Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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dimanche 30 novembre 2008

Choses glanées.



(Mad Men, saison 1, épisode 9)


Ce matin à la boulangerie, tout en faisant la queue au comptoir, je tenais la porte ouverte aux clients qui voulaient entrer. Deux ou trois personnes entrent sans dire un mot. Un homme derrière moi m'adresse la parole.
- Je ne m'y ferais jamais... ils pourraient dire merci... règles de savoir-vivre...
- Vous avez raison... mais bon...c'est mon geste qui compte... savoir faire preuve d'un certain stoïcisme...ne pas ajouter sa plainte à la rumeur du monde.
Un de mes amis m'a récemment dit qu'au fond le stoïcisme c'était bidon. Je simplifie, disons qu'il m'a plutôt dit que la fameuse distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous ne valait pas tripette face à nos névroses. Mon ami croit dans les vertus de la psychanalyse.


Ce dont souffre les personnages de Mad Men c'est une incapacité à être légers. Une incapacité à danser dans les chaines.


Vous danserez en rond : je vous donne la chasse,
A travers fourré, marais, ronce, buisson ;
Je serai tour à tour cheval, ou chien de chasse,
Tour à tour feu ardent, ours sans tête, ou cochon ;
Hennissant, aboyant, grognant, grondant, brûlant,
Comme cheval, chien, ours, cochon, ou feu ardent.
En lisant cet extrait du Songe d'une nuit d'été (traduction Jean-Michel Déprats), j'ai tout de suite pensé à ce passage de Ulysse de Joyce.
Leur chien allait l'amble le long d'un banc de sable en train de fondre, trottant, reniflant dans toutes les directions (...) Soudain il fila bondissant comme un lièvre, oreilles rejetées en arrière, à la poursuite de l'ombre d'une mouette au vol rasant bas (...) Il volta, se rapprochant par bonds, puis au trot, pattes tricotantes. D'orangé un cerf passant, au naturel sans massacre (...) Tendresse méconnue, il les suivait vers le sable plus sec, une rouge loque pantelante de langue hors de sa gueule de loup. Son corps tacheté qui trottait en avant s'allongea en un galop de veau.


- Je m’en serais fort bien passé de découvrir Jason Bourne...pour le reste, je me serais passé de pas mal d'autres choses, il est vrai !
- Je vous avais prévenu ! Le film (2 et 3 ne font qu'un) est un simple constat. Il tire seulement les conséquences d'un nouveau rapport au temps et à l'espace induit par une certaine modernité (or c'est cette modernité que vous n'appréciez pas). Pour ma part, je trouve qu'il a le mérite de le faire avec intelligence même si je comprends, ce que je crois être, votre point de vue.
- Oui, j'ai relu votre note de l'époque et à mon tour je crois comprendre en quoi ce constat serait intelligent, mais je n'ai plus envie d'y aller voir, sauf si vous me dites en quoi ce constat diffère, mettons, du dernier Bond.
- Je n'ai pas vu le dernier Bond...mais pour faire court, je préfère voir ça que le dernier Honoré... Plus sérieusement, je me répète, mais je trouve remarquable cette capacité du cinéma américain de série, peut-être parce qu'il est au cœur du système, d'apporter des réponses en termes cinématographiques : ça veut dire quoi filmer un espace à l'heure des réseaux...etc. Pour prendre un ex : il faudrait rapprocher la scène des retrouvailles entre Charysse et Taylor, dans Party Girl, après l’opération de ce dernier (Ray filme, la distance, la séparation, l'effort qu'il faut à deux corps pour se rencontrer), et la scène de la gare de Bourne 3 où des corps bien qu'ils ne partagent pas le même espace se frôlent et s'évitent. Il y a là des évolutions, doit-on dire anthropologiques, que le cinéma nous aide à penser, mais faut-il encore qu'il nous les montre...Maintenant si vous voulez me faire dire que Party Girl est supérieur aux trois Bourne, je vous l'accorde bien volontiers.

lundi 24 novembre 2008

Choses lues et entendues.

