Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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jeudi 22 décembre 2016

Guillaume Gaulène


© Henri Martinie / Roger-Viollet

A Patrick Chartrain.

Guillaume Gaulène nait à Toulon en 1887 d'une famille protestante. Son père est militaire. De sa mère je ne sais rien. Est-ce elle qu'il décrira beaucoup plus tard: Son sourire m'irritait, ce sourire un peu triste, doux, si maternel , caressant et humble. Maintenant il me donne envie de pleurer (...) tant elle était fatiguée de cette fatigue que rien ne peut apaiser parce qu'elle se renouvelle sans cesse et qui ne prendra fin qu'à la mort.
On ne connaît pas la date de la mort de Gaulène. Sur le site de la BNF, on peut lire (1887-19...). Une vie qui se dissout dans trois petits points.
En 1913, il publie un premier roman -L'Amour rôde, la mort fait le guet - qui a pour héros un adolescent sensuel et malheureux. Bien que l'ouvrage fut apprécié par Francis Jammes, Gaulène le reniera.
Arrive la Grande Guerre. Il sert, en 1915, dans le nord de l'Artois.
De son expérience militaire, il tire un recueil de contes -Des soldats- publié en 1917. Le livre sera recensé par Jean Norton Cru dans son essai sur les témoignages de guerre : Les contes des tranchés de Gaulène sont d'un soldat informé. Norton Cru relève même quelques phrases qui lui semblent significatives par leur justesse : Ils avaient celle (de manie) de demeurer debout, pendant des heures, campés sur les jambes, leur jumelles en main...Ils se trouvaient trop fiers pour courber l'échine devant la mort. Les Boches surent leur enseigner en cinq secs ce qu'est la visibilité... On aurait dit que celà les amusait de se faire tuer. Je te jure qu'ils avaient l'air de le faire exprès.
A la parution, le critique de L'Intransigeant se montre guère enthousiaste. Le livre n'a droit qu'à un entrefilet : Il y a de tout, dans ce gros livre ; du bon, du mauvais, de l’inutile même si ceci n’empêche pas de le lire ! II est soutenu, d’un bout à l’autre, par une pitié profonde, et l’auteur sait persuader son lecteur (...) M. Gaulène travaille ; c’est plutôt du métier qui lui manque que du talent.
En 1921, Gaulène poursuit son exploration de la guerre, avec Maman et Claude en analysant les relations entre une femme de soldat et son jeune fils. Rien n'a été composé de pareil sur le retentissement de la bataille à l'intérieur du pays pourra-t-on lire dans Les Nouvelles littéraires en juin 1924.
Entre-temps, nôtre homme est entré dans la magistrature, s'est marié. En 1924, il a sept enfant : Je suis assez fou pour avoir eu sept enfants. Fut-il heureux ? Près de quarante après, il écrit : Elle (la femme de son héros) aurait voulu l'interrompre. Elle aurait voulu trouver un de ces mots cinglants dont elle usait jadis aux premiers jours de leur mariage lorsqu'elle travaillait à le dompter, à le domestiquer, à l'user peu à peu jusquu'à en faire une chiffe.
Les années vingt et trente semblent marquer un tournant dans l'oeuvre de Gaulène.
D'un coté des romans historiques - Du sang sur la croix consacré aux galères, J'ai taché à la fois d'écrire un roman historique, un roman d'aventures, un roman d'analyse, Le Comte Serge dont l'action se déroule après la révolution russe.
De l'autre des romans existentiels comme il s'en faisait dans les deuxième et troisième décennies du siècle. Guillaume Gaulène a le goût des destinées non pas seulement tragiques, mais angoissantes, effrayantes. peut-on lire. Entre 1924 et 1926, ce sont deux romans qui forment un diptyque qui paraissent : Mémorial secret et Le destin. Le premier est considéré comme un chef d'oeuvre par la critique. L'histoire est celle d'un groupe jeunes hommes dans une ville de l'Est qui ne croient plus en rien, anéantis par la guerre, incapables de vouloir. Peut-être notre malheur vient-il de ce que nous sommes entre deux religions : l'ancienne, déjà morte, et celle qui, la remplace et que nous ne connaîtrons pas ? Une femme tentera de sauver le narrateur, elle finira prostituée. Victor Craste, ami des surréalistes, critique à L'Humanité, s'il reconnait des faiblesses au roman, notamment idéologiques, en voit cependant toute la force : Lentement quelques individus, hommes et femmes, descendent une pente. Nous suivons leur chemin mais nous savons que ce chemin ne les mène nulle part. La mort. Gaulène reconnait l'influence du Duhamel (l'ouvrage lui est dédié) de La Confession de minuit, de Gide dont il aime l'inquiétude, de Mauriac - Il est malsain, j'aime ce qu'il y a en lui de malsain et de voluptueux - de Massis. A propos de Mémorial secret, dans une lettre adressée en 1926 à Jean Paulhan, Marcel Arland écrit : J'ai la même opinion que vous sur Gaulène. Je viens de demander ses livres précédents, qui ne valent pas celui-ci, sans doute. Si vous lui demandez qqch. pour la revue, il vous donnera sans doute une nouvelle : or elle sera mauvaise, car il ne peut déployer sa force qu’en 200 pages ; en 20 pg., il ne montre que sa vulgarité. C'est le même Arland qui, en 1933, dans une chronique donnée à la NRF, rapprochera Mémorial secret et Le Voyage au bout de la nuit.
Puis vint le silence. Un silence de trente ans.
Alors qu'il a plus de 70 ans, la maison Gallimard publie trois nouveaux roman de Gaulène : Le Vent d'autan (1961), L'assaut (1962), Le saut périlleux (1964).
-Avez vous-lu ce Gaulène, dont je lis le nom partout ? demande Paul Morand à Jacques Chardonne le 29 juin 1962. Les hommes ont la mémoire courte. En effet, en 1932 il avait été créé un prix littéraire (18000 francs) destiné à un jeune littérateur de moins de 25 ans habitant le litttoral méditerranéen. Parmi les jurés figuraient entre autres : Gaulène, Morand, Delteil et Théo Varlet.
Le vent d'autan, roman de la vieillesse écrit au scalpel, le meilleur de la saison pour André Billy. Alors que le village subit les attaques brûlantes du vent d'autan, un homme se souvient. Se souvient-il où sont-ce les souvenirs de son créateur ? Les corps se sont amolis, l'amour a disparu, reste la présence des femmes que l'on a aimées. Et le vent qui souffle. Continuer à vivre ? Choisir la mort ? En quoi mourir est-il plus intéressant que vivre ?
........................................................................................................................................................................................................................................ Ce jour-là, devant chez Boulinier, j'engageai la conversation avec un type. On discuta littérature (Hyvernaud, Clébert, Cabanis) tout en farfouillant dans les bacs. Il me sortit deux livres publiés chez Gallimard et signés Guillaume Gaulène : Le vent d'autan et L'assaut. Il me demanda si je connaissais, je lui répondis que non. Prenez les me dit-il, c'est très bon. J'ai suivi ses conseils.
C'est ainsi que j'ai décidé de partir à la recherche de Guillaume Gaulène.

