Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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vendredi 30 décembre 2005

Les nénuphars.


Pond Lilies at Fair Haven Bay, 1900, photo by Herbert Gleason

O to make the most jubilant song!
Full of music--full of manhood, womanhood, infancy!
Full of common employments--full of grain and trees.

O for the voices of animals--O for the swiftness and balance of fishes!
O for the dropping of raindrops in a song!
O for the sunshine and motion of waves in a song!
Walt Whitman - A Song of Joys

En commentaire à la note précédente J.S écrit : Ah qu'il est dur d'accepter une part de virtuel dans le réel quand on est attaché à la terre!
Quoiqu'il n'ait pas tort quant à un éventuel attachement à la terrre, encore que l'on préfère au mot terre celui de paysage, il nous semble confondre l'imaginaire, le poétique qui est affaire de résonnance et le virtuel qui est de l'ordre du simulacre, du décalque, de la reproduction. Une autre réalité mais pas une réalité autre.

La centrale électrique est mise en place dans le Rhin. Elle le somme (stellt) de livrer sa pression hydraulique, qui somme à son tour les turbines de tourner. Ce mouvement fait tourner la machine dont le mécanisme produit le courant électrique, pour lequel la centrale régionale et son réseau sont commis aux fins de transmission. Dans le domaine de ces conséquences s'enchaînant l'une l'autre à partir de la mise en place de l'énergie électrique, le fleuve du Rhin apparaît, lui aussi, comme quelque chose de commis. La centrale n'est pas construite dans le courant du Rhin comme le vieux pont de bois qui depuis des siècles unit une rive à l'autre. C'est bien plutôt le fleuve qui est muré dans la centrale. Ce qu'il est aujourd'hui comme fleuve, à savoir fournisseur de pression hydraulique, il l'est de par l'essence de la centrale. (...) Mais le Rhin, répondra-t-on, demeure de toute façon le fleuve du paysage. Soit, mais comment le demeure-t-il ? Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande (bestellbar), l'objet d'une visite organisée par une agence de voyages, laquelle a constitué (bestellt) là-bas une industrie des vacances.
Heidegger - La question de la technique, in Essais et Conférences, Gallimard.

Pas autrement que comme un objet pour lequel on passe une commande...voila plutôt ce qu'il nous est dur à accepter, mon cher Jean-Sébastien.
Bonne année à tous.

mercredi 28 décembre 2005

Ecrivez, on vous répondra.


De Gérard Macé je n'avais lu que Le Dernier des Egyptiens, sorte de variation amusante (à peine une vingtaine pages) autour de Champollion.
Du même Macé, je découvre déambulant à la Fnac St Lazare un autre petit livre (16 pages) intitulé Ecrivez, on vous répondra qui comme son nom l'indique est un échange de correspondance.
Macé est un poète - je cherche un accord imprévu dans le bruit du monde, une coïncidence à défaut d'une rime - on comprend dès lors qu'il soit heurté par ce qui est le comble du faux et de la dissonance : Paris-Plage que Macé compare à un décor d'Intervilles dispendieux et saugrenu. Résigné - il sait qu'il ne peut aller à contre courant- mais digne sucesseur des Hydropathes et de Ferdinand Lop, il décide d'écrire une lettre à la mairie de Paris dans laquelle il propose de transformer la butte Montmartre en station de sport d'hiver.
Que croyez vous qu'il advint ?
Par retour de courrier Daniel Vaillant, maire du 18ème, lui répondit que le projet était d'ors et déja à l'étude !
Ainsi va le monde de l'hyperréalité et du simulacre, celui où la différence entre réel et non réel n'existe plus. Ou pour reprendre les termes de Baudrillard, le réel est noyé, enseveli sous la domination des possibles. Il n'est d'ailleurs pas certain qu'il faille en rire.

mardi 27 décembre 2005

Le jusant.



