La commémoration du centenaire de la mort de Guillaume Apollinaire m'a incité à feuilleter Les Soirées de Paris,  revue qu'il fonda en 1912.
Le pont Mirabeau  est au sommaire du premier numéro du mensuel daté du février 1912. Le poème sera repris dans Alcools en 1913.

Version 1912 (Les Soirées de Paris)



Version 1913 (Alcools)


Comme on le voit les modifications apportées sont substantielles : suppression de la ponctuation, les tercets deviennent des quatrains, seuls le premier et le dernier décasyllabes des tercets sont conservés, le deuxième étant brisé en deux vers de 4 et 6 pieds avec pour conséquence l'introduction d'une unique rime masculine au deuxième vers.
Tous ces changements renforcent à la fois l'intensité mélancolique du poème et sa musicalité.
Attardons nous sur les deux premiers vers de la version finale.
L'absence de ponctuation, la brisure du deuxième décasyllabe de la version de 1912, la mise en relief des amours créent une ambguïté. Ce que l'on entend c'est : Sous le pont Mirabeau coulent la Seine et nos amours. Ce que l'on lit c'est : Sous le pont Mirabeau coule la Seine /et nos amours. Coule n'a qu'un seul sujet. Le poème est à lire et à écouter dans le même temps. Les amours et les eaux du fleuve sont mêlés mais aussi, et, encore dans le même temps, restitués dans leur singularité. Tout embrasser d'un coup d'oeil, présent, passé, avenir, telle était la mission qu'assignait en 1913 Apollinaire (date de publication d'Alcools) aux jeunes peintres (in Les peintres cubistes). Il écrivait encore : La vision sera entière complète.
Un peu plus loin, il ajoutait toujours dans le même ouvrage :

Chaque divinité crée à son image ; ainsi des peintres. Et les photographes seuls fabriquent la reproduction de la nature.

Guillaume Apollinaire n'était pas un photographe : il était poète