dimanche 11 décembre 2016

La grève des dieux.



Quelques mots avaient été mis en exergue de la chronique d'Henri Thomas : ceux où il était question de grandes filles majestueuses, de plumes frisées. Juste après H.Thomas évoquait une grande pute assise nue au bord du lit lisant un poème de G. Perros.
Il n'en fallu pas plus.

Une chose généralement ignorée, mon cher Louis, c'est que tous les Dieux se sont mis en grève. Moi même, je ne te saurais pas, si cette circonstance ne m'avait pas été révélée par le vieux savant Nimax, qui possède et lit tous les livres mystérieux où sont écrits les événements dont la connaissance est interdite à la curiosité humaine. Oui, tous ils ont abandonné avec dégoût leurs fonctions et se sont mis en grève, les Olympiens et les Titans, Zeus tempétueux et Iapet dont le corps est écrasé sous le poids de l'île Inarime ; les Dieux aux cent bras, les Dieux bleus, les Dieux serpents et les Dieux tueurs de serpents Hina déesse des Taïtiens, qui s'unit à Titmaa-Raataï appelé à la vie par Taaroa Ganéça dieu de la sagesse, à tête d'éléphant Gangà déesse de la pureté, que, malgré l'austérité de sa vie cénobitique, Ansouman ne put en trente-deux mille siècles faire descendre sur la terre ; le Scandinave Galar, qui, avec le sang du sage Houacer infusé dans du miel, composa une boisson qui donne l'inspiration poétique Phta à la tête d'épervier ; Isis à la tête de vache Ahriman qui refusa d'accomplir la parole et de ceindre le cordon sacré ; Frigga, qui siège avec Odin dans le Vingolf et reçoit dans son sein les braves tombés sur un champ de bataille ; Fréya, qui, abandonnée de son époux, pleure des larmes d'or; et tous les autres Dieux, et même Celui devant qui la foule des Dieux est pareille à des flots de poussière que le vent soulève, ont rompu tout commerce avec l'imbécile humanité, et désormais s'occupent de leurs propres affaires.
Et pourquoi cela ? me direz-vous. Ah! c'est que les Êtres surnaturels ne sont pas entêtés, et ne s'imposent jamais à qui ne veut pas d'eux. L'Homme s'était écrié « Assez de Dieux comme cela, il n'en faut plus » et les Dieux ne se le sont pas fait dire deux fois. Ils ont rendu leurs tabliers et leurs portefeuilles, et se refusent absolument à constituer un ministère. Depuis ce temps-là, bien que nous ne le sachions pas, c'est notre désir, notre passion et notre caprice qui régissent l'univers, règlent le cours des saisons et inspirent les chefs-d'œuvre dans lesquels nous fourrons notre museau avec délices. On pourrait croire qu'il en a toujours été ainsi, car en effet les absurdes événements qui se sont succédé sur la terre ont toujours été préparés et produits par la méchanceté et par la sottise de l'Homme toutefois on se tromperait si l'on croyait que ce fût là une règle sans exception. Autrefois, lorsque l'Homme se montrait par trop bête, quelque dieu, comme nous le voyons dans L'Illiade, lui empoignait les cheveux à pleines mains et le remettait dans la bonne route. Et puis les Immortels avaient encore un autre moyen de contrarier notre lâche habitude.
Lorsque, pareil a un tas de moutons qui courent joyeusement à l'abattoir, le flot humain se précipitait vers l'immense Platitude, comme un fleuve vers l'Océan, ils nous envoyaient des héros et des génies, des Achille, desHomère, des Alexandre, des Eschyle, des Phidias, des Dante, qui avaient pour mission de détourner les chiens, de jeter le trouble, de rompre les dociles courants, et des Hercule, qui emportaient les fleuves où il leur plaisait et tuaient les monstres. Mais ils se sont aperçus récemment que, ne voulant plus de Dieux, nous ne voulons pas non plus d'êtres qui leur ressemblent, et ils ne nous envoient plus de héros ni de génies, car ils ne sont pas contrariants Ils nous avaient donné aussi une maladie qui nous empêchait de manger des choses immondes et de nous traîner dans la fange comme des reptiles, je veux dire l'amour, qui emplissait nos prunelles de ciel, et nous forçait à être divins, et faisait trembler sur nous, pour rafraîchir nos yeux las, le suave frissonnement des ailes de Psyché. Mais nous avons.déclaré que l'amour était du vieux jeu, qu'il nous sciait le dos et nous empêchait de danser en rond. Sans raisonner, les Dieux nous en ont guéris; à présent nous sommes libres de danser en rond comme tous les chevaux du Cirque d'Été; les Énergies et les Lois se sont mises en grève plus rien ne vient mettre obstacle à nos caprices, et nous pouvons donner pleine satisfaction a l'incommensurable soif que nous avions d'être bêtes.
