Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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vendredi 30 septembre 2005

Petite anthologie de poésies zexotiques

A la Lousiane

Sous l'azur enflammé le vieux Mississipi
Fume. - Il est midi. - Les tortues
Dorment. Le caïman aux mâchoires pointues
Bâille, dans le sable accroupi.

Les cloches ont sonné le breakfast dans la plaine ;
Et l'on n'aperçoit plus, là-bas,
Dans les cannes à sucre et dans les verts tabacs,
Les nègres aux cheveux de laine.

Tandis que sur les champs où gisent les paniers
Des noirs étendus dans leurs cases,
Le soleil tombe droit et dessèche les vases
Nourricières des bananiers,

Chez Jefferson and Co, dont le coton, par balles,
Gorge Le Havre et Manchester,
On siffle le petit Africain Jupiter,
Un rejeton de cannibales !

Jupiter, négrillon vorace et somnolent,
Qui chérit l'éclat blanc du linge,
Un large éventail jaune entre ses doigts de singe,
S'avance d'un pas indolent.

Or, préférant, selon toutes les conjectures,
La cuisine à la véranda,
Il évente, rêveur, sa maîtresse Tilda,
En digérant des confitures.

Et, cependant qu'il suit de son gros oeil d'émail
Les zigzags sans fin d'une mouche,
L'ivoire de ses dents brille au bord de sa bouche,
Entre deux croissants de corail.

Un jour discret emplit la véranda tranquille,
Filtré par les feuillages verts ;
Les stores de rotin au hasard entr' ouverts
Laissent passer des fleurs par mille.

Nul bruit. - L'éventail bat l'air tiède et parfumé
Avec un soupir monotone ;
Un griffon de Cuba, muet, se pelotonne
Ou s'étire, ingrat trop aimé !

Deux splendides aras, de leur perchoir d'ébène
Lancent, assoupis, des clins d'yeux
Sur l'enfant noir, objet de leur secrète haine,
Et sur le Havanais soyeux.

Un macaque chéri, jeune mais blasé, grave
Comme au Sénat le Président,
Crève, plein d'insolence, et du bout de la dent,
La peau jaune d'une goyave.

Au-dehors les crapauds se taisent dans les joncs
Mystérieux des marécages.
Les moqueurs alanguis ont cessé dans leurs cages
De contrefaire les pigeons.

Miss Tilda Jefferson, une enfant paresseuse,
Paresseuse créolement,
Abandonne son corps au tangage charmant
Et doux de sa large berceuse ;

Elle est pâle, très pâle, avec des cheveux bruns,
Dans son peignoir de mousseline.
On voit à la blancheur de l'ongle à sa racine
Que son sang noble est pur d'emprunts.

Le balancin de canne où miss Tilda repose
Obéit à son poids léger ;
La chère créature au doux nom étranger
A l'oreille porte une rose.

Sa suivante Euphrasie, en madras jaune et bleu,
Aux grosses lèvres incarnates,
Rit, sans savoir pourquoi, dans un coin, sur les nattes,
Humant sa cigarette en feu.

Miss Tilda Jefferson fait la sieste ; elle rêve ;
Elle pense à son doux ami ;
Ses admirables yeux sont fermés à demi
Son nègre l'évente sans trêve.

L'oeil clos, miss Tilda suit Davis Brooks, son amant,
Sur les houles de l'Atlantique,
Tandis que Jupiter, harcelé d'un moustique,
La contemple piteusement.

Elle voit son Davis, tête hâlée et fière,
Sur le pont du schooner " The Fly ",
Qui fume, accoudé sur l'habitacle poli,
En casquette à longue visière ;

Le schooner roule et tangue, et ses mâts gracieux
Jettent leur ombre sur les lames,
Et l'ombre des huniers, des espars et des flammes...
Davis Brooks paraît soucieux.

Miss Jefferson sourit - (le fin navire lofe
Et s'éloigne), - ses doigts mignons
S'agitent faiblement, délicats compagnons
Du sein qui tremble sous l'étoffe.

Ainsi, sur l'Océan, où croise son amour,
La blanche miss Tilda s'égare,
A laquelle ce soir, en brûlant un cigare,
Trente planteurs feront leur cour.

Mais, hélas ! insensible à tant de poésie,
Jupiter pousse un cri plaintif,
Et dans son coin obscur, toujours sans nul motif,
Rit la mulâtresse Euphrasie.

