNF, on peut lire (1887-19...). Une vie qui se dissout dans trois petits points.
En 1913, il publie un premier roman -L'Amour rôde, la mort fait le guet - qui a pour héros un adolescent sensuel et malheureux. Bien que l'ouvrage fut apprécié par Francis Jammes, Gaulène le reniera.
Arrive la Grande Guerre. Il sert, en 1915, dans le nord de l'Artois.
De son expérience militaire, il tire un recueil de contes -Des soldats- publié en 1917. Le livre sera recensé par Jean Norton Cru dans son essai sur les témoignages de guerre : Les contes des tranchés de Gaulène sont d'un soldat informé. Norton Cru relève même quelques phrases qui lui semblent significatives par leur justesse : Ils avaient celle (de manie) de demeurer debout, pendant des heures, campés sur les jambes, leur jumelles en main...Ils se trouvaient trop fiers pour courber l'échine devant la mort. Les Boches surent leur enseigner en cinq secs ce qu'est la visibilité... On aurait dit que celà les amusait de se faire tuer. Je te jure qu'ils avaient l'air de le faire exprès.
A la parution, le critique de L'Intransigeant se montre guère enthousiaste. Le livre n'a droit qu'à un entrefilet : Il y a de tout, dans ce gros livre ; du bon, du mauvais, de l’inutile même si ceci n’empêche pas de le lire ! II est soutenu, d’un bout à l’autre, par une pitié profonde, et l’auteur sait persuader son lecteur (...) M. Gaulène travaille ; c’est plutôt du métier qui lui manque que du talent.
En 1921, Gaulène poursuit son exploration de la guerre, avec Maman et Claude en analysant les relations entre une femme de soldat et son jeune fils. Rien n'a été composé de pareil sur le retentissement de la bataille à l'intérieur du pays pourra-t-on lire dans Les Nouvelles littéraires en juin 1924.
Entre-temps, nôtre homme est entré dans la magistrature, s'est marié. En 1924, il a sept enfant : Je suis assez fou pour avoir eu sept enfants. Fut-il heureux ? Près de quarante après, il écrit : Elle (la femme de son héros) aurait voulu l'interrompre. Elle aurait voulu trouver un de ces mots cinglants dont elle usait jadis aux premiers jours de leur mariage lorsqu'elle travaillait à le dompter, à le domestiquer, à l'user peu à peu jusquu'à en faire une chiffe.
Les années vingt et trente semblent marquer un tournant dans l'oeuvre de Gaulène.
D'un coté des romans historiques - Du sang sur la croix consacré aux galères, J'ai taché à la fois d'écrire un roman historique, un roman d'aventures, un roman d'analyse, Le Comte Serge dont l'action se déroule après la révolution russe.
De l'autre des romans existentiels comme il s'en faisait dans les deuxième et troisième décennies du siècle. Guillaume Gaulène a le goût des destinées non pas seulement tragiques, mais angoissantes, effrayantes. peut-on lire. Entre 1924 et 1926, ce sont deux romans qui forment un diptyque qui paraissent : Mémorial secret et Le destin. Le premier est considéré comme un chef d'oeuvre par la critique. L'histoire est celle d'un groupe jeunes hommes dans une ville de l'Est qui ne croient plus en rien, anéantis par la guerre, incapables de vouloir. Peut-être notre malheur vient-il de ce que nous sommes entre deux religions : l'ancienne, déjà morte, et celle qui, la remplace et que nous ne connaîtrons pas ? Une femme tentera de sauver le narrateur, elle finira prostituée. Victor Craste, ami des surréalistes, critique à L'Humanité, s'il reconnait des faiblesses au roman, notamment idéologiques, en voit cependant toute la force : Lentement quelques individus, hommes et femmes, descendent une pente. Nous suivons leur chemin mais nous savons que ce chemin ne les mène nulle part. La mort. Gaulène reconnait l'influence du Duhamel (l'ouvrage lui est dédié) de La Confession de minuit, de Gide dont il aime l'inquiétude, de Mauriac - Il est malsain, j'aime ce qu'il y a en lui de malsain et de voluptueux - de Massis. A propos de Mémorial secret, dans une lettre adressée en 1926 à Jean Paulhan, Marcel Arland écrit : J'ai la même opinion que vous sur Gaulène. Je viens de demander ses livres précédents, qui ne valent pas celui-ci, sans doute. Si vous lui demandez qqch. pour la revue, il vous donnera sans doute une nouvelle : or elle sera mauvaise, car il ne peut déployer sa force qu’en 200 pages ; en 20 pg., il ne montre que sa vulgarité. C'est le même Arland qui, en 1933, dans une chronique donnée à la NRF, rapprochera Mémorial secret et Le Voyage au bout de la nuit.
Puis vint le silence. Un silence de trente ans.
Alors qu'il a plus de 70 ans, la maison Gallimard publie trois nouveaux roman de Gaulène : Le Vent d'autan (1961), L'assaut (1962), Le saut périlleux (1964).
-Avez vous-lu ce Gaulène, dont je lis le nom partout ? demande Paul Morand à Jacques Chardonne le 29 juin 1962. Les hommes ont la mémoire courte. En effet, en 1932 il avait été créé un prix littéraire (18000 francs) destiné à un jeune littérateur de moins de 25 ans habitant le litttoral méditerranéen. Parmi les jurés figuraient entre autres : Gaulène, Morand, Delteil et Théo Varlet.
Le vent d'autan, roman de la vieillesse écrit au scalpel, le meilleur de la saison pour André Billy. Alors que le village subit les attaques brûlantes du vent d'autan, un homme se souvient. Se souvient-il où sont-ce les souvenirs de son créateur ? Les corps se sont amolis, l'amour a disparu, reste la présence des femmes que l'on a aimées. Et le vent qui souffle. Continuer à vivre ? Choisir la mort ? En quoi mourir est-il plus intéressant que vivre ?
........................................................................................................................................................................................................................................ Ce jour-là, devant chez Boulinier, j'engageai la conversation avec un type. On discuta littérature (Hyvernaud, Clébert, Cabanis) tout en farfouillant dans les bacs. Il me sortit deux livres publiés chez Gallimard et signés Guillaume Gaulène : Le vent d'autan et L'assaut. Il me demanda si je connaissais, je lui répondis que non. Prenez les me dit-il, c'est très bon. J'ai suivi ses conseils.
C'est ainsi que j'ai décidé de partir à la recherche de Guillaume Gaulène.