Oui, ceci a été décrété que l'Homme est maître absolu, ne relève plus de rien, et que tout désir formulé par un homme quelconque sera immédiatement accompli. Au commencement de l'hiver, quelques imbéciles se sont écriés: « Ah! s'il pouvait ne pas faire froid cette année Quelle chance si nous n'avions pas de neige! Les Saisons dociles ont obéi, il n'a pas fait froid, nous n'avons pas eu de neige, les larves n'ont pas été tuées dans la terre, et vienne l'été, les moissons et les fruits seront dévorés par les insectes et par les chenilles. Un homme utile passe dans la rue et involontairement heurte un crétin, qui aussitôt se met à dire « Je voudrais que cet animal-là soit crevé. » Au bout de très peu de jours son souhait s'accomplit; le savant, le penseur crève; on se demande pourquoi, c'est parce que le stupide flâneur a souhaité qu'il en fût ainsi. Mais ce ne sont pas seulement nos désis individuels qui se réalisent; notre âme collective sécrète autour d'elle les mœurs qui nous enveloppent et les fabuleux objets d'art parmi lesquels nous sommes emprisonnés. On s'étonne quelquefois que nos représentants enfilent des mots comme on enfile des perles, et parlent souvent pour ne rien dire; mais c'est précisément parce qu'ils nous représentent ! Nous passons notre temps à acheter des chaussettes aux Magasins Géants, et à faire des visites pendant lesquelles s'échangent de nombreux manques d'idées nous nous délectons à lire des récits de crimes sans grandeur et des commérages qui pourraient avoir lieu chez la portière; nous fuyons la poésie comme un chat échaudé craint l'eau froide ou l'eau chaude, nous acceptons comme femmes des manches d'ombrelles garnis de falbalas ruisselants et terminés par une petite tête à perruque peinte de trente-six couleurs.
Puis nous regardons les tableaux de nos peintres et nous nous étonnons de voir que ce sont des expositions d'étoffés et de marionnettes mais ces artistes ont.représenté fidèlement ce que nous avions dans nos prunelles.
Nous lisons le roman nouveau, nous allons écouter le drame en vogue nous admirons ce qu'ils contiennent d'événements dépourvus d'intérêt racontés en mauvais style et nous ne voulons pas voir que; nous Public, nous sommes le véritable artisan de ces œuvres lourdes et fragiles, dontles auteurs n'ont fait que s'assimiler et .exprimer de leur mieux, hélas! la conception particulière que nous nous sommes formée de la Beauté, de la Vérité et de la Justice. Le vin qu'on nous verse nous semble détestable et insipide mais c'est nous qui avons tout fourni pour la vendange, la cuve et le pressoir et le raisin et le phylloxera !
Monsieur Camescasse s'inquiète avec raison. Dès que le gaz est allumé et que les boutiques flamboient, sur tous les trottoirs et sur tous les pavés de la ville glissent dans la lumière, comme des spectres vêtus de satins et de peluches, de grandes filles majestueuses, effrénées, superbes, grandes comme des Sémiramis, et d'autres, mignonnes, toutes petites, fatiguées de sourire et souriant toujours. Elles marchent comme un fléau, comme une force de la nature elles se multiplient, deviennent des vingtaines, des centaines; des milliers, des légions; elles deviennent plus innombrables qu'une invasion de sauterelles leurs jupes cachent la terre et les plumes frisées de leurs chapeaux obscurcissent le sombre ciel. Quand même tous les hommes qui existent sur la terre, subitement métamorphosés en bergers de L'Astrée, et vêtus d'habits en taffetas zinzolin, auraient en même temps la pensée de réciter des madrigaux à ces Églés peintes en rose et à ces Amintes dont les regards sont noyés dans le vide, il n'y aurait jamais assez d'hommes dans le monde pour que chacune d'elles ait son madrigal et quand même chacune y boirait seulement une goutte d'eau, elles auraient bien vite épuisé et mis à sec le symbolique fleuve du Tendre !
