Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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vendredi 26 juin 2009

Americana.



Ils surent nous rendre plus légers.

jeudi 25 juin 2009

Charité.

Ce matin, j'ai acheté le dernier numéro du Magazine Littéraire qui a pour thème la méchanceté.
Une des contributions signée Linda Lé est consacrée à Barbey d'Aurevilly et plus spécialement aux figures féminines dans, entre autres, Les Diaboliques et Une vieille maitresse.
L'article est illustré par cette photo.



En légende on peut lire : Véra Clouzot et Simone Signoret dans la fameuse adaptation des Diaboliques par Henri-Georges Clouzot (1955).

Soyons charitable, on se contentera de rappeler au rédacteur en chef de cette illustre magazine que le film de Clouzot est l'adaptation d'un roman de Boileau-Narcejac intitulé Celle qui n'était plus,et que dans cette affaire Barbey n'y est pour presque rien.
Comme toujours, la vérité réside dans les détails.

mardi 23 juin 2009

Rencontres.

Si il est une chose que l'on aime ici, ce sont les rencontres, celles nées du plaisir de la conversation, du dialogue.

Il y a peu, une amie nous donna à lire cette citation d'Italo Calvino
Ce par où l'étreinte et la lecture se ressemble le plus, c'est ceci : en elles s'ouvrent des espaces et des temps différents de l'espace et du temps mesurables.
Italo Calvino, Si par une nuit d'hiver un voyageur. Je lui répondis par :
Yes.(c'est une citation)
Elle fit alors la remarque que la meilleure définition qu'elle connaissait de la jouissance était celle de L'Aleph, contraction du temps et déploiement de l'espace.
...je vis mon visage et mes viscères, je vis ton visage, j'eus le vertige et je pleurai, car mes yeux avaient vu cet objet secret et conjectural, dont les hommes usurpent le nom, mais qu'aucun homme n'a regardé : l'inconcevable univers.
Le Yes de Molly, dont la dernière lettre est la première du roman, devenait l'équivalent de L"Aleph de Borges.
Cette idée me ravit.

(A l'inspecteur McCoy, s'il traine par ici).

Les grands films sont toujours l'histoire d'un cheminement.



Le héros de Pickpocket finira par rencontrer Jeanne, malgré les obstacles qui peuvent subsister, dans un monde que la divinité embrasse.

A l'inverse, le Nikolaï de Cronenberg



ne rencontrera que lui même dans un monde déserté par Dieu.

vendredi 19 juin 2009

Poussière des jours (2).

Il n'est pas difficile de tirer des leçons lorsque celles-ci vont dans le sens du tempérament qu'on a. Le mien ne me poussait que trop à l'indifférence envers mes contemporains, tant j'étais convaincu qu'ils n'avaient rien à m'apprendre puisqu'ils regardaient le même monde que moi.
Dutourd - La chose écrite.

Se trouvait là exprimé de façon concise mon peu d'appétence pour la littérature contemporaine.
De Dutourd critique, on a déjà parlé ici. De cette façon de tourner autour de l'oeuvre, de l'auteur, sans en avoir l'air, sans y toucher et d'un coup de patte les attraper, non pour s'en saisir mais pour vous les restituer.

Mais Loti mérite un détour. C'est un enchanteur mineur. Et quelle vie pittoresque! Cet homme-là s'est déguisé constamment : en officier de marine, en académicien, en Arabe, en pharaon. Il a joué à l'homme fort, alors qu'il était une faible femme. Il s'appelait Julien Viaud. C'est une petite Tahitienne qui lui trouvé le joli pseudonyme de Loti. On pourrait écrire une biographie de lui sous le titre La Vagabonde.