Autour d'eux le chien blanc, les perroquets pourprés
Et le singe roux, tout sommeille ;
Le vent qui passe apporte, avec un bruit d'abeille,
L'odeur des ananas dorés.

Ernest d' HERVILLY (1839-1911)

Afrique occidentale
A Léon-Paul Fargue

Dans la véranda de sa case, à Brazzaville,
Par un torride clair de lune congolais
Un sous-administrateur des colonies
Feuillette les « Poésies » d’Alfred de Musset...

Car il pense encore à cette jolie Chilienne
Qu’il dut quitter en débarquant, à Loango...
– C’est pourtant vrai qu’elle lui dit "Paul je vous aime",
À bord de la Ville de Pernambuco.

Sous le panka qui chasse les nombreux moustiques
Il maudit « ce rivage où l’attache sa grandeur »,
Donne un soupir à ses amours transatlantiques,
Se plaint de la brusquerie de M. le Gouverneur,
Et réprouve d’une façon très énergique
La barbarie des officiers envers les noirs...

Et le jeune et sensitif fonctionnaire
Tâche d’oublier et ferme les yeux...

"Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre
Marchait et respirait dans un peuple de dieux,
Où Vénus Astarté, fille de l’onde amère... ?"

Henry Jean-Marie LEVET (1874-1906)

Bungalow

L'habitation est petite mais très confortable
La varangue est soutenue par des colonnes de bambou
Des pieds de vanille grimpante s'enroulent tout autour
Des pois d'Angole
Des jasmins
Au dessus éclatent les magnolias et les corolles des flamboyants

La salle à manger est aménagée avec le luxe particulier aux créoles de la Caroline
D'énormes blocs de glace dans des vases de marbre jaune y maintiennent une fraicheur délicieuse
La vaiselle plate et les cristaux étincellent
Et derrière chaque convives se tient un serviteur noir
Les invités s'attardent longtemps
Etendus dans des rocking-chairs ils s'abandonnent à ce climat amollissant
Sur un signe de son maître le vieux Jupiter sort d'un petit meuble laqué
Une bouteille de Xérès
Un seau à glace
Des citrons
Et une boite de cigares de Pernambuco

Personne ne parlait plus
La sueur ruisselait sur tous les visages
Il n'y avait plus un souffle dans l'air
On entendait dans le lointain le rire énorme de la grenouille-taureau qui abonde dans ces parages

Blaise Cendrars (avec la participation de Gustave Le Rouge) (1887-1961)

mercredi 28 septembre 2005

Cinémanie


1) L'ennuie nous pousse à jouer.
Il s'agit d'identifier sur cette photo de tournage les trois principaux personnages et bien entendu le film.
Réponse:
Remorques de Jean Grémillon (à gauche sur la photo).
Jean Gabin (à droite).
Louis Daquin (dans le fond)

2) L'autre soir écouté une interview de Paul Vecchiali, il y rendait un hommage au cinéma français des années 30. En ai profité pour ressortir Le Chirat : Le catalogue des films français de long métrage 1929-1939.
Entre 1977 et 1982, j'ai fréquenté quasi-quotidiennement la cinémathèque française. Entre 1981 et 1982, je suis allé, le plus souvent possible, à la séance de 15h. Celle dévolue au cinéma francais des années 30 et 40. Nous n'étions pas nombreux, tout juste une vingtaine. De temps à autre une actrice venait se revoir (je me souviens y avoir vu Madeleine Robinson, Danièle Darrieux accompagnée de Vecchiali ), l'exercice devait être cruel, et la discrétion dont faisait montre les spectateurs en était la preuve.
Me restent en mémoire, entre autres, quelques beaux films oubliés (Sapho de Léonce Perret, Voleur de femmes de Gance...), la série des Bouboule avec Georges Milton (Bouboule 1er, roi nègre...), les films de Duvivier, Grémillon, Chenal... des acteurs (l'insupportable Roland Toutain...), des actrices (Viviane Romance, Mireille Balin...) et une myriade de mauvais films.
Nous n'étions pas nombreux, toujours les mêmes. Quelques vieillards. Un homme agé impeccablement habillé, sosie de Max Shreck, nous l'avions d'ailleurs surnommé Nosferatu, qui se plaçait systématiquement au premier rang, dormait au bout de 10mn, la tête penché en arrière, la bouche grande ouverte; il devait préférer rêver les films plutôt que de les voir. Un critique de cinéma rencontré il y a quelques mois du coté de Beaubourg faisant les poubelles, y cherchant de quoi grignoter. Peu de temps après je le croisais à l'intérieur de la bibliothèque, entouré de catalogue de films, il mettait à jours ses fiches. Un jeune homme avec son gros cartable, véritable encyclopédie vivante, dont je me suis toujours demandé de quoi, à part les images mouvantes, il vivait. Une après-midi de Noel, alors que je lui offrais un sandwich, j'ai eu ma réponse : de rien.
Je ne vais plus à la cinémathèque. L'idée de tout voir m'est devenu étrangère; mais souvent je pense à eux : les dévorés.
Parce que je fus l'un des leurs.

mardi 27 septembre 2005

J'avoue qu'un rêve vaudrait mieux.


