16 épitaphes plaisantes d'Auguste Gilbert de Voisins in Fantasques - Petits poèmes de propos divers (1920).

PREMIÈRE ÉPITAPHE PLAISANTE

Ci-gît le redouté capitan Spezzafer
Qui savait, d'un seul geste, embrocher de son fer
Les aunes de boudin et la coquecigrue.
Quand il marchait, son pas tenait toute la rue.
Sa plume de bonnet piquait les astres d'or...
Or il vient de mourir... il est tout à fait mort.

DEUXIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Ci-gît et se recueille Isabelle aux doux yeux.
Ayant vécu d'amour, elle poussa la porte
De l'enfer et croyait s'ouvrir ainsi les cieux.
Elle est morte, très morte, hélas ! tout à fait morte

TROISIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Le Docteur Bolonais qui dort tout de son long,
Ici même, a tué Léandre, Pantalon,
Isabelle, Valère et, pour finir, sa femme,
Farinette aux yeux clairs. — Ce médecin des corps.
En un nouveau séjour, va-t-il soigner des âmes,
Maintenant qu'il est mort ?

QUATRIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Laure vient de mourir en sa vingtième année,
Elle est morte, bien morte, hélas ! morte et damnée.
Son grêle petit corps ne pourra plus servir
Qu'à saupoudrer de gris une rose fanée.

CINQUIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Ici dort Rosalba, reine des mascarades.
Elle ne goûtait pas les amoureux transis
Et préférait un corps à corps aux sérénades.
Rosalba, pour longtemps, dort son sommeil ici.

SIXIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Scapin dort d'un sommeil très long que je déplore.
Le trépas est un port. Il entra dans ce port
En souriant; je crois qu'il doit dormir encore,
Bien qu'il soit mort, très mort, hélas ! tout à fait mort.

SEPTIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Ici dort Fiammette, (un beau petit squelette !
Près d'elle on a posé des bonbons, un miroir,
Quelques bijoux, une guitare, sa houppette...
Vaines précautions : le trou lui semble noir.

HUITIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Rosalinde affectait le glorieux maintien
Qu'une grande beauté, sans l'excuser comporte.
Splendide fleur de chair!... Et pourtant, je crois bien
(Voyez ce monument!) que Rosalinde est morte.

NEUVIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Depuis Vendredi soir, Mirabelle repose,
(Sous quatre pieds de terre et dans l'épaisse nuit),
Au fond d'un beau cercueil construit en bois de rose.
En attendant le diable, elle songe au déduit.

DIXIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Ci-gît le trop subtil Mezzetin. Où qu'on aille,
Onques ne verra-t-on drôle pareil. Le sort
Fut complaisant pour ce prince de la Canaille,
Qui, maintenant, est mort, très mort, tout à fait mort.

ONZIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Dans cette tombe où son corps se recroqueville,
Sommeille ponr longtemps le maigre Mascarille...
Canaille, si l'on veut... pourtant on Taimait bien!
Il savait plaisanter, chanter, aimer et boire;
Il sut même mourir honnêtement. — Combien
De temps durera sa mémoire ?

DOUZIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Après dix jours de jeûne et treize jours de fièvre,
Zerbinette mourut, un sourire à ses lèvres.
Elle voyait le ciel comme un grand carnaval :
Anges arlequinés. Trônes armés de battes
Et Dominations culottés d'écarlate,
Scaramouche drapé d'ombre menant le bal...
En rêvant aux plaisirs que le trépas apporte,
Zerbinette a souri ; maintenant elle est morte.

TREIZIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Ici dort Brighella, fin buveur de faro
Voleur de grands chemins que l'on aurait dû pendre.
Il fut, l'heureux rival de notre ami Pierrot
Et pour lui Golombine eut des soucis fort tendres.
Il trahit, déroba, tricha, fit pis encor.
Mais, depuis avant-hier, il est tout à fait mort.

QUATORZIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Lucinde eut des amants (et de plus d'une sorte).
Cela n'empêche pas que Lucinde est bien morte.

QUINZIÈME ÉPITAPHE PLAISANTE

Gilles serait donc mort et dormirait ici ?
Gilles, ce Prince Charmant de la fantaisie.
Ce roi de la frivolité, roi sans souci
Mais très bon roi pour ses sujets en poésie,
Et dont le sceptre était un lys ?.. Ah ! coups du sort !
Maintenant, il est mort, très mort, tout à fait mort.

DERNIÈRE ÉPITAPHE PLAISANTE

Dis ! te rappelles-tu les seins de Francisquine,
Passant qui viens fouler l'herbe de la colline
Où tant de morts, côte à côte, sont allongés ?
Te les rappelles-tu, ces seins ? as-tu songé
Aux baisers qui leur furent donnés, aux caresses
Qui les frôlèrent, à leur éclat, leur souplesse
Et leur altière fermeté ? — Sache-le bien.
Ces seins voluptueux et blancs ne sont plus rien
Qu'un petit tas de cendre en un cachot sans porte...
Car Francisquine est morte.