Un art très particulier qui n'est autre que celui, fort rare, de la générosité.
Si on revient sur Dutourd, c'est que l'on a fait l'acquisition d un recueil de ses textes critiques intitulé La chose écrite (Flammarion). Or ces chroniques ont fait l'objet de précédentes publications au travers de deux autres ouvrages, Contre les dégoûts de la vie et Domaine public, parus chez le même éditeur. Ce fait n'est mentionné nulle part dans la nouvelle édition en un volume, et l'ayant acquise, alors que l'on possédait déjà les deux autres titres, on éprouvât le sentiment de s'être fait avoir. Mais il faut parfois savoir faire preuve de mansuétude, et l'on dira donc que c'est pour la bonne cause (1).

Une fois de plus l'âne basque s'en prend à ma personne.
Nous échangeons deux ou trois mails jusqu'à ce que dans le dernier il m'accuse de vulgarité. J'ai préféré m'en arrêter là. Au fond le plus gros reproche que l'on pourrait lui faire, le reste relevant de troubles comportementaux, c'est justement sa profonde vulgarité, défaut auquel je n'accorde aucune espèce de pardon. Si comme le faisait remarquer un ami, la liberté c'est la possibilité de ne pas faire ce que l'on aurait envie de faire (et de faire ce que l'on n'a pas envie de faire), alors l'être vulgaire est celui qui n'obéit qu'à lui même, un être asservie et qui en jouit.

(1) Sur ce coup, il me faut ajouter que la maison Flammarion fut bien aidée par M. Crépu qui joua le rôle du baron. C'est à la suite d'une critique favorable du directeur de la Revue des deux mondes, à qui j'accorde ma confiance, et dans laquelle il ne mentionnait pas le subterfuge de l'éditeur, que je fis l'acquisition, sans même le feuilleter, du Dutourd.

dimanche 14 juin 2009

Poussière des jours.

Skoteinos n'est plus, mais son esprit rode toujours.
Malgré la pluie qui menaçait, la rue des Écoles était loin d'être déserte et nous nous dirigions vers Gibert. A hauteur de l'institut finlandais, un homme d'origine indienne (ou pakistanaise) vendait des journaux qu'il avait posés en pile sur une table pliante.
- Tiens, Satyajit Ray qui vend Le Monde !
Éclats de rire.

Tiens, Crépu dit du bien de l'Histoire de la littérature française de Paul Guth ; faudra y aller faire un tour.

Voir les productions de Judd Appatow, c'est comprendre que le cinéma américain est, avant tout, un cinéma de la "monumentalité", l'expression d'un réalisme parménidien. Ce que nous disent les films Appatow c'est que la bêtise est (autrement dit : l'Être est), et que la filmer c'est la filmer frontalement, à même hauteur.
Dans son texte intitulé De la France, Cioran définit le goût - la divinité de la France - comme cajolant l'ondulation immédiate des apparences. Ce qui n'enchante pas l'œil (ou l'esprit, c'est moi qui ajoute) est une non-valeur.
La France est donc le pays de la Forme, des formes, afin de mieux apprivoiser cette ondulation, mais la bêtise ne se laisse pas si facilement capturer, elle échappe aux limites, peut tout et se meut au-delà des apparences. Si comme le dit Cioran, il n'y a pas d'esprit moins métaphysicien que l'esprit français, on comprend dès lors qu'il ne reste au cinéma français que la possibilité du jugement. Et il est loin d'être sure que cette posture soit celle qui permet de faire les meilleurs films sur le sujet.

On recommande très fortement l'écoute de ceci.
Remerciements à Philippe L. pour m'avoir fait découvrir Jackson C.Frank.

mercredi 10 juin 2009

Tout se complique.


