Ruines circulaires

Le Zèbre est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu.

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mardi 31 mai 2005

Déni et agacement.


Il est, en effet, difficile de concevoir comment des hommes qui ont entièrement renoncé à l'habitude de se diriger eux-mêmes pourraient réussir à bien choisir ceux qui doivent les conduire; et l'on ne fera point croire qu'un gouvernement libéral, énergique et sage, puisse jamais sortir des suffrages d'un peuple de serviteurs.
Tocqueville - De la Démocratie en Amérique, vol II - (Quatrième Partie : Chapitre VI).

Dans la période qui s'ouvre, vous pouvez compter sur mon engagement et sur ma détermination pour faire vivre et progresser le modèle français.
Jacques Chirac - 31 mai 2005.

Ce n'est pas tant la victoire du non qui est déprimante mais plutôt les raisons pour lesquelles elle advient. Je conçois fort bien que l'on soit souverainiste, et pense que le concept de nation garde de la pertinence. Mais,
voir l'ensemble de la classe politique, défenseurs du oui et du non confondus, se faire le chantre du fameux modèle social français qui, pour citer le journal Le Monde(1), ne semble pas un comble d'efficacité : Les prélèvements fiscaux de la Suède et le chomage des pays de l'Est, un taux de chomage de 10% (6,2% en Grande Bretagne), 11% de pauvres, un français sur cinq sans aucune formation, une dette représentant 66% du PIB, un taux de croissance d'environ 1,8%, une situation nationale devenue objectivement dramatique (je cite),
voir que ce modèle profondément injuste - les fameuses trappes à pauvreté - et aliénant - une majorité de ce pays (l'exception française) pense qu'il vaut mieux être chomeur que d'avoir un "petit job" - est celui que nous voulons imposer à nos partenaires puisque nous détenons la vérité,
m'agace, et c'est une litote, quelque peu.

Déni : Traduction de l'allemand Verleugnung par lequel Freud désigne le refus de reconnaître une réalité dont la perception est traumatisante (Dictionnaire historique de la langue française - Le Robert)

(1) Le Monde n°18769 (daté du 29 et 30 mai 2005) - Chronique de l'économie - E. Le Boucher.

jeudi 26 mai 2005

Pour en finir.

A propos d'un fleuve et d'une forêt qui m'ont coûté cher:

Je chanterai les fleuves de la Terre.(...)
L'Amazone est géographique. Son embouchure enferme une île grande comme la Suisse. Il roule le quart de l'eau douce du globe (et peut-être même les trois quarts). Il charrie sur son flot des prairies tout entières avec des arbres aussi hauts que des immeubles, pleins de serpents et de singes-araignées que l'homme contemple de la rive avec effroi. Il est peuplé de "pirènes" sanguinaires. Ces menus poissons accourent par millions sur leur proie. Si on leur jette un boeuf, une vache, un mauvais voisin, il n'en reste plus rien deux minutes après le geste ; avec un veau, une minute suffit. L'eau est toute rouge. Aussi personne ne jette-t-il de boeuf dans l'Amazone. Ni même de veau. Et il n'y a pas de voisin. Il n'y a d'ailleurs personne. Rien que de la végétation. Une incroyable végétation. Derrière l'auto, on voit repousser les arbres. C'est l'enfert vert : ténèbres et verdures. Un sol spongieux, des oiseaux de feu, des bêtes gluantes, des monstres mous, des serpents jaunes, des araignées comme des crapauds et des crapauds commme des ballons de football. C'est ce qu'on appelle la forêt vierge. Mon ami Rognoni, qui y est allé, dit qu'elle ressemble au bois de Vincennes, en moins dangereux. Qui faut-il croire ? Tous les reporters en reviennent avec de l'urticaire. L'Amazonie est une invention des pharmaciens.
A.Vialatte - Chroniques de la Montagne - 4 août 1968.