Car nous n'avons rien apporté en ce monde, et il est sans doute que nous n'en pouvons aussi rien emporter.
1 Timothée 6,7. (Trad Lemaistre de Sacy)

L'année n'en finit pas de se retirer, laissant apparaître ce qui fut les vestiges de nos vies. Dans peu, la mer montera et finira par ensevelir ces restes.

Ill : John Wayne (Thomas Dunson) - Red River (1948) - Howard Hawks.

samedi 24 décembre 2005

Au pied du sapin.

When a man ceases to believe in God, he doesn't believe in nothing. He believes in anything.
G K Chesterton.

What kind of liberation would that be to forsake an absurdity which is logical and coherent and to embrace one which is illogical and incoherent ?
James Joyce.

Un joyeux Noël à tous.

vendredi 23 décembre 2005

Lu et vu

Lu sur un blog à propos d'Howard Hawks.
Chez lui les mouvements de caméra, pour ne pas dire les recadrages, sont une façon d'affirmer le monde, d'affirmer un hors-champs, (s'il y a recadrage (par un mouvement de caméra par exemple), il y a hors-champs et monde, puis ensuite je me dis, la mémoire fait partie de ça aussi,
Amusant comme à partir de la même observation, la façon qu'a Hawks de procéder à des recadrages à l'intérieur des scènes (les grands travellings sont plutôt rares et le plus souvent "fonctionnels"), j'en arrive à une conclusion différente. Il me semble justement que chez Hawks, il n'y a pas de hors-champs. Aucun arrière monde, aucune transcendance, juste une adéquation, une coïncidence entre le plan et le monde. Si transcendance il y a, elle fait partie du monde (Only Angels have Wings). Vient alors à l'esprit la première définition de l'Ethique : Par cause de soi, j'entends ce dont l'essence enveloppe l'existence, autrement dit, ce dont la Nature ne peut se concevoir qu'existante.
Ce qui importe pour le héros Hawksien c'est aussi - à l'image de la mise en scène et l'on voit par là que Hawks est un immense créateur -, cette adéquation avec soi même ou pour reprendre les termes de Spinoza : Est libre ce qui se détermine par soi-même à agir, est au contraire contraint ce qui est déterminé à agir par autre chose. Est libre celui qui obéit à la necessité de sa propre nature. L'homme libre pour Spinoza est celui qui ne pense à rien moins qu'à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie. Comment ne pas penser aux personnages de HH.
Ce à quoi vise le cinéma d'Howard Hawks est la joie.

Vu à la télévision une interview des ex-membres de La Mano négra, à propos de la sortie d'un DVD sur l'histoire de ce groupe de rock.
Entendu un garçon nous expliquer qu'il ne voulait pas simplement sortir un DVD de plus à l'occasion des fêtes de fin d'année, stupres marchands etc.., mais que lui et ses camarades avaient eu à coeur de montrer ce qu'était vraiment La mano, ses combats, ses engagements etc... De bien belles paroles.
Je dois avouer que ce type de discours en total contradiction avec les faits et destiné à masquer la réalité - le DVD sort pour les fêtes et c'est un DVD de plus - m'est devenu complètement insupportable. Insupportable dans le sens où il est la marque justement de ce que l'on pourait appeler l'inadéquation. Interstice qui immanquablement devient une béance - le discours est condamné à devenir de plus en plus emphatique et pure gesticulation - dans laquelle s'engouffre ce sentiment qui a pour nom ressentiment. Le contraire même de la joie

jeudi 22 décembre 2005

Il était l'un de nous.


En attendant la météorite, relecture de Lord Jim de Conrad (1).