Lu dans Libération du samedi 22 et 23 novembre 2008, ce témoignage paru dans un livre rendant hommage aux petites épiceries arabes.
« Quelqu’un rentre chez moi, même si ça coute 1,75 euros, parce que j’suis Arabe, j’suis un voleur », s’insurge un autre épicier.
Outre que je ne comprends pas pourquoi il fait de 1,75 euros un absolu, je permettrai d’apporter une correction à la remarque de cet aimable commerçant. Il me semble qu’il eut été plus proche de la vérité s’il avait déclaré :
« Quelqu’un rentre chez moi, même si ça coute 1,75 euros, j’suis un voleur, parce que j’suis épicier arabe ».
Comme on peut le voir tout est question de nuance.

Entendu, en mangeant des pâtes et du jambon, sur France-Inter, le 23 novembre 2008, une auditrice de l’émission Le Masque et la plume regretter dans un courrier, que les critiques invités (hommes et femmes) n’utilisassent pas le mot écrivaine à propos de je ne sais quel écrivain. Certes, mais le mot n’est pas très seyant. Je n’aurais guère attaché d’importance à cette énième manifestation du nouveau catéchisme, si elle ne m’était revenue à la mémoire à l’écoute des informations matinales du 24 novembre sur France Culture. Le journaliste analysant le tumulte qui saisit le Parti socialiste, parla d’une querelle de chiffonniers. Pour ma part, et puisqu’il faut rendre à Gervaise ce qui appartient à Xanthippe, j’aurais plutôt évoqué une querelle de chiffonnières.

Pendant ce temps, l’International Herald Tribune daté des 22 et 23 novembre 2008 nous informe que :
« Russia’s élites, including President Medvedev, look on China’s rising diplomatic and economic successes in Latin America and in Africa with envy, » said Stephen Kotkin, the director of Russian studies at Princeton University. « They also perceive an opportunity much exaggerated, to send the U.S. a message in its supposed backyard.
Tandis que Le Monde nous apprend qu'il s'est trouvé huit députés (5 UMP, 1 NC, 2 PS), les seuls présents dans l'hémicycle, pour voter à l'unanimité une loi interdisant la conservation des urnes funéraires à domicile. C'est les Chinois qui ne vont pas être contents.

Lu avec amusement dans la presse (Le Monde, Libération) l’insistance mise sur le parcours universitaire (EHESS, diplôme d‘archéologie…), l’origine sociale (fils et filles de la bonne bourgeoisie), le parcours professionnel (une telle est décrite comme musicienne, une autre comme comédienne alors que son seul titre de gloire est d’avoir joué dans l’équivalent helvète d’Hélène et les garçons) des jeunes pieds nickelés dits de Tarnac. Je n’ai rien contre ces jeunes gens, mais on ne peut manquer d’y voir la formulation d’un prosaïque : « D’accord, ils ont déconné mais ils sont des nôtres ». Il n’est pas certain que le jeune skin, bas du front, titulaire d’un CAP de tourneur et fils de prolo, bénéficie, pour d’identiques incartades, de la même mansuétude.

Lu, dans le n° de l’IHT déjà cité, la critique d’une biographie "autorisée" consacrée à V.S. Naipaul. Il en ressort que Naipaul est un monstre à l’égoïsme illimité et au narcissisme sans fond. Le critique - son article est intitulé V.S. Naipaul : un homme aux multiples contradictions- conclut son papier en faisant remarquer que si Naipaul a dans ses écrits la capacité de se projeter dans ses personnages, s’il sait faire preuve d’empathie, il n’en n’avait été de même avec ceux dont il était le plus proche. Mais faut-il y voir une contradiction ? Car si Naipaul avait été sensible aux maux de ses proches, aurait-il alors trouvé les mots destinés à décrire le monde ?

vendredi 21 novembre 2008

Demain.

Demain je vais avoir quarante neuf ans. Curieusement, j'ai cru, jusqu'à ces dernières semaines, que j'allais en avoir cinquante. Je fus déçu lorsque l'on me corrigea. Quelle valeur symbolique attacher au nombre 49 ? Il ne portait en lui la marque d'aucune étape, d'aucun palier. Trop près, trop proche. Juste une année de plus ou de moins selon le point de vue d'où l'on se place. Je tentai de me consoler en me disant, qu'au bout du compte, j'avais la satisfaction de vieillir moins vite que je ne le croyais.