mercredi 25 mai 2005

Rêverie

On connait le célèbre apologue de Zhuang-zi.
Jadis raconte Zhuang-zi, une nuit je fus un papillon, voltigeant content de son sort. Puis je m'éveillai, étant Zhuang-zi. Qui suis-je en réalité? Un papillon qui rêve qu'il est Zhuang-zi ou Zhuang-zi qui s'imagine qu'il fut un papillon?
Pascal dans les Pensées(1), à la suite de Montaigne et de Descartes, s'attela à lever cette incertitude (2), à distinguer rêve et réalité.
Qui sait si cette autre moitié de la vie où nous pensons veiller n'est pas un autre sommeil un peu différend du premier, dont nous nous éveillons quand nous pensons dormir? (Fragment 122).
Pour Pascal, ce qui nous permet d'opérer la distinction c'est la diversité des rêves; en effet :
Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours.(..)
Mais parce que les songes sont tous différents, et que l'un même se diversifie, ce qu'on y voit affecte bien moins que ce qu'on voit en veillant, à cause de la continuité qui n'est pourtant pas si continue et égale qu'elle ne change aussi, mais moins brusquement, si ce n'est rarement comme quand on voyage et alors on dit : "il me semble que je rêve." Car la vie est un songe un peu moins inconstant. (Fragment 662).
On ne s'attardera pas ici pour savoir si Pascal réussit à résoudre le problème de manière définitive, mais force est de constater que ce thème est récurrent dans tout un pan de la littérature. On citera, entre autres et pour mémoire, la nouvelle de Borgès - Les Ruines circulaires ou le héros s'apercoit qu'il est une créature fictive qu'un autre est en train de rêver. Ou encore le texte d'Ambrose Bierce : Ce qui se passa sur le pont de Owl Creek.
Le point commun à tous ces textes, d'où un effet de surprise amoindri pour l'amateur de fantastique, est que, pour le personnage principal, le réveil est synonyme de désillusion, voire de cruelle désillusion. La sortie du rêve est une voie sans issue. Soit qu'elle débouche sur la négation du personnage, soit que la solidité du monde réel, sa constance n'apparaissent comme des feux sur lesquels de pauvres papillons de nuit, créatures éphémères, finissent par se brûler les ailes.
Relisant la nouvelle (3) de Balzac intitulée Adieu (4) je tombe sur ceci :
A travers les voiles épais que le plus irésistibles de tous les sommeils étendait sur les yeux du major, il ne voyait plus le mari et la femme que comme deux points. Les flammes du foyer, ces figures étendues, ce froid terrible qui rugissait à trois pas d'une chaleur fugitive, tout était rêve. Une pensée importune effrayait Philippe : "Nous allons tous mourir, si je dors ; je ne veux pas dormir", se disait-il. Il dormait.
La nouvelle de Balzac n'est pas à proprement parler une nouvelle fantastique, mais ces quelques lignes, en renversant la perspective habituelle, me paraissent propice à la rêverie. J'ai conscience de "tirer" à moi le texte, mais l'idée d'un monde comme un songe où dormir nous est fatal, où le rêveur est dans l'obligation de rester éveillé, de vivre son cauchemar, me semble assez vertigineuse. Dormir, rêver peut-être, que nenni. Si le monde est un rêve, alors il nous est interdit de rêver.










(1) Pensées - Pascal - Ed M. Le Guern - Folio-Gallimard
(2) L'incertitude qui vient des rêves - R.Caillois - Idées-Gallimard.
(3) Nouvelles - Balzac - GF Flammarion. (Edition très fortement recommandée)
(4) Au cours de la débacle de la Bérézina (description sublime de Balzac), un homme pour sauver la femme qu'il aime est obligé de s'en séparer. Il la retrouve des années plus tard, folle, vivant comme un animal et ne sachant dire que le mot adieu. Le dernier qu'elle lui ai adressé. Il décide de reconstituer, grandeur nature, la fameuse bataille sur un terrain à Saint-Germain-en-Laye, afin que la jeune femme, en revivant la scène cause de son traumatisme, puisse être guérie.

dimanche 22 mai 2005

Charade


Mon premier est une étendue d'eau entourée de terre.
Mon deuxième est ce que dit une personne qui a perdu une pièce de dix francs.
Mon troisième est deux fois huit.
Mon tout est un grand théatre.