Dites moi pourquoi, détestant la vie, je redoute la mort ? (...)
Mais en voila assez, je ne veux pas porter plus loin mes réflexions ; elles sont le produit de l'insomnie ; j'avoue qu'un rêve vaudrait mieux.
Mme du Deffand - Lettre à Horace Walpole du 1er avril 1769.

Pour lire cette lettre dans son intégralité, il suffit de cliquer ici et aller à la page 557 (lettre 289).

On touverait difficilement un texte où s'exprime avec plus d'énergie le drame de la lucidité, de cet état extrème où aboutit la débauche de l'intelligence, et où l'on est coupé de tout, où l'on cesse d'être nature.
Cioran - Anthologie du portrait.

samedi 24 septembre 2005

To fade one scene into another.


Pourquoi ce matin avait-il pensé à André Raimbourg dit Bourvil ? Pourquoi s'était-il souvenu de la fin de ce film de Jean-Pierre Melville : Le Cercle rouge ?
« Il n’y a pas d’innocent. Les hommes sont coupables.»
« Même un policier ?»
« Tous les hommes. Tous coupables.»
Et pourquoi à ces mots se substituèrent progressivement ceux du début des Antimémoires de Malraux - il aima la seconde où les mots se confondirent - ceux de ce curé futur aumônier du Vercors ?
«...D'abord, les gens sont plus malheureux qu'on ne croit...et puis...et puis, le fond de tout, c'est qu'il n'y a pas de grandes personnes. »
Il se souvint aussi de la sécheresse de la phrase qui suivait:
- Il est mort aux Glières.
Pourquoi ? Il ne le sut pas.

jeudi 22 septembre 2005

Où il est question de dépense, du comte de Gramond et d'un prénom féminin

28,50 euros - Dictionnaire égoïste de la littérature française - Charles Dantzig.

La critique la plus juste que l'on puisse en faire se trouve à l'intérieur de l'ouvrage. Je cite ; seul le nom est modifié:
C.Dantzig a tendance à croire qu'une formule vaut une pensée. Il est français, très français (...). Il a de subits rétrécissements par mot d'esprit (...). Il y a un boulevardier dans tout Français. Tout est dit.
Egoïsme pour égoïsme, snobisme pour snobisme, puisque c'est le terrain de jeu qui nous est imposé, je lui en veux non point pour ses préférences (nous avons quelquefois les mêmes : Léautaud, Saint-Simon, Larbaud, Mme du Deffand...) ou ses détestations (nous n'avons pas les mêmes : Céline, Molière...) mais plutôt pour quelques oubliés. Il convient de préciser que Dantzig ne se préoccupe que d'auteurs morts. Rien donc - Bloy n'a pas de notice mais il est mentionné - sur Hamilton (Mémoires du comte de Gramond) ou sur Madame d'Epinay (Les contre-confessions). On ne peut d'ailleurs que regretter l'absence d'un index, l'édition moderne ne semblant plus connaitre l'usage de cet instrument. Ainsi pénétrer dans La Recherche par l'index des noms propres ou celui des noms de lieux est source de grand plaisir.
Décrivant sa soeur, épouse du comte de Gramond, Hamilton précise : elle disait ce qu'il fallait, et pas davantage. Sainte Beuve qui relève ce détail - grâce soit rendue au site Gallica - l'applique à Hamilton: C'est ainsi, dans sa diction parfaite, qu'il m'apparaît lui-même(1). Il est dommage que Dantzig n'ait toujours pas suivi ce conseil et que désirant se portraiturer - le coté égoïste - il en dise parfois trop.
Restent, au milieu d'aphorismes dont la réversibilité suffit à prouver l'inanité (Nous ferions bien d'avoir un peu moins d'idées, et un peu plus de pensées) et dont l'évidence confine à l'idiotie (Quand on écrit, on tire un fil; l'ignorance est un péché...) quelques pages sur Fréderic Berthet, auteur de nouvelles mort en 2003, et cette annotation sur Fermina Marquez de Larbaud.
Chapitre II : " Nous avions donc un mot maintenant un nom à répéter tous bas, le nom entre tous les noms qui la désignait: Fermina, Ferminita..."
que Dantzig rapproche du début de Lolita : Lolita. Lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lee-ta (...)
Désirant aller plus loin, je découvre un texte de Maurice Couturier qui fait également un parallèle entre les deux auteurs, et ce à propos d'un autre texte de Larbaud:
Lolita est une petite fille; Lola est en âge de se marier, Dolores a trente ans (...). Un jour, inspiré par l'amour, je murmurerai : Lola. Et le soir des noces, j'aurai Lolita dans mes bras (...).
Pour tout le monde : dona Dolores; pour moi seul : Lolita. Et cela même ne suffit plus. On adopte un mot tendre, un mot enfantin : Nena, Nenita.
Valery Larbaud - Jaune Bleu Blanc.
Nabokov aurait-il lu Larbaud ?
A cet instant, je dois dire que je n'ai pas regretté mes 28,50 euros.

