Il y a dans le chant III de L’Iliade un passage qui ne cesse de me surprendre.
Paris-Alexandre a failli lors du duel qui l'opposait à Ménélas, il ne doit la vie sauve qu'à l'intervention d'Aphrodite qui l'a littéralement dérobé du champ de bataille pour le transporter dans une chambre nuptiale. La déesse se faisant passer pour une vieille tisseuse s'adresse à Hélène et lui demande de rejoindre Paris.
- Toute semblable à la vieille, elle dit, la divine Aphrodite:
Viens par ici: Alexandre t'appelle, rejoins ta demeure !
Il est déjà couché sur le lit ouvragé de la chambre.
Hélène reconnait alors Aphrodite et s'adresse à elle sur un ton pour le moins étonnant.
- Folle déesse ! Pourquoi toujours me convaincre ?
(...)
Va t'asseoir près de lui, renonce aux routes célestes !
Que tes pas ne te reconduisent pas jamais sur l'Olympe !
Souffre toujours près de lui, entoure-le de tendresses,
jusqu'à ce qu'il te fasse sa femme - ou plutôt: son esclave !
Ce que propose Hélène à Aphrodite ce n'est ni plus ni moins que d'abandonner sa condition divine. C'est au fond de ne plus vivre son amour pour Paris par substitution, c'est d'en payer le prix ! Cet échange la déesse ne peut l'accepter. A la colère d'Hélène elle opposera sa propre colère, la forçant par la crainte à rejoindre son amant.
Ce que je trouve très beau c'est que cette rébellion envers la divinité, rébellion avortée, se fait au nom d'une souffrance commune qui s'exprime à travers le courroux. Et je ne peux m’empêcher d'établir un parallèle, sur un mode plus apaisé, avec l'épisode d'Ulysse et Calypso où la nymphe propose à Ulysse l'immortalité qu'il refuse.
- Déesse vénérée, écoute et me pardonne: je me dis tout cela !... Toute sage qu'elle est , je sais qu'auprès de toi, Pénélope serait sans grandeur ni beauté ; ce n'est qu'une mortelle, et tu ne connaîtras ni l'âge ni la mort...Et pourtant le seul vœu que chaque jour fasse est de rentrer là-bas, de voir en mon logis la journée du retour!
Abandonnée par Ulysse, Calypso connaîtra le chagrin...
Les mortels peuvent souffrir par les immortels mais l'inverse est aussi vrai.
Dans les deux épisodes les hommes et les dieux font l’expérience de leurs limites.