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Vous écrivez, à propos de La Guerre des mondes de Steven Spielberg : "A part ça, RAS : enfilade de clichés narratifs et de non-événements".
Partons alors d'une image, un exemple parmi d'autres, celle du train en flamme, train fantôme qui vient déchirer l'écran. Et pour ce faire faisons un détour par un terrain que vous affectionnez, celui de la littérature. Donc, le roman de Wells.

Chapitre VII. Les martiens ont lancé une première attaque dans un coin paisible et isolé de la campagne anglaise. Le narrateur y a assisté, il fuit. Après une longue course, au calme, il se demande si toutes ces choses étaient vraiment arrivées.




Over the Maybury arch a train, a billowing tumult of white, firelit smoke, and a long caterpillar of lighted windows, went flying south-clatter, clatter, clap, rap, and it had gone. A dim group of people talked in the gate of one of the houses in the pretty little row of gables that was called Oriental Terrace. It was all so real and so familiar. And that behind me! It was frantic, fantastic! Such things, I told myself, could not be.

Sur le viaduc de Matbury, un train, tumulte mouvant de fumée blanche aux reflets de flammes, continuait son vaste élan vers le sud, longue chenille de fenêtres brillantes : fracas, tapage, tintamarre, et il était déja loin. Un goupe indistinct de gens causait près d'une barrière de la jolie avenue de chalet qu'on appelait Oriental Terrace. Tout cela était si réel et si familier. Et ce que je laissais derrière moi était si affolant, si fantastique ! De telles choses, me disais-je, étaient impossibles.
(Trad : Henry D. Davray)

Un peu plus loin (chapitre XI), alors que la guerre est maintenant à son apogée :
Les flammes de la voie m'intriguèrent d'abord.(...) Je m'aperçus alors que c'étaient des débris d'un train, l'avant brisé et en flammes, les wagons d'arrière encore sur les rails.

L'avion brisé du film est bien sur est l'équivalent du train brisé du roman.
Mais on appréciera encore plus la manière dont les deux images de Wells sont condensées en celle du train en flamme. Plus subtile la façon dont l'apparition du train fait l'objet d'un renversement dans le film. Objet de la quotidienneté dans le roman, il devient objet de terreur dans le film. Effet d'autant plus renforcé que la foule qui assiste au passage du train ne semble nullement surprise, ne manifeste aucun recul. Ce spectacle fait parti de son quotidien ! Et tout cela à partir de la lecture de quelques lignes et d'une attention portée à ces deux petits mots : firelit smoke.. De l'art de s'approprier des images, de les redéployer, de les faire éclore.
On n'insistera pas sur la beauté visuelle de la scène, son inscription dans l'économie du film - dans sa mise en scène - , sur le jeu d'écho avec l'apparition des cadavres le long du fleuve...
A travers ce simple exemple on aura compris que l'on se trouve bien au-delà d'une "enfilade de clichés narratifs" mais plutôt - vous en conviendrez je l'espère - en présence d'une intelligence, d'une pensée. Celle du cinéma.
Bien à vous.

P/Z