Relevé ces deux remarques dans Le Point de vue (1), nouvelle de Henry James écrite en 1882 dans laquelle il se proposait d'établir une description d'une situation (en l'occurence les Etats Unis d'Amérique), en un échange de lettres alternées, représentatives des points de vue aristocratique et démocratique - tous deux éclairées et sincères (2).

On trouve très peu de gens choquants ici - pas vraiment assez en tous cas, à mon avis - même si on rencontre énormément la vulgarité, ce qui est très différend.

A propos de la jeunesse, c'est là que se trouve l'autre danger, la jeunesse est en train de nous dévorer...il y en a plus que pour eux. le pays est fait pour la génération montante, la vie est organisée en fonction d'eux, et ils sont la mort de toute forme de société. On leur parle, on les considère, on s'en réfère à eux, on se prosterne devant eux. Ils sont partout présents et, en leur présence, plus rien d'autre n'existe (...). En ma qualité de femme de cinquante ans, je proteste. J'exige d'être jugée par mes pairs. Mais il est trop tard car plusieurs milliers de petits pieds s'emploient déja activement à piétiner la conversation, et je ne vois pas comment celle-ci pourrait ne pas finir par succomber bientôt (...). Et par enfants, bien sûr, je n'entends pas simplement les très jeunes enfants mais tout ce qui a moins de vingt ans.

Outre la capacité qu'a James de tirer les lignes de fond de la passion démocratique (confusion des rôles, des comportements, refus de toutes hiérarchisations...), traits communs à une bonne partie de son oeuvre, j'ai trouvé dans la deuxième remarque une réponse à une question que je me suis souvent posé.
D'où vient cette étrange façon qu'a le cinéma américain de filmer les enfants ?



Un exemple ici - Captains Courageous de Victor Fleming (1937). Cliquez sur preview.

Longtemps j'ai cru que ces enfants étaient filmés comme des monstres. Je dois avouer m'être trompé. L'enfant comme pervers, c'est plutôt chez James justement qu'on le trouve (Le Tour d'écrou). Ce que le cinéma américain nous montre ce sont des enfants semblables à des adultes, mis à égalité avec les adultes, et même au-delà - rien à voir avec un sentiment de révolte, pourquoi les privilégiés se révolteraient-ils ? - prêts à nous dévorer, à nous piétiner. Terrifiant.



(1) Traduction : Marie-Rita Micalet - Gallimard.
(2) Carnets (mars 1879).




Remerciement à CdZ pour m'avoir mis sur la piste du film de Victor Fleming