Entendu il y a quelques jours lors de la diffusion du film sur France 5.

vendredi 20 mai 2005

Positive attitude.


Apprenant par la télévision que les lycéens de Mayotte, Collectivité Départementale Française (soyons précis; on nous le demande), passaient dans le cadre des épreuves du baccalauréat une épreuve de pirogue traditionnel, et nous demandant si c'était vraiment la meilleure façon de sortir du sous-développement.
Constatant, au cours d'une déambulation à la Fnac, l'émergence d'un nouveau phénomène éditorial dont le caractère absurde et contraire aux règles de la logique élémentaire nous semblait patent : L'antimanuel; antimanuel d'économie, de philosophie, et d'éducation sexuelle.
Il nous est revenu en mémoire cette citation, notée dans un carnet il y a déja quelques années, d'un penseur aujourd'hui quelque peu décrié :
Si l'état révolutionnaire consiste chez les praticiens en ce que tout le monde prétend commander, tandis que personne ne veut obéir, il prend chez les théoriciens une autre forme non moins désastreuse et plus universelle, où chacun prétend enseigner et personne ne veut apprendre.
Auguste Comte - (Lettre à Dix-Hutton, 1895)

mercredi 18 mai 2005

Risée

Mademoiselle, la Grande Mademoiselle qu'on appelait pour la distinguer de la fille de Monsieur, ou, pour l'appeler par son nom, Mlle de Montpensier, fille ainée de Gaston (frère de Louis XIII), et seule de son premier mariage, mourut en son palais de Luxembourg le dimanche 5 avril après une longue maladie de rétention d'urine, à soixante-trois ans, la plus riche princesse particulière de l'Europe.(...)
Sa pompe funèbre se fit en entier, et son corps fut gardé plusieurs jours, alternativement par deux heures, par une duchesse ou une princesse et par deux dames de qualité, toutes en mantes, averties de la part du Roi par le grand maître des cérémonies ; à la différence des filles de France qui en ont le double, ainsi que d'évêques en rocher et camail, et des princesses du sang qui ne sont gardées que par leurs domestiques. La comtesse de Soissons refusa d'y aller : le Roi se fâcha, la menaça de la chasser et la fit obéir. Il y arriva une aventure fort ridicule. Au milieu de la journée et toute la cérémonie présente, l'urne qui était sur une crédence et qui contenait les entrailles se fracassa avec un bruit épouvantable et une puanteur subite et intolérable. A l'instant voilà les dames les unes pamées d'effroi, les autres en fuite. Les hérauts d'armes, les feuillants qui psalmodiaient, s'étouffaient aux portes avec la foule qui gagnait au pied. La confusion fut extrême. La plupart gagnèrent le jardin et les cours. C'étaient les entrailles mal embaumées qui par leur fermentation avaient causé ce fracas. Tout fut parfumé et rétabli, et cette frayeur servit de risée. Ces entrailles furent portées aux Célestins, le coeur au Val-de-Grâce et le corps conduit à Saint-Denis par la duchesse de Chartres suivie de la duchesse de la Ferté...
Saint-Simon

