Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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lundi 25 février 2008

Journal.


La honte.
Fin de la grève à l'hypermarché Carrefour de Marseille. Après deux semaines de conflit, les employés obtiennent une hausse de 3,05 euros à 3,50 euros du ticket restaurant et une prime de 134 euros payable en bons d'achat utilisables dans le magasin.
Reviennent les mots de Péguy.
Sera-t-il dit qu'il y aura des fronts si courbés qu'ils ne se relèveront jamais.
(...)
Et des voix si noyés de sanglots.
Et des yeux si noyés de travail, et des yeux si noyés de larmes.
Des yeux perdus, des voix perdues.
Péguy, Le mystère des saints innocents.

Amour propre
A. trouve que le billet sur les jeunes femmes qui fument est empli de tristesse, que la tristesse y est même débordante. Je lui réponds que cela est fort possible mais qu'à vrai dire j'ai essayé d'esquisser une attitude, que la chose n'avait pas d'autres prétentions. Elle me dit, que de ce point de vue, c'est plutôt réussi. Je dois avouer que cela me fait plaisir.

Mercredi.
Je n'achète plus l'Officiel des Spectacles. Je ne vais plus au cinéma. Je lis Le Roi Lear.
'Tis the time' plague, when madmen lead the blind.
Dans le monde de Lear, monde à la renverse, espace tragique où l'absence de Dieu fait sentir tout son poids, ce sont les fous qui conduisent les aveugles. A la lecture des journaux, je ne suis pas loin de penser que la situation reste la même mais qu'à la tragédie s'est substituée au mieux le vaudeville, au pire le boulevard.

Vu.
A la sortie du métro, une vieille tzigane est agenouillée. Elle hurle. Face à elle un mouchoir garni de de pièces cuivrés et une canne orthopédique. Elle hurle de plus en plus fort, de la main droite saisit la canne en son milieu et martèle le sol. Au bout de quelques minutes on remarque qu'elle tient de l'autre main un mobile et qu'il s'agit d'une conversation téléphonique qui tourne mal. Mais qui paye l'abonnement ?

Rosset.
Acheté La Nuit de mai de Clément Rosset. Ça se lit en une 1/2 heure (48 pages, 6,50 euros) ; dans la cage du réel Rosset ne commencerait-il pas à tourner en rond ? La présentation du texte est assez curieuse, le livre serait la réalisation d'un plan que l'auteur aurait rêvé, et l'idée directrice assez simple, du moins déja connue : le désir est quelque chose de très compliqué ou plutôt de très complexe. On ne désire jamais une chose, mais plusieurs choses. Il en va d'ailleurs de même pour la joie, on ne peut-être joyeux que de toutes les joies. Comme le fait remarquer Rosset cela a été dit par Proust et Deleuze et j'ajouterais par Rosset lui-même (in La Force majeure). Plus intéressantes sont les digressions à propos de René Girard (si l'objet du désir ne peut-être unique il en va de même pour le je désirant), du communicationnel (le déprimé est coupé du monde) dans l'expérience de la joie, et des héros balzaciens. A partir d'une fine étude de ces derniers, Rosset distingue deux sortes d'égoïstes :
- L'égoïste actif qui au nom de son ambition, de son désir, élimine l'autre.
- L'égoïste passif, beaucoup plus radical, pour qui l'autre n'existe tout simplement pas et qui n'a pas même l'excuse de la passion. Un homme sans passion est un monstre (Le Cousin Pons)
Cependant l'égoïsme possède au moins une qualité, celle d'être le seul à garantir à autrui qu'on le laissera tranquille en toute occasion. Vous ne serez jamais dérangé par quelqu'un qui ne s'intéresse pas à vous.
Il me semble que cette Nuit de mai fait l'impasse sur une autre nuit (j'ai d'ailleurs cru en achetant l'ouvrage y voir une allusion) dont l'objet est, le moins que l'on puisse dire, unique.
Depuis environ 10 heures et demie du soir jusques environ minuit et demi,
Feu.
Oubli du monde et de tout, hormis Dieu.
Joie, joie, joie, pleurs de joie.
En ai profité pour parcourir Un Amour de Swann.
Comme tous ceux qui possèdent une chose, pour savoir ce qui arriverait s’il cessait un moment de la posséder, il (Swann) avait ôté cette chose de son esprit, en y laissant tout le reste dans le même état que quand elle était là. Or l’absence d’une chose, ce n’est pas que cela, ce n’est pas un simple manque partiel, c’est un bouleversement de tout le reste, c’est un état nouveau qu’on ne peut prévoir dans l’ancien.
Au fond chez Proust, plus que l'idée de multiplicité des objets désirés, il y a contamination, échange, entre un objet premier, clef de voute de tout l'édifice, et des objets périphériques qui viennent s'y agréger. Le désir ne se porterait pas tant sur une multitude d'objets désirables que sur ce flux par définition insaisissable.
Reste le mystère de la nuit pascalienne.

