En attendant la météorite, relecture de Lord Jim de Conrad (1).

Lord Jim ou la lâcheté d'un homme qui n'était pas lâche.
Jim - He was an inch, perhaps two, under six feet, powerfully built, and he advanced straight at you with a slight stoop of the shoulders (...) - est un brave type. Il était par son aspect extérieur si typique de cette bonne race stupide que nous aimons dans la vie sentir marcher à droite et à gauche de nous (...). C'était le genre de garçon auquel, sur sa bonne mine, vous confierez le quart (...).
Mais alors qu'il paraissait d'aussi bon aloi qu'un souverain neuf, il y avait quelque alliage abominable dans son métal. Quelle proportion ? Une trace infime (...). En effet par une nuit où l'éternité qui règne au-delà du ciel semblait s'être rapproché de la terre, suite à ce qui semble une collision, Jim et trois de ses compagnons abandonnent Le Patna - "J'avais sauté..."Il s'interrompit et détourna le regard..."Il faut croire", ajouta-t-il -, navire sur lequel sommeillent des centaines de pélerins.
Comment comprendre le geste de Jim, le juger ? Qui est Jim ? Telles seront les questions auxquelles Marlow, le narrateur, sera amené à répondre.
Marlow assiste au procès de Jim.
Les faits que ces hommes étaient si avides de connaître avaient été visibles, tangibles, perceptibles par tous les sens, ils avaient occupé une place dans le temps et dans l'espace, et il avaient requis pour exister un vapeur de quatorze cent tonnes, et vingt-sept minutes d'horloge (...), mais il y avait autre chose aussi, quelque chose d'invisible, un fatal génie de la perdition qui habitait au coeur des faits comme une âme malfaisante dans un corps détestable.(..) Naturellement rien de cela ne pouvait s'y révéler.
Comprendre Jim ? L'exercice peut se révéler périlleux et même vain. Peut-être espérais-je, inconsciemment que j'allais découvrir ce quelque chose, quelque cause profonde qui rachèterait tout, quelque explication qui appellerait miséricorde, quelque ombre d'excuse convaincante. Je ne vois que trop bien maintenant que j'espérais l'impossible (...) la mise en doute de la souveraineté dont est investie une norme de conduite établie. (...) J'avais l'impression que j'étais mis en demeure de comprendre l'Inconcevable.(...) Il me fallait considérer à la fois la convention cachée dans toute la vérité et la sincérité essentielle du mensonge.
Conrad est fondamentalement un pessimiste. C'est lorsque nous essayons de nous colleter avec la nécessité intime d'un autre humain que nous nous rendons compte combien sont incompréhensibles, vacillants et nébuleux les êtres qui partagent avec nous la vision des étoiles et la chaleur du soleil. Tout se passe comme si la solitude était une condition absolue et pénible de l'existence.
Comment alors organiser nos existences ? La réponse de Conrad est sans grandiloquence. En ayant juste le sentiment d'appartenance à une obscure communauté d'hommes unis par la même humble tâche et par la fidélité à certaines normes de conduites (...) et la croyance en quelques notions simples auxquelles vous devez vous cramponner, si vous voulez vivre honorablement et si vous désirez mourir l'âme en paix.
Ce matin je lis à propos du Général Leclerc, maréchal de France l'anecdote suivante. Rappelons que Leclerc rejoint de Gaulle dès le 25 juin 1940. Or c'est le même Leclerc qui en 1936, alors qu'il défile devant Daladier, ordonne à ses cavalier : Pour le fusilleur, saluez sabre. Et ce en souvenir des manifestants de droite du 6 Février 1934.
Quelques notions simples. Sont-ce les mêmes qu'un quotidien du soir qualifiait de traditionnelles ? Ce sentiment d'être redevable à la communauté des hommes qui m'ont précédé. Honneur et fidélité.

Lord Jim - (traduction : Henriette Bordenave) - Gallimard.