Trainant avec un ami, parmi les rayonnages de Gibert Joseph libraire à Paris, celui me faisait remarquer, avec ce que j'ai cru percevoir comme de l'ironie, que je ne m'intéressais qu'à la littérature du 18ème. Ce long extrait de Saint-Simon, quoique celui écrivant ses mémoires entre 1739 et 1750 fut, en fait, profondément un homme du 17ème, constitue en quelque sorte ma réponse.
M'intéresse en littérature et ailleurs, au delà des catégories temporelles, la lucidité. Saint-Simon bien que viscéralement attaché au protocole, à la hiérachie des titres, n'en est pas dupe. Il sait que derrière tout celà se cachent les entrailles et la puanteur, mais cette lucidité, et c'est là toute sa force, ne débouche sur aucun nihilisme: Tout fut parfumé et rétabli, et cette frayeur servit de risée. Le cours des choses doit reprendre, l'ordre retrouvé ses droits. Ne pas être dupe (Mme du Deffand ou le drame de la lucidité disait Cioran) et savoir que malgré tout il convient de faire, même semblant; et peut-on, à moins de tirer un trait définitif, en dernier ressort faire autrement - voilà d'ailleurs qui pourrait être une assez bonne définition du style (on appréciera, ici, la précision, le cinglant de celui du duc - telle est pour moi la grande leçon, pour répondre donc à mon ami, que je tire d'auteurs comme Saint-Simon, Retz ou le cardinal de Bernis pour ne citer qu'eux.

samedi 14 mai 2005

Héraut

Nous avons le plaisir de vous informer de la diffusion,
Le Dimanche 15 Mai à 22h45 sur,
France Culture dans le cadre de l'Atelier de Création Radiophonique de l'émission,
METABLOG. Par Ch. Atabekian. Réal. G. Mardrossian.

jeudi 12 mai 2005

Vox

J'apprends par Libération que le film de T.Jousse présenté à Cannes est de prime abord un film sur le réseau, sorte d'ancêtre mid-eighties de la drague Minitel/Internet (les gens appelaient un numéro vide et, par multitudes, se racontaient).
J'avais vingt ans, l'un de mes pseudonymes, en hommage à un film de Rohmer, était L'Aviateur et, pendant quelques mois, j'ai fréquenté le Réseau.
Le principe en était simple. Il suffisait de téléphoner à l'horloge parlante, le service était alors quasi gratuit, et entre les silences de la voix enregistrée et les bips sonores (Au quatrième top, il sera exactement bip bip bip bip...) de laisser un numéro de téléphone, un message, qui n'était d'ailleurs pas nécessairement à caractère érotique ou pornographique, d'esquisser un dialogue. Certains - qui étaient-ils ? - réorientaient les participants sur des numéros en dérangement, où la voix masculine de l'horloge était remplacée par celle d'une jeune femme qui nous apprenait qu'il n'avait pas d'abonné au numéro demandé.
La pratique du réseau était, bien entendu, une activité essentiellement nocturne et finissait par entrainer, assez rapidement une véritable dépendance. Je n'ai pour ma part du avoir qu'une ou deux conversations téléphoniques hors réseau, et n'ai rencontré qu'une seule jeune femme. Nous nous étions donné rendez vous à la cinémathèque, je ne garde aucun souvenir du film, elle était coiffée d'un béret bleu de l'ONU (!) et m'avait entrainé à un concert folk fréquenté par des jeunes à cheveux longs. Nous ne nous sommes jamais revus. Ainsi, alors même que les rencontres n'étaient pas ma préoccupation principale, je ne pouvais m'empêcher de revenir au Réseau. Il y avait dans cet entremêlement de voix inconnues, à l'identité floue (des garçons par goût de la plaisanterie facile se faisaient très souvent passer pour des filles), dans ses messages répétés, ses plaisanteries scabreuses et surtout dans ce rythme imposée par les bips quelque chose de véritablement vertigineux, cette scansion s'imposait à nos désirs, les pliait à sa loi. Peu de temps après,il ne fut plus possible de se connecter à plusieurs à l'horloge parlante, les premiers numéros "érotiques" payants où il était assuré un confort d'écoute firent leur apparition, j'abandonnais le Réseau.
Ce rythme, je ne l'ai retrouvé que bien plus tard dans des circonstances plus dramatiques. Nous étions à Orly et la compagnie israélienne El Al venait de faire l'objet d'une attaque d'un commando terroriste. Un flic avait surgi, du haut de l'escalier roulant, accroupi, bras tendu, un flingue entre les mains. Il s'était mis à gueuler (Tirez vous d'ici, puisque je vous dis de vous tirer d'ici...). Des bruits de rafales se faisaient entendre, nous nous sommes donc enfuis et avons trouvé refuge à l'hotel Hilton situé à proximité de l'aérogare. Le contraste entre l'ambiance feutrée de l'hotel, nous étions parmi les premiers arrivés, et la fureur que nous venions de quitter était assez saisissant. Petit à petit d'autres passagers rejoignirent l'hotel, l'on se mit à parler fort, à raconter son aventure, à tenter d'avoir des informations. Et dans ce bouhaha,une voix se faisait entendre plus forte que les autres. Une jeune américaine téléphonait d'un poste publique. Elle hurlait a terrorist atttack, a terrorist attack, et toutes les dix secondes introduisait violemment une pièce dans la machine.
A terrorist attack - Shlack - Been a terrorist attack - Shlack - A terrorist....
L'aviateur appelle une fille - Vingt deux heures dix minutes et cinquante huit secondes - L'aviateur appelle une fille - Vingt deux heures dix minutes et cinquante neuf secondes - L'aviateur appelle une fille - Au quatrième top il sera...