Qu'espèrent-elles donc ? Rien du tout. Elles vont, parce que c'est leur destin, éblouissantes, brillantes, ondoyantes, parées commes des châsses, blanches comme de la neige, roses comme les aurores, montrant sur leurs joues l'ombre de leurs cils, plus noircis que le sombre flot du Coçyte. Là-dessus, les philanthropes, les moralistes s'indignent. « Il faut extirper ce fléau, il faut détruire cette peste! a Mais, braves gens que vous êtes, ces demoiselles ambulatoires sont les images mêmes de vos âmes; elles ont été créées par vos froides Passions et vos stériles Désirs, et pour les détruire, c'est vous-mêmes qu'il faudrait tuer, car c'est de vous qu'elles naissent et renaissent sans cesse, et elles ne sont rien autre chose que la figure visible de votre idéal !
Mais cela, nous ne voulons pas en convenir. Du temps que les Dieux nous envoyaient encore des héros et des génies, qui venaient vaincre, chanter, imaginer, créer pour nous et qui ne nous ressemblaient en rien, nous nous plaisions à croire que ces êtres divins procédaient de nous, et que c'était nous qui par leurs mains savions façonner l'inerte matière, et par leurs voix imiter le rhythme harmonieux des astres. Mais au contraire, depuis la grève, à présent que nous sommes vraiment les maîtres, que tout nous obéit, nous trouvons l'ensemble des choses si laid que nous ne voulons plus y être pour rien. 0 mes frères, ne vous bercez pas de cette aimable illusion, et sachez bien au contraire que vous y êtes pour tout !
Elle a été façonnée par vous, la casquette que le rôdeur de barrière chiffonne sur ses jolis accroche-cœur, et c'est grâce à vous que l'églogue amoureuse à deux personnages se sert exactement des mots employés par le consommateur et par le pâtissier en plein vent pour conclure une transaction relative à deux sous de galette Vous avez les dames, les chansons, les chopes, le caféconcert que vous méritez, et les poèmes dont vous êtes dignes. Vous semez des haricots et vous espérez qu'il poussera des lys; mais pas du tout, il ne pousse que des haricots. Les prodiges et les miracles, c'était bon du temps que les Dieux se plaisaient à vous protéger. Mais vous ne voulez plus d'eux, ils ne veulent plus de vous vous leur avez dit: « Allez-vous-en », ils s'en sont allés, ils se sont bien décidément mis en grève, et pour terminer cette grève-là, il ne suffira pas de mettre sur pied la gendarmerie. Si les grands Exilés consentaient à revenir, ce ne serait qu'avec des conditions sérieuses, en vous faisant promettre que vous ne préférerez plus le bonnet de Tabarin au laurier de Virgile, et que vous mettrez aux choses de l'amour un peu plus de raffinement et de délicatesse que les chats sur la gouttière et les chiens errants dans le ruisseau.
En attendant, vous avez de la peine à comprendre que lorsque vous ouvrez la bouche, il n'en sort pas toujours des perles et des pierres précieuses: Ce serait si commode, en effet, de vivre comme des porcs à l'engrais, et de se voir cependant aussi beaux et célestes que des Anges ? Les femmes elles-mêmes se laissent bercer par une telle illusion, et parce qu'elles sont compliquées et friandes, se croient immatérielles. Rentrant très tard après la comédie, une très jeune, gracieuse et mignonne Parisienne, en descendant de voiture à la porte de la maison qu'elle habite, se mit à pousser des cris d'horreur. C'était l'heure sinistre où devant les demeures stationnent, pour parler comme le poète, Ces chariots lourds et noirs, qui la nuit... font aboyer les chiens dans l'ombre. Les manœuvres herculéens aux lourdes bottes accomplissaient avec résignation leur travail on voyait vaguement, noirs dans la nuit, les tonneaux, les boîtes de fer aux larges clous, et les tuyaux de cuir pareils à de longs serpents funèbres.
–« Oh mais c'est affreux, dit la jolie mondaine, comment peut-on tolérer de pareilles infamies ». Un des nocturnes travailleurs ôta de sa bouche son court brûle-gueule plus noir à lui seul que tout le noir paysage, et, sa casquette à la main, dit avec une tranquille ironie :
« C'est de votre faute, ma petite dame. Il fallait vous nourrir de rien du tout, et boire la rosée dans le calice des fleurs ! »