(1) Sainte-Beuve - Causeries du Lundi - Tome 1

mercredi 21 septembre 2005

Interlude

Mon âme s'envole dans les forêts vierges et dans les savanes.
Tout est beau - Les mouches bourdonnent dans les rayons -
Le soleil a éternué le colibri.

Hugo - Audubon

mardi 20 septembre 2005

I Dreamed I Saw St. Augustine.


A écouter.
Via L'homme qui marche un hommage à Robert Zimmerman

Au fait, pourrons nous un jour revoir Renaldo and Clara?
Dylan à la mise en scène, c'est quand même autre chose que Peckinpah : dixit Skorecki (A propos de Pat Garret).

lundi 19 septembre 2005

Time

Alors qu'il relisait dans un magazine une chronologie consacrée à la vie d'un écrivain, il sut gré à ce dernier d'être né en 1899. Il suffisait d'ôter une unité à la dizaine de l'année où un évènement était survenu pour obtenir l'âge du héros. C'était simple mais n'avait point le caractère trop facile de l'évidence. Il songea, et fut d'ailleurs étonné par le fait d'y songer, qu'il était lui-même né en 1959. Ce qui le surpris c'est qu'il n'avait pas souvenir d'avoir effectué un tel décompte quant au cours de sa propre existence.

L'une des raisons pour lesquelles j'aime la Règle du jeu c'est que Jean Renoir, de sa voix trainante, y emploie à plusieurs reprises l'expression: C'est épatant.

Ce devait être la mère du jeune homme. Il était accompagné de son fils. L'enfant improvisa un jeu; quelques cailloux, un arbre que l'on devait atteindre. La grand-mère restait en retrait, un peu comme si au bord d'une piscine elle en faisait le tour avant de se lancer. Au bout d'un moment s'estimant prête, elle plongea. Son caillou ricocha sur le tronc de l'arbre qui ne broncha pas (il lui en fallait plus), et alla rejoindre ses congénères.
Fastoche dit-elle, pensant que l'eau du bain avait des vertus régénératrices.
C'est cool lui répondit l'enfant, et il partit chercher un ballon.

Dans la rue Jean-Pierre Timbaud les femmes sont voilées,
De jeunes barbus laissent entrevoir leurs chevilles.
En face de la mosquée, sur la Maison des métallos
Le drapeau de la CGT monte mollement la garde.

vendredi 16 septembre 2005

Arte povera


Il faut partir du réel pour aller vers l'idéal. C'est le but qu'il faut s'imposer.
Jean-Claude Guiguet (1943 - 2005).

R.I.P

Extrait d'une lettre adressée en février 81 par Maurice Blanchot à Vadim Kozovoï, dissident russe qui venait d'obtenir l'asile politique en France :

Vous serez décu par ce pays qui a d'une certaine manière disparu et qui n'est pas digne de sa disparition, sauf pour quelques livres, l'espace de l'art et le souvenir.