Lord Jim ou la lâcheté d'un homme qui n'était pas lâche.
Jim - He was an inch, perhaps two, under six feet, powerfully built, and he advanced straight at you with a slight stoop of the shoulders (...) - est un brave type. Il était par son aspect extérieur si typique de cette bonne race stupide que nous aimons dans la vie sentir marcher à droite et à gauche de nous (...). C'était le genre de garçon auquel, sur sa bonne mine, vous confierez le quart (...).
Mais alors qu'il paraissait d'aussi bon aloi qu'un souverain neuf, il y avait quelque alliage abominable dans son métal. Quelle proportion ? Une trace infime (...). En effet par une nuit où l'éternité qui règne au-delà du ciel semblait s'être rapproché de la terre, suite à ce qui semble une collision, Jim et trois de ses compagnons abandonnent Le Patna - "J'avais sauté..."Il s'interrompit et détourna le regard..."Il faut croire", ajouta-t-il -, navire sur lequel sommeillent des centaines de pélerins.
Comment comprendre le geste de Jim, le juger ? Qui est Jim ? Telles seront les questions auxquelles Marlow, le narrateur, sera amené à répondre.
Marlow assiste au procès de Jim.
Les faits que ces hommes étaient si avides de connaître avaient été visibles, tangibles, perceptibles par tous les sens, ils avaient occupé une place dans le temps et dans l'espace, et il avaient requis pour exister un vapeur de quatorze cent tonnes, et vingt-sept minutes d'horloge (...), mais il y avait autre chose aussi, quelque chose d'invisible, un fatal génie de la perdition qui habitait au coeur des faits comme une âme malfaisante dans un corps détestable.(..) Naturellement rien de cela ne pouvait s'y révéler.
Comprendre Jim ? L'exercice peut se révéler périlleux et même vain. Peut-être espérais-je, inconsciemment que j'allais découvrir ce quelque chose, quelque cause profonde qui rachèterait tout, quelque explication qui appellerait miséricorde, quelque ombre d'excuse convaincante. Je ne vois que trop bien maintenant que j'espérais l'impossible (...) la mise en doute de la souveraineté dont est investie une norme de conduite établie. (...) J'avais l'impression que j'étais mis en demeure de comprendre l'Inconcevable.(...) Il me fallait considérer à la fois la convention cachée dans toute la vérité et la sincérité essentielle du mensonge.
Conrad est fondamentalement un pessimiste. C'est lorsque nous essayons de nous colleter avec la nécessité intime d'un autre humain que nous nous rendons compte combien sont incompréhensibles, vacillants et nébuleux les êtres qui partagent avec nous la vision des étoiles et la chaleur du soleil. Tout se passe comme si la solitude était une condition absolue et pénible de l'existence.
Comment alors organiser nos existences ? La réponse de Conrad est sans grandiloquence. En ayant juste le sentiment d'appartenance à une obscure communauté d'hommes unis par la même humble tâche et par la fidélité à certaines normes de conduites (...) et la croyance en quelques notions simples auxquelles vous devez vous cramponner, si vous voulez vivre honorablement et si vous désirez mourir l'âme en paix.
Ce matin je lis à propos du Général Leclerc, maréchal de France l'anecdote suivante. Rappelons que Leclerc rejoint de Gaulle dès le 25 juin 1940. Or c'est le même Leclerc qui en 1936, alors qu'il défile devant Daladier, ordonne à ses cavalier : Pour le fusilleur, saluez sabre. Et ce en souvenir des manifestants de droite du 6 Février 1934.
Quelques notions simples. Sont-ce les mêmes qu'un quotidien du soir qualifiait de traditionnelles ? Ce sentiment d'être redevable à la communauté des hommes qui m'ont précédé. Honneur et fidélité.

Lord Jim - (traduction : Henriette Bordenave) - Gallimard.

lundi 19 décembre 2005

Portaits croisés, Plumes et grues (suite et fin).