Théodore de Banville, La grève des dieux in Paris Vécu, 1883.

mercredi 7 décembre 2016

Au téléphone.



De Au téléphone, je ne connais que trois versions :
- La première - la moins connue - est le texte original de Charles Foley publié dans L'Echo de Paris.
- La deuxième, la plus fameuse, est l'adaptation théatrale (la première se déroula le 28 novembre 1901) qu'en firent Foley et André de Lorde, le maître du Grand-Guignol, le Prince de la terreur. La pièce faillit même passer au répertoire de la Comédie Française et comme le fit remarquer André de Lorde, il s'agissait de la première tentative de faire du téléphone un élément inquiétant alors qu'il avait été utilisé jusque là que comme élément comique. Ce texte n'est malheureusement disponible que dans une version traduite en anglais sur le net.
- La troisième est la version cinématographique, tournée en 1909, que l'on doit à Griffith sous le titre The Lonely Villa.
On propose ici la nouvelle de Charles Foley qui semble inédite sur la toile.










vendredi 2 décembre 2016

Raoul Lévy



Raoul Lévy (1922-1966) produisit entre autres Et Dieu… créa la femme et Deux ou trois choses que je sais d'elle.
Sous le nom de Bloch, François Chalais en dresse un portrait dans son roman Un été ombrageux paru en 1977.