Il y a déjà un certain temps sur l'ancien blog maintenant disparu, je m'étais interrogé sur les motifs de la représentation d'un Moïse cornu. la réponse classique, que j'avais fait mienne, est celle d'une erreur de traduction de Jérome, traducteur de la Bible en latin. Or, si j'en crois le professeur Thomas Römer dans sa leçon inaugurale au Collège de France, il semblerait que les choses ne soient pas si simples. Reprenons donc depuis le début.
Trois mois après la sortie d'Égypte, les Israélites atteignent le désert du Sinaï, face à la montagne. Moïse répondant à l'appel de Dieu monte alors vers celui-ci afin de recevoir les lois. En voici les trois premières:

Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi. Tu ne te feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux, au-dessous de la terre.
Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car moi Yahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux qui punis la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants pour ceux qui me haïssent... Exode 20, 4-5.

Moïse annonce au peuple les lois, un sacrifice solennel conclu l'Alliance entre Dieu et Israël et Moïse gravit de nouveau la montagne, où il demeurera pendant quarante jours et quarante nuits. Il y rencontre Yahvé qui lui remet les tables du Témoignage.
Son chef ayant disparu, le peuple d'Israël (les citations sont extraites de la Bible de Jérusalem) s'assembla auprès d'Aaron et lui dit : " Allons, fais-nous un dieu qui aille devant nous, car ce Moïse, l'homme qui nous a fait monter du pays d'Égypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé. " Exode 32,1.
Aussitôt dit, aussitôt fait :

Aaron leur répondit : " Otez les anneaux d'or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles et apportez-les-moi. "
Tout le peuple ôta les anneaux d'or qui étaient à leurs oreilles et ils les apportèrent à Aaron.
Il reçut l'or de leurs mains, le fit fondre dans un moule et en fit une statue de veau ; alors ils dirent : " Voici ton Dieu, Israël, celui qui t'a fait monter du pays d'Égypte. " Exode 32, 2-4

Arrêtons nous un instant.
D'une part pour remarquer que le taureau cornu ("le veau") est symbole de puissance dans le monde proche oriental de l'époque, les cornes exprimant la force aussi bien des dieux que des héros ou des princes.
D'autre part, et c'est là un point important, que c'est l'absence de Moïse, son invisibilité, qui révèle la difficulté pour les Israélites de vénérer un dieu qui se veut lui même invisible. L'absence de l'un renforce l'absence de l'autre et oblige à rendre visible le Dieu de la sortie d'Égypte.
Averti par Dieu de ce manquement aux premiers commandements, Moïse descend de la montagne et, pris de colère, détruit le veau d'or et les tables de la Loi.
Moise doit de nouveau gravir le Sinaï afin de renouveler l'Alliance, puis redescend vers son peuple avec dans les mains les deux nouvelles tables du Témoignage.

Lorsque Moïse redescendit de la montagne du Sinaï, les deux tables du Témoignage étaient dans la main de Moïse quand il descendit de la montagne, et Moïse ne savait pas que la peau de son visage rayonnait parce qu'il avait parlé avec Lui. Exode, 34,29.

C'est donc ce passage que Jérome traduisit de l'hébreu par : Et ignorabat quod cornuta esset facies (et il ignorait que sont visage était cornu), traduction qui fut considérée comme fautive par toute la tradition juive et chrétienne.
Mais comment expliquer ce "cornu"? Le mot hébreu utilisé est "Quaran", je suis ici les enseignements du professeur Römer, qui dérive de "Quérèn". Or si 'Quérèn" signifie "rayonnement", il peut également vouloir dire "corne". La traduction de Jérome ne serait donc pas fautive et s'avère dans le contexte pas aussi absurde que l'on pourrait le croire.
Faire de Moïse un homme cornu, c'est transposer sur sa figure la puissance de la représentation du veau d'or et rendre visible, figurer, malgré l'interdit, la puissance divine.
Comme on l'a vu, l'absence de Moïse ne faisait que renforcer l'invisibilité de Dieu, son éloignement. La présence des cornes permet d'oblitérer de futurs veaux d'or, et renforce la présence de Dieu. Moïse devient l'image de Dieu.

Il ne s'est plus levé en Israël de prophète pareil à Moïse, lui que Yahvé connaissait face à face.Deutéronome 34, 10.