...comme un angle à perte de vue de grues frileuses méditant beaucoup, qui, pendant l'hiver, vole puissamment à travers le silence, toutes voiles tendues, vers un point déterminé de l'horizon, d'où tout à coup part un vent étrange et fort, précurseur de la tempête. La grue la plus vieille et qui forme à elle seule l'avant-garde, voyant cela, branle la tête comme une personne raisonnable, conséquemment son bec aussi qu'elle fait claquer, et n'est pas contente (moi, non plus, je ne le serais pas à sa place), tandis que son vieux cou, dégarni de plumes et contemporain de trois générations de grues, se remue en ondulations irritées qui présagent l'orage qui s'approche de plus en plus. Après avoir de sang-froid regardé plusieurs fois de tous les côtés avec des yeux qui renferment l'expérience, prudemment, la première (car, c'est elle qui a le privilége de montrer les plumes de sa queue aux autres grues inférieures en intelligence), avec son cri vigilant de mélancolique sentinelle, pour repousser l'ennemi commun, elle vire avec flexibilité la pointe de la figure géométrique (c'est peut-être un triangle, mais on ne voit pas le troisième côté que forment dans l'espace ces curieux oiseaux de passage), soit à bâbord, soit à tribord, comme un habile capitaine; et, manoeuvrant avec des ailes qui ne paraissent pas plus grandes que celles d'un moineau, parce qu'elle n'est pas bête, elle prend ainsi un autre chemin philosophique et plus sûr.
Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont.

jeudi 15 décembre 2005

Les Plumes Doivent rester adhérentes au Caramel

Prenez des Cailles Vives, fourrées et Dodues, vous les étranglez au Lacet - et les pendez à l'office Pendant vingt-quatre heures - Vous les videz complètement. d'un foie d'oie partagée en six parties - prenez Un morceau plus ou moins - vous le piquez d'aiguillettes fort déliées de Jambon cru et le chevillez de pistaches taillées exprès - vous saupoudrez d'un mélange très fin de Sel de persil Volatil et de Canelle mais en très-petite quantité et vous introduisez cet oeuf Artificiel dans l'estomac Du Sujet - en bouchant l'orifice par quelques raisins de Corinthe. Ensuite vous beurrez du papier convenable et l'aspergez à Vole-main de bon sucre rapé sans qu'il soit trop menu - Puis vous emmaillotez en fuseau et Ficelez chaque caille tout Emplumée pour la faire rotir à une Brochette d'argent.
Vous avez en outre des Patates fraîches d'un beau choix - blanchies au vin de Madère. Vous les coupez par rondelles de Trois Lignes d'épaisseur et les faites sauter à feu ardent dans de la graisse de Tortue ! - Après les avoir légèrement Panées avec une Fine chapelure de Biscuit de Fécule - Or vous dressez sur le plat cette garniture quand vos cailles sont à point après les avoir dépouillées de leur enveloppe. Les Plumes Doivent rester adhérentes au Caramel - Donc vous servez sous cloche pour ne Rien perdre de la chaleur ni de l'arôme de ce savoureux magistère. - Figure au second service pour acolyte du roti principal.
Emile Cabanon (?-1847?) - Un Roman pour les cuisinières (1834) - Edition José Corti.

On ne sait pratiquement rien d'Emile Cabanon, véritable inconnu du romantisme (ni manuscrits, ni correspondance, ni portrait) nous dit son préfacier. Mais retrouvant par hasard ces Cailles Vives, fourrées et Dodues, j'ai eu, je l'avoue, pour vous, Madame, une pensée.



Cette note est dédiée à Madame Beaussart

mercredi 14 décembre 2005

Portraits croisés



A un jeune homme talentueux qui, lors d'un bref échange à propos de Jean Luc Godard, écrivait : C'est un funèbre dont je me méfie absolument.