Ps: Je signale à P.Azoury que l'un des derniers scénarios écrit par J.Eustache, paru dans les Cahiers, avait pour sujet le Réseau sur lequel il lui arrivait d'intervenir.

mardi 10 mai 2005

Identité.


Dans L'imposteur invraisemblable Tom Castro, Borges nous raconte l'idée de génie du Noir Bogle. Faire passer, auprès de Lady Tichborne, mère horrifiée, Arthur Orton, fils de boucher, pour Roger Tichborne, officier anglais, disparu dans les eaux de l'Atlantique. Substituer à un gentleman svelte, au teint mat, aux cheveux noirs, un lourdaud replet, au teint de roux, aux cheveux châtains (...).
Bogle savait qu'il était impossible d'obtenir un fac-similé sans défaut du trop attendu Tichborne. Il savait aussi que toutes les similitudes qu'on aurait obtenues n'auraient servi qu'à faire ressortir davantage certaines différences inévitables. Il renonça à toutes ressemblance. Il comprit que l'énormité même de la prétention serait une preuve convaincante qu'il ne s'agissait pas d'une imposture, car personne n'aurait jamais négligé de façon aussi flagrante les traits à conviction.
L'imposture fonctionna pendant 3 ans jusqu'à la mort de lady Tichborne, et ne fut déjouée que par un coup du destin.
Il y a quelques années, lisant la préface de Maurice Pons au Voyages de Gulliver, je vis apparaître, pour la première fois le nom de Georges Psalmanazar.
On sait finalement peu de chose de Psalmanazar ou Psalmanaazaar. L'homme était blond, blanc de peau, parlait latin couramment, possédait de grandes connaissances théologiques, fruits, disait-il, d'une éducation chez les jésuites qu'il détestait. Il apparaît à Londres en 1702 (il a une vingtaine d'année), cornaqué par un chapelain écossais dénommé Innes. Jusque là rien d'extraordinaire, si ce n'est que Psalmanazar se déclare formosan!
Il acquiert assez rapidement une certaine notoriété, en profite, et fait paraître en 1704 An Historical and Geographical Description of Formosa. Le livre connait un grand succès, il est traduit en français dès 1705 sous le titre: Description de l'ile Formosa, en Asie: du gouvernment, des loix, des moeurs & de la religion des habitans, dressée sur les mémoires du Sieur George Psalmanaazaar ...; avec une ample & exacte relation de ses voiages dans plusieurs endoits de l'Europe
L'ouvrage est fort documenté, on y trouve de nombreuses gravures, des précisions sur la langue Formosane, une traduction du Notre Père (Amy Pornio dan chin Orhnio viey Gnayjorhe sai lory eyfodere sai...). On y apprend que le chiffre un se dit tauf, que ptommstomm veut dire cent, que les femmes formosanes ont ordinairement qu'une robe, alors que les japonaises en ont trois. Que le plat principal est le serpent qu'il faut avoir préalablement tapé à coup de bâtons, afin de faire monter le venin à la tête que l'on coupera promptement. Que le livre sacré des formosans est le Jarhabadiond et, que 20 000 enfants de moins de neuf ans sont sacrifiés chaque année.