Lu dans le Monde des livres daté du 16/09/2005.

jeudi 15 septembre 2005

V.N



Roi, dame, valet. (suite)

Frantz visite nuitamment avec son oncle Dreyer le grand magasin berlinois dont ce dernier est le propriétaire.
Un peu plus loin, d'un geste nonchalant et badin, il fit tomber de son support un gros ballon de plage qui s'en alla rouler sans bruit dans le noir, loin, très loin, jusqu'aux plages de sable blanc de la baie de Poméranie.(1)

L'image est en soi très belle. Mais lorsqu'une note dans l'édition de la Pléiade nous apprend que Vladimir Nabokov et sa femme passèrent l'été 1927 en Poméranie, sur les plages de l'île de Rügen. Et que c'est là que Nabokov aurait eu l'idée du roman; alors tout chavire.
L'espace du roman, l'espace biographique, les temps se confondent, se repliant les uns sur les autres. On imagine le couple - un moment de bonheur - surpris par ce ballon venu d'ailleurs, venu du roman à écrire. Scène destinée à se répéter indéfiniment - la mort aura été vaincue - puisque le livre a été écrit, qu'il devait l'être.
Assis sur un banc sous un soleil voilé pendant que le monde suit son cours, le lecteur pressent alors qu'il effleure, on ne peut que l'effleurer, la notion d'éternité.

(1) Trad - G.Magnane

mardi 13 septembre 2005

Miscellanea

Esquisse.
Le repas terminé, ces dames firent la sieste. La maîtresse de maison profita de l'avantage de jouer à domicile et s'éclipsa dans sa chambre; la puissance invitée dut se contenter du canapé du salon. Cela ne sembla pas la gêner. Les hommes écoutèrent de la musique. Le temps s'écoula. En fin d'après-midi - la maitresse de maison dormait encore - on alla prendre un café au centre ville et l'on se quitta.

N'en déplaise à M.H un auteur capable d'écrire ceci,
Rien n'existait au-delà de sa page éclairée par le soleil. Il tourna la page, regarda autour de lui, et le monde extérieur, comme un chien joueur qui n'aurait attendu que cette occasion, bondit sur lui avec avidité. Mais repoussant affectueusement Tom, Dreyer se replongea dans son recueil de vers.
ou à propos d'un autre personnage,
Frantz, qui jusque-là était resté caché derrière son journal dans un bienheureux non-être, n'ayant d'autre vie que celle, extérieure à lui-même, qui naissait au hasard des mouvements et des paroles de ses compagnons de voyages, voulut alors affirmer sa présence et, ouvertement presque avec arrogance, regarda la dame.
et qui sur le vol des mouches note,
des mouches décrivaient des parallélogrammes, se posant à chaque fois sur les mêmes pendeloques.
est un immense écrivain.
Ces extraits ont été tirés quasiment au hasard des premières pages de Roi, dame, valet, lui même étant le premier volume de Nabokov tombé entre nos mains.

Agréable moment que celui de la sieste. Ni néant, ni être. Se laisser aller corps et esprit et n'exister que par le courant d'air doux et chaud qui arrive jusqu'à vous.

lundi 12 septembre 2005

Avertissement

Pour cause d'entrée en Tétralogie le rédacteur de ce blog prie ses lecteurs de l'excuser pour l'irrégularité dans la publication des notes. Que l'on se rassure néanmoins, il ne lui reste plus à écouter que le troisième acte de Siegfried et l'intégrale du Crépuscule des Dieux

jeudi 8 septembre 2005

Portrait.


Portrait de Joyce - Constantin Brancusi (1929)

"Mon Dieu qu'il a changé" - John Stanislaus Joyce.

Current mood

Le temps passant, il finit par se rendre compte que ce qui le gênait le plus à la vue des hommes politiques n'était pas tant la pertinence ou la non pertinence de leurs discours mais plutôt la vulgarité qui semblait émaner de leur personne même.

Des pages lues de Jivago un détail avait retenu son attention. Lors des journées de décembre 1905, on arrosait les barricades de seaux d'eau afin de figer dans le gel les pierres et les débris dont elles étaient faites. Outre que le fait lui semblait empreint d'une certaine beauté, il n'arrivait pas à comprendre pourquoi cela l'avait marqué.
Etait-ce peut être cela vieillir : Cette intérêt accru apporté aux détails, à l'anecdote comme forme révélatrice. A ce qu'il nommait faute de mieux une certaine musique.

Alors qu'on lui parlait de départ, lui revint en mémoire les fameuses dernières phrases d'Adolphe.
Les circonstances sont bien peu de chose, le caractère est tout; c'est en vain qu'on brise avec les objets et les êtres extérieurs; on ne saurait briser avec soi-même. On change de situation, mais on transporte dans chacune le tourment dont on espérait se délivrer; et comme on ne se corrige pas en se déplaçant, l'on se trouve seulement avoir ajouté des remords aux regrets et des fautes aux souffrances.
Mais il n'en souffla mot.

dimanche 4 septembre 2005

Dimanche (après-midi).