(...) il aima, mortes et gisantes, des institutions qu'il avaient fuies jusqu'au désert, quand elles florissaient. Il leur donna, non point des pleurs mais des pages si grandement et si pathétiquement éplorées que leur son éveilla, par la suite, ses propres larmes.
Il les versait de bonne foi. Cette sincérité allait même jusqu'à l'atroce. Cet artiste mit aux concert de ses flûtes funèbres une condition secrète, mais invariable : il exigeait que sa plainte fût soutenue, sa tristesse nourrie de solides calamités, de malheurs consommés et définitifs, et de chutes sans espoir de relèvement. Sa sympathie, son éloquence se détournaient des infortunes incomplètes. Il fallait que son sujet fût frappé au coeur. Mais qu'une des victimes, roulées, cousues, chantées par lui dans le "linceul de pourpre", fît quelque mouvement, ce n'était plus de jeu ; ressuscitant, elles le désobligeaient pour toujours. (...)
Loin de rien conserver, il fit au besoin des dégâts, afin de se donner de plus sûrs motifs de regrets. En toutes choses, il ne vit que leur force de l'émouvoir, c'est à dire lui-même. (...) Il se soumettait l'univers.
Charles Maurras - Trois idées politiques - Chateaubriand ou l'anarchie.

On peut ne pas être complètement d'accord, et penser que les Histoire(s) seront les Mémoires du siècle passé, mais force est de constater qu'il y a là quelque chose de vrai.

Une pétition.

Liberté pour l'histoire.

Emus par les interventions politiques de plus en plus fréquentes dans l’appréciation des événements du passé et par les procédures judiciaires touchant des historiens et des penseurs, nous tenons à rappeler les principes suivants :
L’histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant.
L’histoire n’est pas la morale. L’historien n’a pas pour rôle d’exalter ou de condamner, il explique.
L’histoire n’est pas l’esclave de l’actualité. L’historien ne plaque pas sur le passé des schémas idéologiques contemporains et n’introduit pas dans les événements d’autrefois la sensibilité d’aujourd’hui.
L’histoire n’est pas la mémoire. L’historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux objets, aux traces, et établit les faits. L’histoire tient compte de la mémoire, elle ne s’y réduit pas.
L’histoire n’est pas un objet juridique. Dans un Etat libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’Etat, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire.
C’est en violation de ces principes que des articles de lois successives ­ notamment lois du 13 juillet 1990, du 29 janvier 2001, du 21 mai 2001, du 23 février 2005­ ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites.
Nous demandons l’abrogation de ces dispositions législatives indignes d’un régime démocratique.

Jean-Pierre Azéma, Elisabeth Badinter, Jean-Jacques Becker, Françoise Chandernagor, Alain Decaux, Marc Ferro, Jacques Julliard, Jean Leclant, Pierre Milza, Pierre Nora, Mona Ozouf, Jean-Claude Perrot, Antoine Prost, René Rémond, Maurice Vaïsse, Jean-Pierre Vernant, Paul Veyne, Pierre Vidal-Naquet et Michel Winock.

mardi 13 décembre 2005

Nous ne vieillirons pas ensemble.



Michael Cimino - Maurice Pialat.
Une volonté commune de montrer, et rares sont les cinéastes qui montrent, l'irréductible. Ce qui chez l'autre n'est pas réductible à moi, ce qui chez l'autre s'oppose.
Dans Les Paradisiaques, Pascal Quignard écrit avoir été bouleversé par une phrase des Mythologiques de Claude Lévi-Strauss.

La ressemblance n'existe pas en soi : elle n'est qu'un cas particulier de la différence, celui ou la différence tend vers zéro.

L'irréductible logerait donc là. Dans cet intervalle, d'où Cimino et Pialat filme, par définition infini puisque la coïncidence on ne pourra l'atteindre.
Un peu plus loin, Quignard épouve le besoin de radicaliser la proposition de Lévi-Srauss. Le chapitre s'intitule La différence coriace.

La différence ne peut même pas tendre vers le zéro. La différence sexuelle est plus coriace que le zéro.

Il n'y a pas de rapport sexuel disait Lacan. Faille irrémissible.

Sur un tout autre plan comment ne pas songer à ce dialogue de La Folie Almayer de Conrad, et rêver au film que Pialat ou Cimino ne feront jamais, dialogue entre Nina, la fille métisse d'Almayer, et son père.