« Tu en as sûrement entendu parler. Lui vivant, tout pour moi était encore possible. Dans son genre, c’était un grand seigneur. Le dernier de son espèce, car on ne l’a pas remplacé. Producteur aussi natu­rellement qu’on ne peut s’empêcher, malgré toutes les promesses que l’on s’est faites, de franchir le seuil d’un casino, il avait le don de braquer la lumière sur les talents originaux. Berthier, par exemple, lui doit d’avoir pu commencer son œuvre. Les mauvaises langues, et peut-être pas seulement les mauvaises, prétendent que cette œuvre s’est d’ailleurs achevée avec l’appui que lui accordait son protec­teur. La manière de Bernard était inimitable. Lui objectait-on que son protégé était vraiment trop inexpérimenté, qu’il était incapable de filmer dans les règles ? De ses balbutiements infantiles, il eut l’admirable inspiration d’affirmer qu’ils étaient la démonstration d’un nouveau style révolutionnaire de mise en scène, et la preuve qu’une page du cinéma était tournée... Aux incrédules, il rappelait qu’Ana­tole France lui-même, avant de l’adorer, avait fait refuser par ses amis du Parnasse L’ Après-Midi d’un faune de Mallarmé, en disant : « Si nous donnions notre caution à ce verbiage, on se moquerait de nous... » Et de même pour Verlaine, à propos duquel il écrivait — Verlaine venait de sortir de prison, après l’épisode des coups de feu contre Rimbaud : « L’auteur est indigne, et ses vers sont les plus mau­vais qu’on ait vus... » Il n’allait pas tarder cependant à le défendre avec presque autant de vigueur qu’il en mit à épouser la cause du capitaine Dreyfus. Cela suffit pour troubler une France où, si les imbéciles sont certains d’être intelligents, ceux qui ne sont point sots ont toujours la crainte de passer pour des imbéciles...« Plus remarquable encore : ce n’est pas en inter­rogeant Berthier sur sa conception de la technique, sur la poésie de sa vision, encore moins sur sesopinions sociales et politiques, qu’il avait décelé l’étincelle dont il était incontestablement illuminé ; mais en tapant avec lui le carton du gin-rummy, ou en regardant se déhancher des filles à la terrasse de Sénéquier. Ainsi comprit-il que cet homme, que la plupart jugeaient si terne, possédait ce rare trésor : quelque chose à dire. Au moins une fois...
« C’est à Bloch également que l’on doit le raz de marée de Félicie Dubreuilh. Qu’était-ce, cependant, que Félicie Dubreuilh, avant qu’il ne s’en mêlât ? Des cheveux qui n’avaient même pas leur teinte naturelle, une bouche qui confondait faire la moue et jouer la comédie. A cela, soyons justes, s’ajoutait une agréable chute de reins. Faute d’être comé­dienne, savait-elle au moins parler ? Ses familiers les plus inconditionnels auraient trouvé hasardeux de prendre catégoriquement position sur ce point. Evi­demment, personne n’en voulait. Pour en faire quoi ? Je veux dire : sur un écran... Son mari, qui avait des relations dans la presse, mendiait auprès de ses amis la charité d’un cliché ou d’un entrefilet. Ce n’était pas commode. Ses copains devaient se donner du mal. Quand il arrivait en effet, à Félicie, de décrocher un contrat, c’était généralement pour vanter un maillot de bain, ou une crème à épiler... Mais Bernard Bloch avait un sixième sens qui l’aver­tissait des possibilités de l’impossible. Et il a fait d’elle ce qu’elle est devenue, ce monstre adulé, mythologique, dont nul ne songerait à discuter la gloire, qui fut totale et quasi planétaire. Objet de la ferveur des petits Zoulous, comme des derniers ermi­tes du Monomatopa — pour la lune et les Martiens, ce n’était pas encore la bonne année — n’a-t-elle pas partagé en effigie avec Kennedy la couverture du premier magazine américain ?
« Le cinéma ne ressemble qu’au cinéma. Et encore, on n’en est jamais sûr. C’est bien pour cela que le comédien véritable, celui qui veut se rappeler quel est réellement son métier, s’impose régulière­ment de faire du théâtre. Il ne veut surtout pas se perdre de vue... Contrairement à la presque totalité de ses confrères, Bernard Bloch avait compris que le cinéma est un art abstrait. Du vent apprivoisé par un oiseau qui saurait dresser les oiseleurs... Il avait le génie de l’impondérable. Parce que je l’avais flairé, il m’en était, je crois, reconnaissant. Et comme je ne le flattais jamais, sans doute est-ce pour cela qu’il m’aimait. Pas davantage nous ne parlions d’argent. Lui, parce qu’il en dépensait trop pour en avoir. Et moi parce que je n’en avais pas assez pour penser que j’en aurais un jour... D’accord, je n’étais pas tout à fait désintéressé. Mes mains trem­blaient à l’idée qu’il était le seul à pouvoir donner le feu vert à cette nouvelle de Maupassant à laquelle j’avais toujours rêvé de prêter des visages ; ou, pour­quoi pas, à une adaptation — enfin ! — de ce Voyage au bout de la nuit, de Céline, qui ne cesse pas de hanter ceux pour qui, malgré tout, le cinéma est autre chose qu’une industrie... En ce temps-là, tu le vois, je ne doutais de rien... Chaque jour, cet éternel failli s’inventait une ruine qui avait l’appa­rence de la fortune des autres. Pendant un an, il entretint quatre cents éléphants, pour une séquence qu’il voulait tourner, aux confins des Karpates, et qu’il ne réalisa jamais, le fourrage et la litière des animaux ayant dévoré plus de deux fois le budget nécessaire à la rémunération des acteurs et à l’achat de la pellicule. Mais de ce formidable pari on jasa tellement que beaucoup furent persuadés que le film avait été tourné. J’en connais même qui jure­raient farouchement l’avoir vu, et que le résultat en était admirable. C’est cela, pour un homme qui n’est pas un saint, avoir une auréole...