Il s'agit, bien entendu, d'un ouvrage de pure imagination qui fit, d'ailleurs, longtemps autorité. Attaqué par les jésuites, qui connaissent l'île, notre homme a réponse à tout. Son teint clair : il fait partie de la bonne société de Formose, et a donc vécu à l'ombre des palais. Formose décrite comme une province japonaise alors que tous les voyageurs attestent qu'elle est chinoise : calomnies des jésuites.
Au bout de trois, quatre ans, Psalmanazar fatigué laissa transparaître la vérité. Il apprend l'hébreu. A sa mort en 1763, Psalmanazar laissera des mémoires posthumes dans lesquelles il confirmera ne pas être formosan (Tout est faux, son éducation, ses voyages, il est originaire de Provence, et le coup avait été monté avec Innes); on ne saura jamais sa véritable identité.
Je m'étais donné pour maxime et règle, et l'on ne put m'en faire départir, de ne jamais modifier, rectifier ou démentir ce que j'avais une fois affirmé en conversation, fût-ce invraisemblable, voire absurde, fût-ce seulement devant un tout petit nombre de personnes. Par exemple, ayant une fois par inadvertance donné verbalement le nombre de 18.000 comme étant celui des enfants sacrifiés annuellement à Formose, je ne voulus jamais me résoudre à en rien rabattre bien qu'il fût évident que la population d'une île de cette dimension eût été menacée de rapide extinction si elle avait perdu chaque année un tel nombre d'enfants mâles, à supposer que les habitants fussent assez stupides pour accepter, et les prêtres assez cruels pour exiger de pareils sacrifices.

lundi 9 mai 2005

Raffinement.


Dans le métro, je continue la lecture de Au bord de l'eau.
Xue Ba et Dong Chao sont chargés d'accompagner Lin Chong au bagne. Ce dernier, innocent, est victime d'une machination et ses deux gardes doivent, en fait, le supprimer. Ils attachent Lin Chong à un arbre.
Alors les deux happe-chair se levèrent d'un bond retournèrent chercher leurs bâtons et, regardant Lin Chong dans les yeux, lui dirent:
- Ton heure est venue (...). Alors n'aie pas de haine pour tes deux petits frères, qui ne font qu'exécuter des ordres supérieurs auxquels ils ne sont pour rien!... C'est pénible, mais il faut que tu le comprennes : dans un an, jour pour jour, ce sera l' anniversaire de ta mort! Nous autres nous avons des délais précis à respecter et, d'ailleurs, nous devons nous hâter d'aller rendre compte de notre mission..
(Trad - Jacques Dars)
Dans un an, jour pour jour, ce sera l' anniversaire de ta mort. j'adoooore!

samedi 7 mai 2005

Bagarre


1) Lisant ceci:

Le boucher Zheng, son couteau dans la main droite, se pécipita sur Lu Da, qu'il tenta d'agripper par la main gauche; mais Lu Da profita de l'occasion pour lui bloquer aussitôt la main gauche, puis fonça sur lui et lui décocha un coup de pied - un seul - dans l'abdomen : le boucher vola à la renverse et alla choir au milieu de la rue.(...)
Alors, d'un seul coup de son poing fomidable, il lui écrasa le nez; le sang jaillit aussitôt à flots, tandis que le nez restait de guingois.(...)
Il (Lu Da) leva son poing et lui assena sur le bord de l'arcade sourcilière; ce seul coup suffit à faire éclater les orbites et saillir les pupilles!

