Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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dimanche 11 septembre 2011

Le pari.


Don Quichotte lit le monde pour démontrer les livres. Et il ne se donne d'autres preuves que le miroitement des ressemblances.
Michel Foucault, Les Mots et les Choses.

- Comment, comment ! s’écria Sancho, c’est la fille de Lorenzo Corchuelo qui est à cette heure ma dame Dulcinée du Toboso, celle qu’on appelle, par autre nom, Aldonza Lorenzo (...) Oh ! je la connais bien, reprit Sancho, et je puis dire qu’elle jette aussi bien la barre que le plus vigoureux gars de tout le village. Tudieu ! c’est une fille de tête, faite et parfaite, et de poil à l’estomac, propre à faire la barbe et le toupet à tout chevalier errant qui la prendra pour dame.
(...)
– Je t’ai déjà dit bien des fois, Sancho, répondit don Quichotte, que tu es un grand bavard, et qu’avec un esprit obtus et lourd tu te mêles souvent de badiner et de faire des pointes (...) Sancho, pour ce que j’ai à faire de Dulcinée, elle vaut autant que la plus haute princesse de la terre. Il ne faut pas croire que tous les poëtes qui chantent des dames sous des noms qu’ils leur donnent à leur fantaisie les aient réellement pour maîtresses. Penses-tu que les Amaryllis, les Philis, les Sylvies, les Dianes, les Galathées et d’autres semblables, dont sont remplis les livres, les romances, les boutiques de barbiers et les théâtres de comédie, fussent de vraies créatures en chair et en os, et les dames de ceux qui les ont célébrées ? Non, vraiment ; la plupart des poëtes les imaginent pour donner un sujet à leurs vers, et pour qu’on les croie amoureux, ou du moins capables de l’être. Ainsi donc, il me suffit de penser et de croire que la bonne Aldonza Lorenzo est belle et sage (...) Car il faut que tu saches, Sancho, si tu ne le sais pas encore, que deux choses par-dessus tout excitent à l’amour : ce sont la beauté et la bonne renommée. Or, ces deux choses se trouvent dans Dulcinée au degré le plus éminent, car en beauté personne ne l’égale, et en bonne renommée bien peu lui sont comparables. Et pour tout dire en un mot, j’imagine qu’il en est ainsi, sans qu’il faille rien ôter ni rien ajouter, et je la peins dans mon imagination telle que je la désire...

Telle est la vérité pure : le monde est ce qu'il paraît à chacun, et la sagesse consiste à le créer à notre volonté, fous sans motifs et gonflés de foi dans l'absurde.
Unamuno, La Vie de don Quichotte et de Sancho Pança.

– Eh ! par Dieu, voilà le point, répondit don Quichotte ; et c’est là justement qu’est le fin de mon affaire. Qu’un chevalier errant devienne fou quand il en a le motif, il n’y a là ni gré ni grâce ; le mérite est de perdre le jugement sans sujet, et de faire dire à ma dame : « S’il fait de telles choses à froid, que ferait-il donc à chaud ? » D’ailleurs, n’ai-je pas un motif bien suffisant dans la longue absence qui me sépare de ma dame et toujours maîtresse Dulcinée du Toboso ? car, ainsi que tu l’as entendu dire à ce berger de l’autre jour, Ambroise : Qui est absent, tous les maux craint ou ressent. Ainsi donc, ami Sancho, ne perds pas en vain le temps à me conseiller que j’abandonne une imitation si rare, si heureuse, si inouïe. Fou je suis, et fou je dois être jusqu’à ce que tu reviennes avec la réponse d’une lettre que je pense te faire porter à ma dame Dulcinée. Si cette réponse est telle que la mérite ma foi, aussitôt cesseront ma folie et ma pénitence ; si le contraire arrive, alors je deviendrai fou tout de bon, et, l’étant, je n’aurai plus nul sentiment.
(Traduction : Louis Viardot).

dimanche 4 septembre 2011

Une idée de cinéma.




Le film date de 1970, il est réalisé par Dennis Sanders. Il s'agit d'un documentaire dans lequel le réalisateur filme, entre autres, un show de Presley donné à l'International Hotel de Las Vegas en aout 70. La prestation de Presley est entrecoupée de témoignages de fans. Le film, notamment la partie dédié au concert, est très daté 70 dans son filmage (zooms, split screen) et ne présente guère d'intérêt hormis pour l'amateur de Presley. Cette restriction a son importance puisque c'est justement Presley qui imprime sa mise en scène au film, qui lui imprime son dynamisme. Les mouvements optiques ne sont là que pour donner un habillage technique et n'ont guère de valeur en terme de mise en scène.
Pour clore son show, Elvis attaque Can't Help Falling in Love (1:15 sur la vidéo). la chanson va se terminer et déploie toute sa mélancolie et c'est à cet instant que Sanders filme Elvis qui nous tourne alors le dos (à partir de 2:17). Le plan est alors envahi par la masse des spectateurs. Paradoxalement, en retournant le point de vue Sanders fait de nous, les spectateurs du film, les coauteurs de l'exhibition de Presley. Nous en devenons les metteurs en scène.
Assez curieusement le procédé peut faire penser à ceci :



Mais dans le tableau de Guardi la profondeur est inversée. C'est la foule des vénitiens qui nous tourne le dos ; ce qui ici nous fait face c'est le vide dans lequel flotte le ballon.