Mon corps s'est réconcilié avec ses infirmités,
Mon cœur se réfugie dans ses propres mystères.
Je m'assieds, calme près du petit étang,
Attendant que le vent entrouvre mon revers.
Bai Juyi (Traduit du chinois par J. Pimpaneau)

dimanche 16 novembre 2008

Décousue.


Le samedi, après avoir déjeuné avec les contrebandiers, je reprends mon vélo. La pratique du cyclisme dans les rues de la capitale après avoir bu des verres de Gamay ajoute à l’ivresse. Non pas on ne sait quel sentiment de puissance, l’ivresse n’est pas la soûlerie, mais tout au contraire la conscience de sa faiblesse, qui oblige à la ruse. Après avoir descendu une bonne partie de la rue de Rivoli, je m’arrête chez WHSmith où j’achète le Times Literary Supplement. J’aime bien le TLS alors même, il faut bien l’avouer, que je ne comprends pas tout. Si je mentionne cette habitude c’est que je viens de terminer la lecture de Promenades sous la lune de Maxime Cohen, ouvrage dont la qualité première est son inactualité mais dont on peut regretter qu’il ne soit pas exempt d’une certaine préciosité. Dans un de ses chapitres, M. Cohen fait l’éloge du style du Times Literary Supplement dans lequel il voit « un mélange de paradoxes, d’excentricités, d’oxymores et de rosseries. » Avec subtilité, l’auteur rapproche oxymore et paradoxe, ce dernier n’étant, selon lui, qu’un oxymore conceptuel et donne pour exemple la formule suivante : Le journalisme consiste à expliquer aux autres ce qu’on n'a pas compris soi-même. Or, coïncidence qui me fait dire que nous vivons chez Leibniz, il se trouve que dans le dernier n° du TLS en ma possession, on peut lire un article consacré à un livre répondant au titre de Oxymoronica écrit par le Docteur (Dr) Mardy Grothe. Comme le constate Cohen, le TLS est écrit sur un ton identique depuis plus de cent ans, et il me plait de constater qu’il existe encore des originaux outre-Manche, que, dans notre pays, les mouvements anarcho-autonomes comptent pour une dizaine de membres au moins trois flics des renseignement généraux et deux balances. Le monde ne change guère, du moins en ses parties, encore que j’ai découvert que Christophe Bourseiller est devenu un spécialiste de l’ultra-gauche (sic) alors que je l’avais quitté jeune puceau, amoureux transi de Danièle Delorme. Je dois dire que je ne suis pas arrivé à le prendre au sérieux. Le Dr Grothe a donc compilé quelques oxymores sous la forme anglo-saxonne du paradoxe : Nous le payons trop cher mais il le vaut (Samuel Goldwyn à propos d’un scénariste), La vrai dignité de l’homme réside dans sa capacité à se mépriser (Santayana) ou Mes meilleurs idées ont été volées par les Anciens (Emerson). Le critique du TLS constate que, malheureusement, M. Grothe ne peut s’empêcher d’apporter des explications, alors que le mot d’esprit, comme le koan zen, se suffit à lui-même et doit provoquer une étincelle dans l’esprit du lecteur. Je parcourais, assez rapidement, le dernier tome du Journal de Renaud Camus et ne pouvais m’empêcher de penser, malgré la beauté du style, la justesse des idées, que cela manquait non pas d’humour, le mot est par trop galvaudé, mais de cet esprit par lequel on n'essaye pas tant de convaincre, convaincre c’est vouloir amener l’autre sur mon terrain, que de surprendre, c'est à dire de rendre l’autre étranger à son propre terrain. Pour conclure cette note déjà trop longue, et revenir au TLS, je me contenterais de retranscrire sans les traduire, c’est plus goûteux, les derniers mots du critique du Times Literary Supplement :
At least we have the oxymorons. If you ignore the parts written by the author, this is a good book - let’s hope the doctor includes that in the future edition of Oxymoronica.

mardi 11 novembre 2008

Coup de foudre.

Aux contrebandiers de Moules-frites.