- As tu oublié ce qui t'a été enseigné pendant tant d'années ?
- Non, interrompit-elle. Je me le rapelle bien. je me rappelle aussi comment cela s'est terminé. Mépris pour mépris, dédain pour dédain, haine pour haine. je ne suis pas de ta race. Entre ton peuple et moi il y a aussi une barrière que rien ne peut supprimer.

Les filles sont des souvenirs étranges de leur père ajoute Quignard en écho.

Cimino et Pialat furent taxés l'un de racisme, l'autre de mysoginie. Contre-sens absolu, aucun mépris ou sens de la supériorité chez ces deux cinéastes. Juste la volonté de nous confronter à ce sentiment quelque peu oublié. Le tragique.

samedi 10 décembre 2005

Un peu de lecture.


Une présentation du beau livre de Rüdiger Safranski : Quelle dose de mondialisation l'homme peut-il supporter ? C'est ici.

A propos des Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme de Friedrich Schiller par Sylvie Bonzon. C'est .

Les choses dites l'étant beaucoup mieux que je ne saurais le faire, je n'ajouterai rien de plus.

vendredi 9 décembre 2005

De la gesticulation


Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison.
Charles de Gaulle.

David Cameron, nouveau leader du parti conservateur britannique a déclaré : I love this country as it is, not as it was.
Etrange conception - mais il semble quelle soit notre lot commun dans les domaines les plus divers -, de la politique comme tautologie, comme simple et unique reflet à la surface d'un miroir baignant dans un temps immobile. Ni passé, ni futur mais un éternel présent. Au Que faire ? de Lénine, David Cameron, simple symptome, répond comme un caméléon par le mimétisme, se contentant de reproduire le mouvement qui l'entoure. De gesticuler.
Au ce qui a été qui peut-être amour déçu ouvrant le chemin boueux du ressentiment et au ce qui est, qu'il me soit donc permis de préférer une fameuse et hors du temps certaine idée.

lundi 5 décembre 2005

Adverbes

Appris, avec étonnement, la création une station de sport hiver à Dubaï, émirat où la température avoisine généralement les 40°. Que souhaiter d'autre aux personnes qui iront skier cet hiver à Dubaï sinon une avalanche vengeresse.

Vu, avec amusement, dans un kiosque un magazine spécialisé dans le sudoku(1) dont l'argument de vente était: Sudokus fabriqués à la main.
Des sudoku naturels en quelque sorte.

Ecouté, silencieusement, à la radio - il était fort tôt le matin, j'ai le rire sonore et ne dors pas seul - une jeune femme expliquer qu'elle préfèrait au terme salle de spectacle, censé qualifier la salle le Boulon sise en la ville du Vieux-Condé, les mots espace potentiel de création ou espace potentiel de rencontre.
L'émission était consacrée au théatre de rue. Un intervenant, faisant l'éloge de cette forme artistique (caractère subversif, sens du détournement, création de lien social et autres billevesées...), s'est tout de même plaint que les urbanistes ne laissent plus au centre des villes des espaces où bateleurs et comédiens puissent se déployer et s'exprimer en toute liberté. Il y voyait une grande menace et appelait à la vigilance.
Pour ma part j'irais même plus loin. Afin de se prémunir contre d'éventuelles intempéries, il faudrait que ces espaces soient couverts. D'autre part - la demande me semble légitime - dans le souci du confort des spectateurs, il serait souhaitable d'y installer un mobilier adéquat.
Je propose d'ailleurs que l'on appelle de tels lieux : espaces de création potentiel. Mais peut-être n'ai-je pas tout compris ?

Lu, jalousement, ces quelques mots que François Mauriac consacra à Jean Cocteau dans la revue La Table ronde de mai 1953. Cocteau avait été défini comme un moraliste dans une note élogieuse parue dans un précédent numéro de la même revue.
Sec comme un coup de trique.