Estants assis aux rives aquaticques
De Babylon, pleurions melancholicques,
Nous souvenant du pays de Sion:
Et au milieu de l'habitation,
Où de regret tant de pleurs espandismes,
Aux saules vertz noz harpes nous pendismes.

Extrait du Psaume 137. Traduction Clément Marot(1541).

vendredi 2 septembre 2005

Les mots.

Feuilleté debout pendant une demi-heure Cosmos Incorporated de Maurice Dantec. Je ne connais pas ses journaux et bien que possédant l'ensemble de sa production romanesque, il me faut dire qu'elle m'est toujours tombée des mains. Pour faire rapide, n'en déplaise aux admirateurs, disons que c'est quand même trop mal écrit. Non que le bien écrit doive être l'aune absolue à laquelle la littérature doit être jugée - comme disait Léautaud : Ce n'est pas tout de bien écrire, il faut encore que sous les mots passe une sensibilité, un peu plus loin il parle de tremblant, de négligence, d'une certaine négligence - mais chez Dantec il me semble que l'on est au-delà de cette certaine négligence. Restent les idées. Mais les idées malgré leur éventuelle pertinence font-elles à elles seules la littérature ? Il est d'ailleurs amusant de constater que tout un courant littéraire - les Hussards - fut en son temps classé à droite pour avoir répondu négativement à cette question. Alors que le même Dantec, au nom de ses idées, est aujourd'hui revendiqué (je simplifie) par certains courants de droite comme le grandécrivain. Dantec, avec son coté mauvais garçon, ne serait-il pas tout simplement l'avers de ce que peut représenter un roman comme La Peste, à savoir de la littérature de boy-scout ? Cette disgression devenant trop longue, je continue de feuilleter. Un mot me vient à l'esprit : imbitable.
Debout dans cette grande surface du livre ce mot me pose un problème. Je crois en comprendre le sens mais d'où vient-il ? La conjonction du préfixe im et du suffixe able indique l'incapacité à, non le problème c'est bit. S'agit-il du sexe masculin ? Imbitable serait synomyme de imbaisable. Serait imbitable ce qui ne parvient pas à se faire désirer, qui échapperait à tout désir. Ou alors bit fait-il référence au terme informatique ? Serait imbitable ce qui ne pourrait être ramené au binaire, qui échapperait à la simplification d'une unité élementaire. Je laisse tomber le Dantec et vais vérifier dans Le dictionnaire historique de la langue française. Le mot aurait son origine dans l'argot scolaire et serait construit à partir du verbe biter qui veut dire comprendre, imbitable serait l'équivalent de incompréhensible. La notice n'est pas très précise et ne donne pas d'indication de date quant à une première occurence.
Au fond me dis-je, en sortant du magasin, le mot ne s'applique finalement pas aux ouvrages de Dantec (du moins à ceux que j'ai essayé de lire) qui sont tous des tentatives d'explications, des réponses forcément réductrices alors que la littérature que j'aime ne pose que des questions. Et je songe (pourquoi à celui-ci en particulier ?) à ce livre de Potocki de 1805 - Le manuscrit trouvé à Saragosse avec ses squelettes, ses contrebandiers, ses négresses, ses apparitions, ses histoires gigognes dans lesquelles on se perd, à la quasi-impossibilité qu'il y a d'en établir une édition définitive. Roman de la prolifération qui refuse de se laisser appréhender. Imbitable en quelque sorte.

Tôt ce matin écouté pendant une dizaine de minute une intervention de Pierre Messmer. Je me souviens qu'alors qu'il était premier ministre Le Canard enchainé avait surnommé sa femme Mesméralda. Je ne sais à qui il s'adressait, mais à propos de la Turquie il parla d'une question qui divise notre compagnie. Est-ce à cause de ce ton compassé, à sa qualité de gaulliste mais au mot compagnie j'ai tout de suite pensé au mot compagnon. J'en fus ému. Je n'avais pas entendu Cie, ou C°, le mot s'était donné à moi dans toute son épaisseur.

Curieuse façon des journalistes de dater un évènement en fonction d'un évènement précédent relativement récent. Ainsi peut-on entendre parler des premiers attentats après l'évacuations des colons, ou de la première sortie du président après telle ou telle élection etc...les exemples abondent. Un peu comme si l'histoire commençait indéfiniment la semaine dernière.