extrait de Au bord de l'eau (roman chinois de XIVème siècle), j'ai immanquablement pensé aux scènes de bagarre chez J.Ford, R.Walsh et à celle, l'une des plus belles, de They Live de J.Carpenter.
Et là, suite à un débat, courant ici et la, sur les faiblesses du cinéma français, je me suis dit qu'il était peut-être là le problème : dans cette incapacité à filmer frontalement deux corps qui se foutent des beignes.

2) Ceci dit, essayons d'aller un petit peu plus loin.
Qu'est ce qu'une bagarre dans le cinéma américain? On pourrait la définir comme la confrontation, parfois rude, de deux libertés. Fidéle à une tradition, dont l'origine remonte à Locke, l'homme[1], en tant qu'il n'est pas esclave, est défini comme n'appartenant qu'à lui même. Dans la bagarre aucune volonté d'asservissement de l'adversaire (figure classique où les deux protagonistes tombent tous deux d'épuisement), juste la négociation musclée d'un contrat ; contrat, par essence, juste puisque fondé sur le libre consentement des deux parties.
En commentaire, S évoque les gifles de Gabin, les camouflets de Ventura, les claquettes de Belmondo et les calottes de Delon.et il semble que l'on touche là un point important. Que cherche à faire Gabin ou Ventura en claquant leurs adversaires, en ne les étreignant pas, essentiellement à les humilier, à porter atteinte à leur dignité. Ici, prime une vision de l'homme qui court de Rousseau à Bourdieu, où les rapports humains sont vus à travers le prisme de la relation dominant/dominé. Le claqué, à l'inverse des participants de la bagarre américaine, n'est pas un homme libre puisqu'il à perdu sa dignité. Le contrat est par essence injuste, et devra être régulé par une instance supérieure : le metteur en scène.
D'ou, selon nous, cette fameuse impossibilité d'un point de vue extérieur et frontal

Ps : Le cinéma américain n'est pas un cinéma populaire, dans la mesure où la notion même de populaire lui est étrangère, dans la mesure où il estime n'avoir aucune plus-value à apporter au peuple, dans la mesure où celui ci est constitué d'hommes libres.

[1] Spéciale dédicace à une lectrice(?) Anodine : Quand je dis l'homme, j'embrasse toutes les femmes. (Sacha Guitry)

mercredi 4 mai 2005

Bruit de fond

On se souvient des cris de vestales effarouchées poussés par nos amis journalistes du service public à l'occasion d'un piètre débat entre des jeunes, des animateurs de télévision, et un président de la république: Confusion des genres, politique spectacle....
Le même président, qui ressemble de plus en plus à ces poules auxquelles on coupait le cou chez ma grand-mère, il ne sait littéralement plus ou donner de la tête, ne voilà-t-il pas que chaussant le passe montagne du sous-commandant Marcos, il dénonce le capitalisme mondial, le même président donc était de nouveau interrogé mais cette fois ci par de vrais journalistes. Un monsieur et une dame. Arrive la fin de l'émission.
Le président vient tout juste de terminer son intervention, lorsque dans le même plan, plan large où figurent les trois protagonistes, le vrai journaliste transformé en speakrin nous annonce le programme suivant: un docu-drama sur la vie d'une chanteuse.
Le premier réflexe est celui de l'énervement, de la colère et puis vient se substituer un sentiment de honte. La honte d'assister à un moment de servitude volontaire, à un moment de lâcheté. Lâcheté du journaliste qui accepte de se transformer en bonimenteur, lâcheté du président qui pour tenter de reprendre la parole, d'avoir le dernier mot, bredouille quelques mots de remerciements.
La machine avait gagné, le programme pouvait continuer.