Moraliste ? oui, bien sûr ! Mais pourquoi pas poète, romancier, cinéaste, peintre, dessinateur, metteur en scène, maître de danse? Car n'est-il pas un peu tout cela, et même beaucoup mieux qu'un peu? (...) L'ubiquité, voilà son don authentique et admirable: il est partout chez lui, dans tous les genres, et simultanément, sans même avoir besoin comme Frégoli de passer quelques secondes derrière le décor. Dans le Journal d'un inconnu il va même jusqu'à penser. C'est extrêmement fort. Voilà le moment où la musique s'arrête, où il ne faut pas applaudir, où nous retenons nôtre respiration...
Heureusement, il y a le filet.

Ah mon Dieu! Pourquoi m'avoir fait si peu méchant et si peu talentueux



(1)Le Sudoku (prononcer suudoku), du japonais êî, chiffre, et de doku, unique, est un puzzle en forme de grille inventé en 1979 et inspiré du carré latin ainsi que du problème des 36 officiers de Leonhard Euler. Le but du jeu est de remplir cette grille avec des chiffres allant de 1 à 9 en respectant certaines contraintes, quelques chiffres étant déjà disposés dans la grille.
La grille de jeu est un carré de neuf cases de côté, subdivisé en autant de carrés identiques, appelés régions. La règle du jeu est simple : chaque ligne, colonne et région ne doit contenir qu'une seule fois tous les chiffres de un à neuf. Formulé autrement, chacun de ces ensembles doit contenir tous les chiffres de un à neuf. (via Wikipédia)

samedi 3 décembre 2005

Mon île au loin ma Désirade



Il ya quelques mois j'avais conseillé à S. la lecture de La folie Almayer de Conrad. Le roman n'est pas sans défaut - une intrigue "politique" assez confuse - mais la présence hallucinée de la nature et une scène bouleversante de séparation entre un père et sa fille en font un de mes livres préférés.

Au grand désarroi d'Ali, il se laissa tomber à quatre pattes et, rampant sur le sable, effaça soigneusement de ses mains toutes les traces des pas de Nina. Il amassa le sable en petit tas, laissant derrière lui jusqu'au bord de l'eau une ligne de tombes en miniature.

L'histoire qui se déroule sur l'ïle de Bornéo est celle de la déchéance d'un Hollandais miné par l'alcool, trompé par sa femme malaise et trahi par sa fille métisse.
Les îles peuvent être des lieux d'engloutissement. Combien en avais-je vu de ces blancs-manqués errant dans le quartier du Canérage, faubourg de Pointe à Pitre, entre les putes colombiennes avachies à la porte des lolos, à la recherche d'un dernier verre de rhum ?
A l'espérance d'une vie rêvée, les îles opposent des Grands Fonds où l'on peut aisément se noyer.
S. m'avoua n'avoir guère gouté le roman de Conrad. J'en fus dans un premier temps surpris. Nous sommes le produit des paysages de notre enfance, et j'avais oublié que S. est enfant de la montagne.

Ps : le titre est extrait d'un poème de Guillaume Apollinaire que l'on peut lire ici

vendredi 2 décembre 2005

Premier de cordée.



Y revenir régulièrement. A de telles hauteurs, l'air est frais, revigorant, salvateur.

Je hais une pénitence qui ne serait point une pénitence chrétienne, qui serait une espèce de pénitence civique et laïque, une pénitence laïcisée, sécularisée, temporalisée, désaffectée, une imitation, une contrefaçon de la pénitence. Je hais une humiliation, une humilité qui ne serait point une humilité chrétienne, qui serait une espèce d'humilité civile, civique, laïque, une imitation, une contrefaçon de l'humilité. Dans le civil, dans le civique, dans le laïque, dans le profane je veux être bourré d'orgueil.
Charles Péguy - Notre Jeunesse (1910)

GERARD François (baron) (1770-1837) - Bataille d'Austerlitz, 2 décembre 1805.