30 avril 1828 - Ce matin, nous avons revu la villa Ludovisi ; nous sommes plus charmés que jamais par les fresques du Guerchin ; c'est une passion subite et qui, chez une de nos amies, va jusqu'à l'exaltation. C'est un peu ce qu'en amour on appelle le coup de foudre. Un instant vous révèle ce dont votre cœur avait besoin depuis longtemps sans se l'être avoué à lui-même. Elle aimait beaucoup la délicatesse des femmes du Guide, et voilà que tout à coup elle adore le Guerchin, qui est tout l'opposé!
Promenade dans Rome, Stendhal.

vendredi 7 novembre 2008

Portrait of the artist as a living man.



Mort d'un jardinier, de Lucien Suel (La Table Ronde).

Un homme en son jardin. Il ne flâne pas, il y travaille. Il frappe et coupe et creuse et arrache et scie et brûle. Sectionne et met à nu. Sous la terre, la vie, l’impatience, est là qui pousse. Une voix (le même homme), le narrateur, invisible. Son jardin à lui est fait de mots. Il les fouaille, les choisit avec précision, on ne plaisante pas avec ces choses là. Il s’adresse au jardinier, restitue ses gestes, se souvient, le tutoie.
Tu récoltes que ce que tu as semé, tu commences par le rouge et le vert, premiers radis premières laitues, gotte jaune d’or ou reine de mai…
Ils savent que le monde est imparfait. Que faire ?
…tu crois avoir trouvé la bonne méthode en cultivant ton jardin, en mêlant le vulgaire et le sacré, en devenant une sorte de passéiste moderne ou de moderne archaïque, de toutes les façons personne n’a de solution…
Vivre au rythme du temps et des saisons. Mais un jour c’est le cœur qui refuse de battre la cadence.
…tu as la tête qui tourne, la peur se mêle à la douleur, un vertige te saisit, tu plies les genoux, tu tombes au milieu des bûches fendues.
La mort est là, elle a toujours été là. Le temps s’arrête. Advenue de l’à-présent. Le monde, il faut le raconter au présent pour que chaque instant du passé soit à l’ordre du jour - jour qui n’est autre que le dernier.
Surgissent alors les souvenirs : l’enfance, les voyages, les livres lus, les livres écrits, les musiques écoutées, les bières bues, les rêves, la femme aimée, l’humus sur lequel le jardinier s’est fait homme. Chaque image apparaît comme un flash puisque comme l’a si bien dit Walter Benjamin : «L’image authentique du passé n’apparait que dans un éclair, image qui surgit que pour s’éclipser à jamais dès l’instant suivant » 
…tu retrouves le goût de toutes les bouches qui se sont ouvertes sur la tienne, de toutes les langues qui t’ont caressé, tu marches dans les sous-bois, tu descends vers la rivière, ton cœur bat très fort, tu sens une odeur de framboise, une douceur ineffable…
Les mots se mettent à échapper au temps, appartiennent à des temporalités complexes,
…tu entends des voix lointaines étouffées par la distance, tu ne les entends pas ici dans tes oreilles, tu les entends ailleurs dans ta chambre d’enfant assis en larmes au milieu de ton lit mouillé.
et finissent par rejoindre la grande cohorte des mots déjà écrits par d’autres, la grande cohorte des morts (mémère Rachel, parrain Fleury, Christophe Tarkos, le grand-père, Jack London, Kathleen Ferrier, William Burroughs, Léon Bloy, Huysmans, Albert Ayler, Bernanos, Sun Ra…) qu’ils auront la force de faire revivre. Car, mystère des mystères, il est dévolu à chacun de nous une parcelle du pouvoir messianique.
…tu es mort.
Le monde continue.
…le rouge gorge s’envole, se pose sur le sureau, son chant liquide et mélancolique résonne à travers tout le jardin…
Et on entend, comme un écho empli d‘une douleur à venir, le nom d’un poète.
…une vache qui meugle, le chien des voisins qui aboie, puis quelques minutes plus tard, une voix qui t’appelle encore et encore, une voix qui crie ton nom à l’entrée du jardin.
Lucien Suel est bien vivant et il nous le prouve de la plus belle des manières. Fortement recommandé.

mercredi 5 novembre 2008

Flash forward.