Puisque l'on m'invite à écrire quelques mots sur Albert Vidalie...
Aucune mention d'Albert Vidalie dans le Laffont/Bompiani ou dans le Beaumarchais/Couty/Rey, pas la moindre photo sur Google, c'est dire s'il est oublié, s'il s'est détourné du sens de la marche.
Faut-il alors croire Pierre Mac Orlan qui fut son ami lorsqu'il déclare :
La première fois que j'ai rencontré Albert Vidalie, ce fut dans la forêt de Compiègne, aux environs de l'année 1855; c'est dire que nous étions très jeunes, lui et moi.(...) Cet hercule était coiffé d'un gibus déformé en accordéon. Son oeil était protégé par un bandeau de soie noire. Le reste de son accoutrement appartenait à cette indigence vestimentaire qui, à cette époque, désignait les hors-la-loi à la vindicte publique.
Peut-être pas.
De sa biographie seuls surnagent quelques faits.
Une carrière de journaliste à France-Dimanche - Je l'avais connu dans une salle de rédaction de la rue Réaumur, en un temps confus où l'expression n'avait guère plus de sens que salle d'eau ou salle de séjour -, de scénariste, de parolier, un Goncourt raté en 1959 malgré l'appui de Mac Orlan.
Quelques faits donc et, c'est le plus important, l'alcool et l'amitié. L'un et l'autre.
L'alcool parce que les dents ne nous étaient pas poussées, qui nous auraient donné le goût de mordre dans la vie et, cependant, nous souffrions de ne pas pouvoir formuler le bonheur, ou son absence.
L'amitié, celle de Nimier, de K.Haedens, de P. Guimard, de Blondin bien sûr. Une amitié qui, en cette fin des années 50, allait au-delà des clivages politiques. En pleine crise du 13 mai 1958, le journal Arts (le même où débuta F.Truffaut) proposait la création d'une Chambre littéraire imaginaire où se retrouvaient : B.Frank (progressiste), Vidalie chantant la carmagnole, P.Guimard (SFIO), Nourissier (mendésiste), Pauwels (disciple de Bidault), Dutourd (gaulliste), K.Haedens (indépendant), Jacques Perret (monarchiste).
L'alcool et l'amitié donc, mais aussi la violence parce que l'alcool aidant...
Retourner alors aux écrits, puisqu'ils ne restent plus qu'eux, à ce qui semble être un autoportrait.
Il lui dit qu'il était aussi trés sensible à la magie des mots. Il y avait, comme cela, des noms de villes, de rivières, de lieux et de montagnes, qui étaient pour lui les clefs d'un univers poétique. Savannah était l'un de ces noms. Il y avait aussi Sumatra, Clairefontaine, la Barbade, le Kentucky, Chevreuse, le Mozambique, Fleury sur Andelles et Monterey.
Albert Vidalie - Les Hussards de la Sorgue
Entrecroiser les textes de Vidalie et de son compagnon de dérive, s'appuyer sur le deuxième chapitre de Monsieur Jadis qui lui est entièrement consacré, essayer de faire ressortir ce plaisir de l'évocation et ce goût pour une certaine forme de lyrisme.
L'odeur de la forêt s'introduisit sur ses talons. Quand il se mit à écrire, il apparut qu'un oiseau s'était posé sur son épaule, venu du fond des siècles et des plaines, singulièrement celles du Hurepoix, qui trouvent leur ultime rivage sur les bords de la Seine, à hauteur de la rue du Bac. Il écouta ce chant, l'aima, lui répondit.
A.Blondin- Monsieur Jadis
Peut-être lui répondit-il ceci ?
Ceux qui parlèrent d'elle plus tard (...) le firent mal car ils ne pouvaient savoir ce qu'elle avait été ce printemps-là. Il leur aurait fallu trouver des mots de vent, d'absinthe et de raisins pour dire comment elle fut, cette année d'avant les deuils et les défaites, dans le miracle de ses dix-huit ans, la peau tachée de soleil, les yeux brillants de soleil, les hardes dansant au vent quand ses pieds impatients l'emportaient à travers vallons et fourrés et marais et collines à la chasse quotidienne du bonheur, toujours triomphante et jamais rassasiée, sa longue toison rousse déployée dans le vent de la course, semée de fleurs, de graines, de feuilles et de brindilles! Et l'amour que lui portaient les bêtes et les arbres, et l'amour que lui offrait à chaque seconde la forêt toujours recommencée, avec ses sources, ses fontaines claires, ses jeux d'ombre et de lumière et la richesse inépuisable des quatres saisons, à travers les yeux de Lambert ! Et son corps de joie, son beau corps souple et fort nourri des chairs de la forêt, lavé aux eaux de la forêt, son corps libre et dur et saoul d'être lui-même que traversait et retraversait le sang des jours, son corps de dix-huit ans, cloué plus tard comme un grand oiseau blanc en travers de cette porte elle-même clouée qu'on referma sur sa moisson de joies !...Ce qu'elle fut seulement d'un printemps à l'autre printemps.
Elle ne savait pas que les hommes peuvent tout pardonner sauf le bonheur d'autrui et que, déja, ils avaient ouvert une brêche dans le sien.
Albert Vidalie - Les Bijoutiers du clair de lune.
Ou encore.
Il ne souciait pas beaucoup de l'avenir, sinon comme d'un champ promis à la célébration rétrospective de l'instant présent, qu'il s'ingénie à rendre mémorable.
A.Blondin- Monsieur Jadis
La chance c'est de vivre longtemps, assez pour oublier le détail des jours, leur inventaire monotone, et se rappeler seulement le poids et la couleur que l'un deux donne à la masse des mois et des années serrés autour de son noyau. Alors le jugement, le souvenir lui-même, sont tamisés par le drap d'or dont fut vêtu ce jour-là. Avant ce n'était que racontars de vieilles femmes et recettes de cuisine, tout semblait sec et gris. Après, longtemps après, il y a encore son reflet et l'écho de son écho qui n'en finit plus de renaître.
Albert Vidalie - Les Bijoutiers du clair de lune.
En juin 1971, Antoine Blondin écrit aux époux Laundenbach:
...Ici, le printemps et les fleurs peuvent aller se faire foutre : Vidalie est mort, l'autre nuit, dans son sommeil d'un arrêt du coeur.
Fin d'une vie - Rideau.