« Tous les dimanches, il tenait table ouverte dans sa luxueuse maison de campagne, qui naturellement n’était pas à lui, bien que ce fût son propriétaire, le chapeau à la main et en s’excusant de le déranger, qui eût l’air de lui verser un loyer. Nul protocole. Le plus souvent, ne lançant jamais d’invitations, il igno­rait qui seraient ses visiteurs. A chacun de savoir s’il était digne de franchir son seuil, et s’il avait obtenu la grâce d’être toléré. Pitié pour ceux qui se trompaient ; et malheur à ceux qui le trompaient. Cet homme était une curieuse combinaison d’amour du prochain et de mépris pour les individus... Sans la moindre domesticité pour officier, il ne prévoyait que deux ou trois gigots, mais de taille, des fromages qui étaient tous des chefs-d’œuvre, et des fruits dont les vasques qui les contenaient rappelaient sa pas­sion forcenée pour la peinture. Au-dessus d’une lourde crédence ciselée dans un bois précieux, ves­tige de cette banalité du XVIII e siècle qui est le luxe du XXe, plantée à même le tapis-brosse de la pelouse, il ne manquait qu’un pan de velours descendu du ciel et une couple de faisans bagués pour compléter la nature morte. Les convives, eux, évoquaient plutôt les mânes grotesques d’un Bruegel habillé par Cardin, après un crochet sur Sunset Boulevard.
« Noble spectacle ! Ils arrivaient, ces glorieux du Gotha, caracolant dans un nuage de poudre auxyeux, metteurs en scène illustres, demoiselles à double définition et à vertu de rechange, requins frisés de la comédie de Paris ou de Hollywood, cérébrales calvities, Balzac du stylo-feutre, Chamfort des lumières de la ville, mêlant toutes les inflexions vocales des Balkans berlitzées à Beverly Hills, un nécessaire à poker dans une manche, dans l’autre un contrat qu’il n’y avait plus qu’à signer, touillant des restes de salade avec des mégots de cigare dont le plus discret avait bien huit centi­mètres, prenant bien garde toutefois d’en laisser en évidence l’anneau chiffré à leurs initiales, la che­mise à grosses fleurs tropicales généreusement ouverte sur des poitrails flasques ou rosés — mais la suprématie de leurs dollars et de leurs marks devait donner à ceux qui les exposaient ainsi l’im­pression qu’ils étaient avantageusement musclés. On achète tout avec de l’argent. Et d’abord la bonne opinion qu’on a de soi.
« Donc, ils étaient tous là, faisant faire des soleils à leurs réputations falotes, médiocres trapézistes qui ne travailleraient que dans la sécurité d’un filet matelassé de carnets de chèques, devant un public d’applaudisseurs à gages. Rien que du caractère gras dans Les potins de la commère ; et la commère elle-même en prime, venue à la pêche aux nouvelles qui font « pschitt ». Aucun déchet, sur ce flipper saugrenu où toutes les billes conduisaient au mot « tilt ». Dans chaque œil brillait le reflet d’un grand film vu par celui qui en avait eu la révélation le premier, puisqu’il en était l’auteur. A détourner la cargaison d’un tel Boeing, on eût réalisé une belle prise d’otages... A peine apercevait-on dans le fond du jardin, derrière l’enclos de la pétanque et du croquet, un petit homme aux mains nerveuses, effaré dans son complet noir trop court à cravate stricte, qui attendait le départ de la meute pour s’appro­cher : le chef comptable. Personne ne semblait remarquer sa présence ; pas plus que Bloch ne pre­nait en considération les trous de sa comptabilité. Les monologues s’amoncelaient et s’enchevêtraient, le sport consistant à hausser progressivement le ton pour ne pas avoir la parole coupée par l’éloquence traîtresse d’un voisin ; le bouquet appartenant en dernier ressort à celui qui, la bouche pleine et le cœur vide, accablerait plus lourdement le maître de maison sous le poids de la flatterie, dans la recherche qu’il croyait finement camouflée d’un profit à plus ou moins long terme.
« Un soir où le caquetage avait été particulière­ment frénétique, Bernard s’était levé de table, très pâle. Il y avait eu un grand silence, comme chaque fois que l’on croyait que Louis XIV allait parler et, pourquoi pas, accorder à Lully ce qui revenait à Molière... Alors, un peu sourde mais détachant la moindre syllabe, sa voix avait repoussé d’un coup jusqu’au souvenir du brouhaha. C’était à moi qu’il s’adressait : « Viens, dit-il, foutons le camp. J’en ai ma claque de tous ces cons... »
(…)
« Cinq minutes plus tard, à tombeau ouvert, virages à la corde, la route avalée avant que les phares aient permis d’en distinguer les accotements, nous roulions dans sa Ferrari noire, tapissée de cuir odorant, dont il ne devait plus au vendeur que les vingt-trois dernières traites d’une série de vingt-quatre.
