Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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mercredi 14 décembre 2005

Portraits croisés



A un jeune homme talentueux qui, lors d'un bref échange à propos de Jean Luc Godard, écrivait : C'est un funèbre dont je me méfie absolument.


(...) il aima, mortes et gisantes, des institutions qu'il avaient fuies jusqu'au désert, quand elles florissaient. Il leur donna, non point des pleurs mais des pages si grandement et si pathétiquement éplorées que leur son éveilla, par la suite, ses propres larmes.
Il les versait de bonne foi. Cette sincérité allait même jusqu'à l'atroce. Cet artiste mit aux concert de ses flûtes funèbres une condition secrète, mais invariable : il exigeait que sa plainte fût soutenue, sa tristesse nourrie de solides calamités, de malheurs consommés et définitifs, et de chutes sans espoir de relèvement. Sa sympathie, son éloquence se détournaient des infortunes incomplètes. Il fallait que son sujet fût frappé au coeur. Mais qu'une des victimes, roulées, cousues, chantées par lui dans le "linceul de pourpre", fît quelque mouvement, ce n'était plus de jeu ; ressuscitant, elles le désobligeaient pour toujours. (...)
Loin de rien conserver, il fit au besoin des dégâts, afin de se donner de plus sûrs motifs de regrets. En toutes choses, il ne vit que leur force de l'émouvoir, c'est à dire lui-même. (...) Il se soumettait l'univers.
Charles Maurras - Trois idées politiques - Chateaubriand ou l'anarchie.

On peut ne pas être complètement d'accord, et penser que les Histoire(s) seront les Mémoires du siècle passé, mais force est de constater qu'il y a là quelque chose de vrai.

Une pétition.

Liberté pour l'histoire.

Emus par les interventions politiques de plus en plus fréquentes dans l’appréciation des événements du passé et par les procédures judiciaires touchant des historiens et des penseurs, nous tenons à rappeler les principes suivants :
L’histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant.
L’histoire n’est pas la morale. L’historien n’a pas pour rôle d’exalter ou de condamner, il explique.
L’histoire n’est pas l’esclave de l’actualité. L’historien ne plaque pas sur le passé des schémas idéologiques contemporains et n’introduit pas dans les événements d’autrefois la sensibilité d’aujourd’hui.
L’histoire n’est pas la mémoire. L’historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux objets, aux traces, et établit les faits. L’histoire tient compte de la mémoire, elle ne s’y réduit pas.
L’histoire n’est pas un objet juridique. Dans un Etat libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’Etat, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire.
C’est en violation de ces principes que des articles de lois successives ­ notamment lois du 13 juillet 1990, du 29 janvier 2001, du 21 mai 2001, du 23 février 2005­ ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites.
Nous demandons l’abrogation de ces dispositions législatives indignes d’un régime démocratique.

Jean-Pierre Azéma, Elisabeth Badinter, Jean-Jacques Becker, Françoise Chandernagor, Alain Decaux, Marc Ferro, Jacques Julliard, Jean Leclant, Pierre Milza, Pierre Nora, Mona Ozouf, Jean-Claude Perrot, Antoine Prost, René Rémond, Maurice Vaïsse, Jean-Pierre Vernant, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet et Michel Winock.