Séminaire.
G. veut réhabiliter la fameuse formule : Quand j'entends le mot culture, je sors mon revolver. Je comprends ce qu'il veut dire et il est vrai qu'entre l'esprit Canal+, le Palais de Tokyo, les Inrocks et La Mome, l'horizon semble bien bouché. Mais je persiste à croire que c'est vouloir noyer le bébé en disant qu'il a la gale. Pour ma part je serais plutôt favorable à un éloge de l'académisme. Fumaroli for ever.

jeudi 14 février 2008

Spirale de la connerie.


Le Président de la République propose une mesure idiote et absurde à savoir confier la mémoire (sic) d'un enfant juif français victime de la Shoah à chaque élève de CM2. A chaque petit nenfant vivant son petit nenfant mort. Il serait grand temps de substituer au devoir de mémoire les devoirs d'histoire et de géographie. La chose serait déjà assez ridicule mais les syndicats d'enseignants ont cru bon critiquer la mesure, non à cause de son absurdité mais au motif qu'elle pourrait provoquer des troubles psychologiques (sic) chez l'enfant.
Au secours, ils sont devenus fous.

vendredi 8 février 2008

Parisianisme.


Tetsu (1913-2008)

Une des curieuses conséquences de la loi anti-tabac est d'avoir transformé des centaines d'employées de bureau en hétaïres venues déposer au pied des portes cochères leur ennui et leur dégoût. Elles sont là, frissonnantes, battant la semelle, un bras autour du ventre, l'autre à demi-plié, la main à hauteur du visage, avec au bout des doigts, frêle accent aigü voué à l'effacement, une cigarette qui se consume.
S'il m'arrive d'attarder un regard, elles détournent la tête, les joues creusées par la dernière bouffée, et exhalent un mélange de fumée et de mépris : Kesta toi, tu me prends pour une pute ?

Un placard publicitaire, paru dans le journal Libération, nous informe de la tenue d'un grand meeting à la Mutualité les samedi 9 et dimanche 10 février de 10h à 13 h et de 15h à 18h. Le thème : la culture de l'évaluation (je cite : le fanatisme du chiffre, ce n'est pas la science, c'en est la grimace - J.-A. Miller). Seront présents : Bernard-Henry Lévy, Philippe Sollers, Jacques-Alain Miller, Gérard Miller, Philippe Meirieu, Robert Hue, Catherine Clément et d'autres... The same as usual... je suis même d'accord avec les présupposés du débat mais là où le bât blesse c'est quand je lis : Inscription sur place 60 euros.
60 euros, le moins que l'on puisse dire c'est que ça chiffre, et qu'à ce prix là ils ont intérêt à être bons Sollers et cie... mais j'ai comme l'impression que c'est faire cher payer le micheton.

jeudi 7 février 2008

Note pour moi même.


En ce moment, Gaston de Nueil se sentait poussé vers madame de Beauséant par la secrète influence de ces raisons, ou peut-être par la curiosité, par le besoin de mettre un intérêt dans sa vie actuelle, enfin par cette foule de motifs impossibles à dire, et que le mot de fatalité sert souvent à exprimer. La vicomtesse de Beauséant avait surgi devant lui tout à coup, accompagnée d'une foule d'images gracieuses : elle était un monde nouveau...
Balzac - La Femme abandonnée.

Fatalité/Agencement.
Monde/Paysage.

Vous ne désirez jamais quelqu'un ou quelque chose, vous désirez un ensemble... Quelle est la nature des rapports entre les éléments pour qu'ils deviennent désirables... Je ne désire pas une femme, je désire un paysage qui est enveloppé dans cette femme, paysage que je ne connais pas, que je pressens... Je ne désire jamais quelque chose de tout seul... Je ne désire pas un ensemble, je désire dans un ensemble. Il n'y a pas de désir qui ne coule dans un agencement. Désirer c'est construire un agencement, c'est construire un ensemble.
Deleuze - Abécédaire.