« Il parlait. Lui qui n’avait pas proféré une parole pendant toute la durée du repas, on eût dit qu’il était maintenant impossible de l’arrêter. Dans un curieux mélange de gêne et d’orgueil, il racontait lesrétablissements insensés grâce auxquels, si souvent, il s’était procuré l’argent de ses films. A New York, par exemple, il avait loué l’appartement le plus somptueux du Waldorf Astoria. Je le vois encoremimer la scène. Il aurait pu être un acteur extraor­dinaire. « Ça va toujours, au Waldorf. Vous acceptez encore les dollars ?... Bon. Mon penthouse est prêt ?... Vous mettrez ça sur mon petit relevé annuel... — O.K., mister Bloch... » Et puis, sans prendre le temps d’ouvrir ses valises ou de jouer comme un enfant, selon son habitude, avec tous les boutons des mille gadgets du confort américain, il avait téléphoné à la galerie de tableaux la plus renommée de la cité. « Bernard Bloch speaking...Prenez un crayon. Et du papier... Vous y êtes ? Notez... Vous avez quoi, en ce moment, comme Van Gogh ?... Parfait. J’en prends deux. Soyez gentil, j’aimerais qu’on me les livre tout de suite...Au Waldorf, évidemment, où croyez-vous que je sois ? A l’Armée du Salut ?... Attendez ! Pour vous éviter de faire le voyage avec une camionnette presque vide, rajoutez donc un Gauguin... tant pis, ça ne fait rien. Je m’en passerai. J’aurais quand même cru qu’une maison comme la vôtre... Enfin, personne n’est parfait... Vous dites ?... Deux ou trois Chagall à la place ? Soit... Et un Paul Klee... Vous me jurez qu’il est bien, votre Rouault ? La dernière fois, un de vos concurrents m’a beaucoup déçu. C’est d’ailleurs pour cela, aujourd’hui, que je vous appelle, et pas lui... Naturellement, un Picasso, quelle question ! Du moment que c’est un Arlequin...Je suis désolé, je n’ai pas une seconde pour me déplacer. Et surtout, j’ai besoin de voir tout ça dans mon environnement personnel avant d’arrêter mon choix. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je suis incapable d’acheter un Renoir sans me rendre compte de son effet à côté de ma brosse à dents... Vous êtes infiniment aimable : j’ai dû apprendre l’humour le jour où les services de votre consulat à Paris ont tamponné mon passeport...Montez directement. Vous ne pouvez pas vous trom­per — j’habite là où l’ascenseur ne va pas plus haut... Vous trouverez ma suite au fond du couloir. La porte double... Inutile d’alerter tout l’hôtel... »
« Le temps pour la camionnette blindée de fran­chir l’espace de trois blocs, on lui avait apporté les toiles. Il les avait disposées, dans un négligé étudié, sur le canapé, sur les fauteuils, jusque dans la salle de bains. Une demi-heure après, il recevait son premier visiteur. Tête de Simon Goldenstein, de la Métro, ou de Bernie Burkhart, de Columbia, devant cette avalanche de trésors éparpillés aussi banale­ment que des pardessus qui auraient raté le crochet d’une patère. « Vous avez sûrement besoin de vous laver les mains ? » commençait-il, en poussant son invité dans la direction de la baignoire, jouissant de la surprise qu’il éprouverait en découvrant un remarquable Kandinsky à cheval sur le porte-ser­viettes. « Que voulez-vous, continuait-il, je suis ainsi. J’ai l’impression de ne plus être moi-même si je n’emmène pas, lorsque je me déplace, une partie de mes tableaux préférés. Les chambres d’hôtel sont si impersonnelles... »
« Impressionnés, les financiers consentaient, et au-delà, les crédits demandés. Bernard n’avait plus, avant de reprendre le premier avion pour Paris, qu’à renvoyer les merveilles au marchand. Non sans condamner, avec quelque morgue dans l’intonation, un envoi qui, décidément, ne convenait pas du tout à ce qu’il avait espéré. On l’avait, en somme, dérangé pour des vétilles. Il avait demandé des œuvres dignes de ce nom et de celui des artistes qui les avaient signées. Pas cette distraction de peintres, un jour qu’ils pensaient manifestement à autre chose qu’à leur rayonnement posthume.
« Mais Bernard Bloch est mort. A quarante-quatre ans. Il s’est suicidé. A cause d’une femme qu’il croyait aimer ; ou ne souffrait-il pas plus encore d’avoir compris qu’elle ne l’aimait pas ? Une femme dont je n’aurais voulu pour rien au monde, pas seulement dans mon lit, mais à ma table, dans un compartiment de chemin de fer, au théâtre, volubile ou muette, brillamment parée ou dévêtue. Comment les drames d’autrui peuvent-ils avoir des ressorts à ce point éloignés de ceux qui provoquent nos propres déroutes ? C’est impensable. Et d’abord, comment peut-on être assez fou pour imposer le silence à son corps pour la seule raison d’un sentiment contrarié ?
« On l’avait retrouvé pourtant, à l’heure qui était jadis celle du laitier, recroquevillé devant une porte qui, tant de nuits, ne lui avait semblé s’ouvrir que sur l’amour. Dans sa main, que l’on avait eu du mal à décrisper, un fusil tiède — encore une facture impayée chez Hermès !... Sans doute avait-il menacé, puis imploré : « Ouvre, sinon je me tue... » Etait-elle là ? Avait-elle imité l’absence, son oreille contre la paroi, terrifiée, mais savourant cette faiblesse, à cause d’elle, d’un homme fort ? Ou bien avait-elle répondu : « Assez de grands mots, laisse cela à tes scénaristes... Tu sais très bien que tout cela n’est qu’une comédie. Ce n’est pas avec ce genre de chantage que... » Ainsi avait fini cet enfant chéri du succès, par un échec dont on ne lui avait même pas attribué le bénéfice. Paris, en effet, n’avait pas accepté cette version des événements. « Pour lui rendre service, décrétèrent ses proches, et ne pas altérer la grandeur de sa mémoire... » Il ne fallait pas que la sottise de son dernier geste gâchât la qualité de l’image qu’emporteraient de lui les temps futurs. Les amis de la dame, d’autre part, avaient fait campagne pour repousser dans l’ombre la vérité de la tragédie. Des gens bien élevés ne sauraient compromettre la réputation d’une femme. Il avait semblé plus simple, et plus honorable, de prétendre que l’accumulation de ses dettes avait été le détona­teur de son désespoir. Comme si cet homme avait jamais eu autre chose, pour toute fortune, que des dettes... Nous avons été peu nombreux à penser que, des dettes, c’est nous maintenant qui en avions envers lui...